Une nouvelle piste de recherche pour faciliter l’administration des chimiothérapies

Par Julien Nicolas, Directeur de recherche au CNRS, Université Paris-Saclay
16 novembre 2022 08:03 Mis à jour: 16 novembre 2022 08:03

En 2040, le cancer pourrait toucher 30,2 millions de personnes dans le monde et donc devenir la principale cause de décès prématuré (entre 30 et 69 ans) dans la plupart des pays, selon le Centre international de recherche sur le cancer. Quant à l’OMS, elle prévoit une augmentation de 60 % des cas de cancer au cours de deux prochaines décennies, particulièrement dans les pays émergents.

Les traitements de ce fléau reposent généralement sur la chirurgie, la radiothérapie et/ou un traitement systémique comme la chimiothérapie. Principalement administrées par voie intraveineuse (IV), les chimiothérapies sont des traitements lourds et contraignants qui nécessitent des hospitalisations, généralement toutes les une à trois semaines pendant plusieurs heures.

Cette voie d’administration génère aussi beaucoup d’inconfort pour les patients et un besoin important en personnels qualifiés car elle nécessite l’utilisation d’une voie veineuse centrale avec la pose d’une chambre implantable (petit boîtier placé sous la peau branché à un cathéter lui-même placé dans une grosse veine, généralement la veine cave supérieure), ou d’une perfusion veineuse périphérique (cathéter généralement implanté dans la veine du bras).

Un dernier point et non des moindres, est le coût financier engendré par cette logistique complexe ; une dépense qui ne fera qu’augmenter avec le vieillissement de la population, mettant ainsi à rude épreuve nos systèmes de santé.

Vers une administration sous-cutanée ?

C’est ce constat qui nous a amenés à réfléchir à une alternative à l’administration des chimiothérapies par voie intraveineuse. Une solution qui se voudrait à la fois plus simple à pratiquer et plus confortable pour le patient, mais tout aussi efficace pour traiter la maladie.

La voie orale représente intuitivement la voie d’administration idéale, notamment en raison de sa simplicité (ingestion de gélules). Mais, survivre au tractus gastro-intestinal et traverser la barrière intestinale sont des obstacles majeurs à franchir pour un médicament administré de la sorte, ce qui conduit généralement à une biodisponibilité (proportion d’un principe actif qui atteint la circulation sanguine) relativement faible et variable. De plus, des problèmes d’observance (respect des prescriptions d’un médecin par le patient) font qu’elle n’est que très peu utilisée pour le traitement du cancer où un dosage précis du médicament est nécessaire.

La voie sous-cutanée présente quant à elle des caractéristiques très avantageuses par rapport à la voie intraveineuse. Elle est en effet facilement praticable car le geste est simple à réaliser et peut être administrée sans hospitalisation, à domicile, voire par le patient lui-même. On peut par exemple faire le parallèle avec les personnes atteintes de diabète qui s’auto-administrent leur insuline au moyen d’une petite pompe portative.

Elle est cependant impraticable à ce jour avec la plupart des principes actifs anticancéreux. Ces molécules sont en effet le plus souvent soit irritantes, soit vésicantes (elles peuvent provoquer des lésions). Par ailleurs, du fait de leur faible solubilité dans l’eau, elles vont avoir tendance à stagner au niveau du tissu sous-cutanée après administration et à provoquer des ulcérations (plaies cutanées souvent profondes), voire des nécroses (mort des tissus) de la peau à cause de leur forte toxicité.

Il n’y a en effet à l’heure actuelle que neuf principes actifs anticancéreux approuvés pour l’administration sous-cutanée et aucun d’entre eux n’est irritant ou vésicant, ce qui met en lumière l’impasse concernant l’administration sous-cutanée de ce type de principes actifs anticancéreux.

Une solution basée sur la nanomédecine

L’application des nanotechnologies à la médecine, plus connue sous le nom de nanomédecine, offre depuis quelques décennies tout un arsenal de vecteurs nanoparticulaires (liposomes, nanoparticules organiques/inorganiques, etc.) capables de véhiculer des molécules de principe actif dans l’organisme afin d’en améliorer l’efficacité thérapeutique et d’en diminuer les effets secondaires.

Cependant, aucun d’entre eux n’a pour l’heure permis d’administrer des principes actifs anticancéreux vésicants ou irritants. Ces vecteurs reposant la plupart du temps sur une encapsulation dite physique des molécules de principe actif (la molécule est simplement emprisonnée dans le vecteur et peut donc diffuser pour s’en échapper), il est probable qu’un relargage précoce du principe actif ait pu être observé dans le tissu sous-cutanée et ait induit des toxicités locales rédhibitoires.

Notre difficulté était donc de trouver un moyen d’injecter la chimiothérapie en sous-cutané, sans induire de toxicité au niveau de la peau, puis de lui permettre de migrer du tissu sous-cutané jusqu’à la circulation sanguine où elle pourrait exercer son action. L’idée que nous avons eue pour satisfaire ces critères fut de lier le principe actif à un polymère biocompatible très hydrophile, pour faire ce que l’on appelle une prodrogue polymère.

Dans ce cas, non seulement la toxicité du principe actif est temporairement neutralisée (le polymère est couplé sur un groupe fonctionnel du principe actif nécessaire à son activité), mais il se retrouve également solubilisé par le polymère du fait de sa forte affinité avec l’eau, ce qui va permettre à l’ensemble de migrer dans le tissu sous-cutanée et d’atteindre la circulation sanguine.

Schéma du principe de la nouvelle méthode d’administration des chimiothérapies.
Julien Nicolas, Fourni par l’auteur.

Afin de valider notre stratégie, nous l’avons appliquée au paclitaxel, un principe actif vésicant et très hydrophobe, qui est en fait le principe actif utilisé dans la formulation du Taxol, une chimiothérapie couramment utilisée pour le traitement de nombreux types de cancers. Parmi les polymères hydrophiles couramment utilisés en nanomédecine, le poly(éthylène glycol) est très certainement le plus connu et le plus utilisé (c’est ce même polymère que l’on retrouve dans les compositions des vaccins anti-Covid Moderna et Pfizer). Cependant, nous nous sommes rendu compte que le polyacrylamide, un polymère biocompatible déjà utilisé en cosmétologie dans le comblement de rides, était un bien meilleur choix car il permettait de mieux solubiliser le paclitaxel une fois le greffage effectué.

Nous avons ensuite procédé au développement pré-clinique de cette prodrogue en s’assurant notamment, chez la souris, qu’elle n’induisait pas de toxicité au niveau de la peau et du tissu sous-cutané autour du site d’injection, et qu’elle était capable de migrer du tissu sous-cutané vers la circulation sanguine. Du fait de la forte hydrophilie du polyacrylamide et de son caractère « furtif » (capacité à avoir un temps de résidence prolongé dans la circulation générale), nous avons également remarqué que le paclitaxel était libéré progressivement du polymère, par coupure enzymatique de la liaison avec le polymère, qui lui est éliminé par filtration rénale.

La prodrogue fait alors office de réservoir de paclitaxel, ce qui permet une exposition prolongée à la chimiothérapie tout en diminuant les effets secondaires (liés à la toxicité intrinsèque du paclitaxel). Dans notre étude, nous avons pu obtenir une efficacité anticancéreuse similaire à celle du Taxol administré en IV à dose équivalente en paclitaxel, et avons également pu augmenter la dose en prodrogue et ainsi obtenir une bien meilleure efficacité que le Taxol qui lui était déjà administré à sa dose maximale.

Cette étude, réalisée à l’Institut Galien Paris-Saclay (CNRS/Université Paris-Saclay), en collaboration avec le CEA Paris-Saclay et LabOniris, nous a encouragés à fonder avec trois collègues, Nicolas Tsapis, Alexandre Bordat et Tanguy Boissenot, la start-up Imescia qui a pour double objectif, d’une part de chercher des partenaires industriels qui ont des difficultés pour administrer leurs molécules et qui souhaiteraient les administrer en sous-cutanée grâce à notre technologie, et d’autre part d’amener un premier traitement en essai clinique dès 2024.

Pour cela Imescia cherche actuellement 2,5 millions d’euros. L’idée globale est d’appliquer cette stratégie à une très large gamme de principes actifs anticancéreux (sans se restreindre aux petites molécules) et ainsi transposer de manière sûre et efficace des chimiothérapies IV vers des chimiothérapies SC. Nous espérons que cette nouvelle plate-forme d’administration puisse représenter une étape importante vers une chimiothérapie simplifiée permettant la prise en charge des patients à domicile, voire à une auto-administration des traitements.The Conversation

Julien Nicolas, Directeur de recherche au CNRS, Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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