Pas de trêve dans la « guerre secrète » entre les juges et les politiques

Par Julian Herrero
25 avril 2024 07:20 Mis à jour: 25 avril 2024 07:20

Dans son dernier ouvrage « La guerre secrète entre juges et politiques » publié aux éditions de l’Artilleur, l’ancien journaliste à l’Express et expert des affaires politico-financières, Gilles Gaetner, raconte comment les juges et les politiques se mènent une guerre sans merci depuis une quarantaine d’années. Une thématique plus que jamais d’actualité, tant les tensions entre les deux mondes, ne sont pas près de retomber.

Des conflits et des affaires emblématiques

L’opposition entre les juges et le personnel politique français évoque assez rapidement certaines personnalités ou des affaires qui ont bousculé la vie politique française. C’est ce que rappelle Gilles Gaetner dans son dernier livre. Comment ne pas penser aux relations plus qu’houleuses qu’a entretenu et que continue d’entretenir l’ancien chef de l’État, Nicolas Sarkozy avec les magistrats.

Des relations que l’ancien journaliste qualifie de « guérilla unique sous la Ve République ». Effectivement, en 2007, celui qui venait d’accéder à la fonction suprême comparait les juges à des « petits pois qui se ressemblent tous ». Six ans plus tard, le célèbre Syndicat de la magistrature était épinglé dans l’affaire du « mur des cons », un panneau sur lequel des images de personnalités politiques étaient affichées, dont celle de Nicolas Sarkozy.

L’affaire Fillon est également présente dans tous les esprits quand il s’agit de discuter des tensions entre les juges et ceux qui nous gouvernent. Elle a surpris par la rapidité de la procédure judiciaire et a suscité de nombreux débats sur l’indépendance de la justice. Le 25 janvier 2017, le Canard enchaîné révélait que celui qui était alors candidat LR à la présidentielle a employé fictivement son épouse, Pénélope Fillon entre 1998 et 2002. Deux mois plus tard, il était mis en examen.

L’évolution de l’opposition entre les juges et les politiques

Le dernier ouvrage de Gilles Gaetner est d’autant plus captivant qu’il met en avant le changement des rapports entre les magistrats et les hommes et femmes politiques, c’est-à-dire qu’au départ, le politique avait l’ascendant sur les magistrats et se servait d’eux pour défendre ses intérêts. Il était inconcevable qu’un élu de haut rang soit condamné. « Il y a quarante ou cinquante ans, il eut été impensable qu’un juge d’instruction perquisitionne le domicile ou les bureaux d’un homme politique », écrit le journaliste.

Les rapports entre les deux mondes étaient tout autre à l’époque. La gauche au pouvoir nommait des magistrats proches d’elle idéologiquement, et la droite faisait de même une fois revenue aux affaires. Il y avait une opposition entre les politiques et les juges de gauche d’un côté et les politiques et les juges de droite de l’autre.

Mais à partir des années 1980, le monde des magistrats cherche à gagner en autonomie et va commencer à monter en puissance. L’opposition juges-politiques s’installe. « Nous connaissons des juges d’instruction se revendiquant de gauche à titre personnel, qui n’éprouvent aucune difficulté à épingler des personnalités de gauche. Et inversement, des juges positionnés à droite qui n’ont aucun état d’âme à mettre en examen des personnalités de droite », raconte l’expert des affaires politico-financières.

Cette montée en puissance des juges s’est également traduite par leur capacité à s’attaquer aux plus hautes personnalités de l’État comme les présidents de la République. En 2001, le locataire de l’Élysée de l’époque, Jacques Chirac est convoqué comme témoin par le juge Éric Halphen dans l’affaire des HLM et sur le financement illégal du RPR à la suite des révélations du financier du parti gaulliste Jean-Claude Méry dans une cassette vidéo.

Quelques années plus tard, Nicolas Sarkozy fera à son tour les frais de cette émancipation des juges puisqu’il sera poursuivi par la justice dans plusieurs affaires.

À grand renfort d’anecdotes, l’ancien journaliste à l’Express relate dans son ouvrage les relations difficiles entre les présidents de la République et les magistrats. On y apprend notamment que l’animosité que témoigne le successeur de Jacques Chirac à l’égard des juges remonte à 2002 lorsque le procureur de Strasbourg, Édouard Stenger, avait refusé de se rendre à une cérémonie à laquelle participait celui qui était alors ministre de l’Intérieur.

Gilles Gaetner raconte également qu’en juin 2016, les deux plus hauts magistrats de l’État, Bertrand Jouvel et Jean-Claude Martin sont reçus par François Hollande à la suite de la publication du livre des journalistes du Monde Fabrice Lhomme et Gérard Davet : « Un président ne devrait pas dire ça ». Il a été rapporté dans le livre que le président aurait qualifié l’institution judiciaire « d’institution de lâcheté ». Ce à quoi le principal intéressé demande lors de l’entrevue avec les deux magistrats : « J’ai dit ça moi ? ». « Mais vous avez été enregistré monsieur le Président », lui répond sa conseillère technique, avant qu’il lâche un « ah bon ? ».

La « guerre » entre juges et politiques se poursuit

L’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée en mai 2017 n’est pas synonyme d’apaisement dans les relations entre les magistrats et la classe politique. À peine nommés au sein du premier gouvernement d’Édouard Philippe, les deux personnalités centristes, François Bayrou et feu Marielle de Sarnez, sont pris dans l’affaire des assistants parlementaires du MoDem et sont donc contraints de démissionner. L’actuel garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, bête noire des juges, a été mis en examen en 2021 pour « prise illégale d’intérêts ». Une première pour un ministre de la Justice.

Aussi, la question du rapport qu’entretient les juges avec le Rassemblement national, qui n’a jamais été aussi proche du pouvoir, se pose. Dans les dernières pages de son livre, le spécialiste des affaires politico-financières rappelle que le procès de Marine le Pen et des cadres du RN dans l’affaire des emplois fictifs au Parlement européen est prévu en octobre 2024 et soulève ainsi la question de la possible condamnation de la triple candidate à l’élection présidentielle. Une condamnation qui pourrait l’empêcher de prétendre à la fonction suprême en 2027.

Cependant, les relations entre le parti à la flamme et les magistrats pourraient être moins négatives qu’annoncé. Avec son processus de dédiabolisation et de notabilisation enclenché depuis plusieurs années, le Rassemblement national a su attirer dans ses rangs des personnalités issus du monde de la magistrature. En 2019, le procureur général à la Cour d’appel de Poitiers et ex-membre de LR Jean-Paul Garraud, rejoignait la liste de Jordan Bardella lors du précédent scrutin européen. Ce mercredi 24 avril, c’était au tour de l’ancienne magistrate pénaliste et juge d’instruction, Pascale Piera de rejoindre la liste RN en vue des élections européennes de juin prochain.

Mais pour le moment, il ne devrait pas y avoir de trêve dans la « guerre secrète » entre juges et politiques. Ce mercredi 24 avril, la Cour de cassation a définitivement reconnu la culpabilité de François Fillon dans l’affaire de l’emploi fictif de son épouse et un nouveau procès a été ordonné.

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