Opinion
Pascal Dupré : « L’abandon des méthodes traditionnelles d’écriture et de lecture au profit de la méthode globale a été terrible pour les élèves »
ENTRETIEN – Les chiffres sont alarmants. Selon des résultats de tests passés à la rentrée 2024 et publiés cet été par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale, 60,4 % des élèves de troisième présentent une maîtrise satisfaisante de la lecture. Autrement dit, ils sont capables de lire 150 mots ou plus en une minute. Mais 16,8 % d’entre eux n’ont pas le niveau requis en fin d'école primaire.

Une salle de classe à Paris, la veille de la rentrée scolaire, le 31 août 2015.
Photo: LIONEL BONAVENTURE/AFP/Getty Images
Pascal Dupré est professeur des écoles et président du GRIP (Groupe de Réflexion Interdisciplinaire sur les Programmes). Nous sommes tombés tellement bas que même avec des programmes moins pires qu’avant, il est difficile de rétablir la situation, déplore-t-il.
Epoch Times – Comment expliquez-vous ce niveau inquiétant des élèves en lecture ? Quelle en est, selon vous, la cause principale ? Vous dénoncez souvent la méthode globale …
Pascal Dupré – Dès le début des années 2000, avec le GRIP, nous avions anticipé cette baisse du niveau des élèves. C’est d’ailleurs en 2004 que l’instituteur Marc le Bris a publié Et vos enfants ne sauront pas lire … ni compter ! Un livre vraiment prémonitoire. Les statistiques officielles ont ensuite confirmé cette réalité.
Les causes de cet effondrement sont multiples. Elles sont d’abord pédagogiques. Par exemple, l’abandon des méthodes traditionnelles d’écriture et de lecture au profit de la méthode globale a été terrible pour les élèves. Celle-ci ne prenait pas en compte la structure alphabétique de la langue.
Ensuite, le monde qui nous entoure, à la fois environnemental, naturel et culturel, a profondément changé. Tout le langage qui était lié aux sens physiques s’est progressivement effondré.
J’ai, pour ma part, grandi dans un territoire rural. J’étais donc en contact direct avec la nature. Je fréquentais également des personnes de mon entourage familial qui exerçaient des professions manuelles comme celle de menuisier. Et à l’école primaire, nous apprenions les noms de toutes ces professions. Nous connaissions alors parfaitement notre environnement.
À la fin de ma carrière de professeur des écoles, je me suis rendu compte que les enfants n’avaient jamais entendu parler de ces métiers qui ont, pour la plupart, disparu.
Diriez-vous que, de nos jours, les programmes scolaires ne permettent plus aux élèves d’avoir un niveau de lecture satisfaisant ?
Cela a été vrai longtemps. Je note cependant que certaines réformes mises en œuvre ces dernières années, notamment sous l’influence des neurosciences, vont dans le bon sens.
Mais nous sommes tombés tellement bas, que même avec des programmes moins pires qu’avant, il est difficile de rétablir la situation.
À votre avis, la trop forte utilisation des écrans impacte-t-elle également le niveau de lecture des jeunes français ?
Oui, c’est évident. Cela a d’ailleurs été démontré par des spécialistes en neurosciences, et certains psychologues. La perte des sens, à la fois physiques et moraux, a été aggravée par les écrans.
Le GRIP propose une série de manuels scolaires pour rehausser le niveau des élèves, notamment en lecture. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ces manuels ?
Au départ, notre but était de créer un réseau d’écoles au sein duquel on pouvait tester certaines de nos propositions, les mettre en pratique d’une certaine manière et, in fine, prouver leur efficacité.
Ensuite, il a fallu étayer ces propositions dans des manuels. L’idée a donc été de recréer des anciens manuels qui ont disparu dans les années 1970.
Pour la lecture, nous avons choisi de sortir de la littérature enfantine qui était alors imposée pour revenir à des textes plus classiques à l’instar de ceux de Maurice Genevoix, Marcel Pagnol ou encore René Barjavel. C’est-à-dire, étudier des textes datant d’une époque où la langue était très vivante et où la culture rurale avait toute son importance.
Une solution qui tranchait complètement avec ce qu’on nous proposait. À savoir, des textes dans lesquels les jeunes originaires de banlieues pouvaient se reconnaître.
Certains nous disaient que les enfants ne seront jamais passionnés par ces auteurs du XXᵉ siècle, mais ils accrochent très bien en réalité. Ils voient cela comme un autre monde et une fiction.
Le GRIP propose un « apprentissage de la lecture par une préparation très ciblée dès la maternelle ». C’est-à-dire ?
Nous nous sommes très vite aperçus que le maillon faible était l’école primaire, voire l’école maternelle, et non pas le collège comme certains ont pu le dire.
Dès les années 1960, il y a eu une rupture au sein de l’école maternelle française. On est passé d’une école qui apprend à lire et à écrire à une école du « vivre ensemble ». Tout ce qui existait en matière d’apprentissage de prélecture a été remplacé par une mise en valeur de la spontanéité de l’enfant.
L’école maternelle a été victime d’idées rousseauistes et révolutionnaires qui consistent à faire de l’État l’entité qui éduque les enfants, à la place des parents.
Comment, aujourd’hui, le monde enseignant accueille-t-il vos solutions et vos propositions ?
Les réactions sont très diverses. Mais je dirais, pour reprendre une formule de la psychologue Ariane Bilheran, que la plupart des enseignants sont atteints de « normo-pathologie ». Ils veulent absolument rester dans une norme.
Par ailleurs, même si nous sommes revenus à des méthodes plus analytiques, les enseignants ont longtemps été influencés par le discours des pédagogues, consistant à dire que les parents ne devaient absolument pas se mêler de l’enseignement de la lecture puisque c’était une « affaire de spécialistes ».
Aujourd’hui, cette emprise idéologique demeure, au point que les professeurs sont dans l’obligation de se conformer à certaines méthodes.
J’ai toujours en tête cette anecdote d’un professeur des écoles, Charles-Aimé Capcarrère, qui avait choisi de donner un nom de promotion à sa classe pour renforcer l’unité et la cohésion du groupe. Le nom retenu avait été celui d’Arnaud Beltrame. Mais lors de son inspection, l’inspecteur lui a adressé une remarque terrible : « J’admire le résultat, mais j’abhorre vos méthodes ».
Cette obligation d’utiliser des méthodes considérées comme progressistes ne rend vraiment pas service aux enseignants.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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