Pékin resserre son emprise sur la Birmanie, les fractures apparaissent

Le chef de l’armée birmane, le général Min Aung Hlaing (au c.), lors d’une rencontre bilatérale avec le dirigeant du Parti communiste chinois Xi Jinping avant le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) de 2025, dans la maison d’hôtes de Tianjin, le 30 août 2025, à Tianjin, en Chine.
Photo: Andres Martinez Casares – Pool/Getty Images
Lorsque le Parti communiste chinois a convié deux douzaines de chefs d’État à Tianjin, en Chine, avant son imposant défilé anniversaire de la guerre le mois dernier, il semblait élever le rôle d’un dictateur militaire.
Min Aung Hlaing, à la tête du régime militaire birman (également connu sous le nom de Myanmar), avait essuyé des refus du PCC lors de ses précédentes demandes d’audience il y a quelques années.
Mais cet ancien officier réputé « anti-Chine » s’est vu accorder cette fois un entretien bilatéral avec Xi Jinping, lequel a promis de soutenir sa candidature à l’Organisation de coopération de Shanghai.
Aujourd’hui, le PCC apparaît comme un allié inébranlable de la junte birmane, tout en continuant parallèlement à orienter et financer diverses factions qui lui sont opposées.
Cependant, à mesure que le PCC consolide sa position en Birmanie, il impose des conditions que certaines de ces factions jugent inacceptables. L’intérêt récemment rapporté des États-Unis pour les incroyables gisements de minerais critiques du pays complique davantage la donne.
Le PCC a réalisé d’immenses investissements en Birmanie, dont un corridor stratégique visant à offrir à la Chine un accès direct à l’océan Indien, conférant ainsi un atout majeur dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes.
Pour protéger ces investissements, le PCC a infléchi les événements en Birmanie de façon à accentuer la détresse des civils de cette nation ravagée par la guerre, estiment des experts des droits humains, manipulant les factions selon ses intérêts.
Troisième réserve mondiale de minerais critiques
La Birmanie partage ses frontières avec l’Inde à l’ouest, la Chine au nord-est et la Thaïlande au sud-est.
Parmi les experts en politique étrangère qui dénoncent le manque d’attention porté par les États-Unis à la Birmanie, certains avancent que les vastes gisements de terres rares justifieraient à eux seuls une implication accrue.
La Chine domine le secteur du traitement des minerais critiques, dont elle concentre 90 % de l’industrie, et s’approvisionne largement en Birmanie. Elle détient elle-même environ 60 % des réserves brutes, selon des données américaines.
Lorsque les entreprises chinoises ont commencé à fermer certaines de leurs exploitations les plus polluantes en 2016, elles en ont déplacé une grande partie de l’autre côté de la frontière, en Birmanie, reproduisant les mêmes pratiques destructrices, selon des enquêtes d’ONG dont Global Witness.
Les terres rares lourdes – abondantes mais disséminées dans d’autres gisements – sont généralement extraites par injection de produits chimiques toxiques dans le sol. L’imagerie satellite montre la frontière birmane criblée de milliers de fosses de lixiviation, révélant l’ampleur du phénomène sur une surface équivalente à celle de Singapour en 2022.
D’après une estimation du Service géologique des États-Unis (U.S. Geological Survey), la Birmanie s’est classée en 2024 au troisième rang mondial pour la production de minerais critiques. Le pays est notamment riche en dysprosium et en terbium, deux minéraux essentiels à la fabrication de certains aimants utilisés dans l’électronique et de nombreux biens de consommation.
Lorsque Pékin, en riposte aux tarifs douaniers américains, a suspendu l’exportation de ces aimants plus tôt cette année, la perturbation soudaine de la chaîne d’approvisionnement a conduit plusieurs constructeurs automobiles à interrompre leur activité en quelques mois.
Les États-Unis n’ont pas affiché publiquement d’intérêt pour les terres rares birmanes, mais l’administration Trump a reçu des propositions et sollicité des notes à ce sujet.
L’Inde s’est aussi montrée intéressée par cet approvisionnement.
L’intérêt étranger pour ces ressources empiéterait sur les intérêts du régime chinois – lequel ne contrôle pas intégralement les territoires concernés.

(Google Maps)
Champ de bataille
La Birmanie est embourbée dans la guerre civile depuis une grande partie de son histoire moderne, après avoir proclamé son indépendance en 1948.
Des réformes libéralisatrices ont émergé dans les années 2010, propulsant la dirigeante pro-démocratie Aung San Suu Kyi et marquant la première visite d’un secrétaire d’État américain en un demi-siècle. Mais en 2021, l’armée a perpétré un coup d’État.
Bien que la junte ne contrôle qu’une minorité du territoire, elle se maintient dans les grands centres urbains grâce à l’appui du PCC.
Antonio Graceffo couvre la Birmanie depuis vingt ans et réside actuellement près de la frontière thaïlandaise, où il réalise des reportages et organise une aide humanitaire. Ses travaux sont publiés dans Epoch Times.
La Birmanie rassemble 135 minorités ethniques et quelque 120 groupes armés dont les territoires sont non-contigus, explique M. Graceffo. Cette géographie complexe lui a récemment imposé de rallier une école en une journée entière, alors qu’elle n’était qu’à quinze minutes de route, pour éviter les zones de conflit.
En 2008 déjà, M. Graceffo observait des combats portés essentiellement à vue, les ennemis n’étant qu’à portée de jumelles. Désormais, il affirme, « les bombes tombent en permanence ».
La junte détient la suprématie aérienne. Le travail de M. Graceffo consiste aussi à photographier des drones abattus et d’autres armes pour les envoyer à l’ONU, au département d’État américain ou à d’autres autorités, qui confirment que les bombes et drones utilisés contre les civils sont d’origine chinoise. L’armée cible notamment les églises, écoles, hôpitaux et établissements proches d’investissements chinois.
« Ils veulent vider les lieux de population locale », explique M. Graceffo. Les groupes armés interviennent pour protéger les civils et défendre leur territoire, et la violence contre les habitants vivant à proximité d’investissements chinois les décourage aussi de rester, ajoute-t-il.
Les déplacements de population ont nettement accru. En février, une bataille a déplacé 20.000 personnes en seulement 36 heures. Mais au-delà du nombre, selon M. Graceffo, la dynamique a changé : autrefois, les déplacés se réfugiaient à quelques kilomètres de leur domicile, aujourd’hui, le danger est tel qu’ils cherchent à gagner au plus vite la frontière thaïlandaise.
Les investissements chinois en Birmanie sont considérables. Le Corridor économique Chine–Myanmar (CMEC) s’inscrit dans la « Nouvelle route de la soie » du PCC, reliant le Yunnan à un port donnant sur le golfe du Bengale. Le long de ce tracé s’égrènent de nombreux projets d’infrastructures énergétiques, dont un oléoduc, un parc industriel et une voie ferrée. La Chine exploite aussi d’autres richesses birmanes comme le jade ou le bois.
Si pour le citoyen lambda Pékin ne tire pas toutes les ficelles, les groupes armés locaux sont pleinement conscients de l’implication du PCC.
« Ici, la Chine est facile à détester », résume M. Graceffo. « Si vous commerçez avec la Chine et dépendez d’elle, c’est le PCC qui dicte vos actes. »
Un exemple : l’Armée de libération nationale Ta’ang (TNLA), en contact avec Pékin et parlant aussi chinois, a repris certains territoires à la junte cette année. Sans tarder, la Chine a exigé que cette armée restitue ces terres.
« Tous ces groupes armés cherchent avant tout à contrôler leur État ethnique pour s’affranchir de la junte militaire », rappelle M. Graceffo. « Mais reprendre un territoire a un coût : des vies humaines. Ces jeunes combattants de 19 ou 20 ans meurent afin d’offrir la liberté à leur peuple. Puis la Chine intervient et vous intime : ‘Rendez ces terres’. »
Cette tension entre groupes ethniques économiquement dépendants de la Chine et la junte soutenue par Pékin a permis cette année quelques avancées aux insurgés.
L’État Kachin, tout au nord de la Birmanie, concentre des milliers de fosses de lixiviation près de la frontière chinoise. En octobre 2024, l’Armée indépendante kachin (KIA) a conquis des mines détenues par la junte et augmenté les prix pour les acheteurs chinois, ce qui a fait baisser les importations. En décembre, elle a tenté de s’emparer de Bhamo, ville clé sur le plan stratégique.
La KIA « hait la Chine mais en dépend économiquement », explique M. Graceffo, ajoutant que cet État a soumis des propositions à l’administration Trump pour vendre ses minerais, et accueillerait favorablement un accord avec Washington, dont il a rédigé des notes à la demande.
En mai, Reuters rapportait que le PCC avait exigé de la KIA l’abandon de Bhamo, la menaçant de ne plus acquérir ses minerais. Le même mois, des militants des droits humains ont repéré grâce à des images satellite l’apparition de fosses de lixiviation dans le Shan, près de la frontière thaïlandaise.
Dans cette région, c’est l’Armée unie de l’État Wa (UWSA) — une milice très liée à la Chine — et la junte qui contrôlent les mines selon Hark Jet, porte-parole de la Shan Human Rights Foundation.
Ces exploitations ont alarmé le côté thaïlandais, l’opinion redoutant que la pollution ne touche eaux et terres agricoles. Le phénomène a déjà ralenti le commerce et le tourisme, observe M. Jet. Les autorités locales procèdent à des analyses régulières et tentent d’alerter les autorités birmanes, mais du côté birman, « les populations n’ont aucune voix », précise-t-il.
Même l’UWSA, pourtant proche de la Chine, porte des intérêts divergents, souligne M. Graceffo. L’organisation fabrique des munitions et armes qu’elle revend à la résistance opposée à la junte appuyée par Pékin. « Récemment, Pékin leur a demandé de cesser. Reste à voir la suite. »
Pourquoi la Chine a besoin de la Birmanie
La Birmanie s’est récemment illustrée par ses « usines à escroqueries », ces sites où des ressortissants birmans, chinois et thaïlandais sont asservis et forcés de commettre des cybercrimes.
Ces centres de fraude rappellent que les intérêts du PCC et de la junte ne convergent pas toujours.
Le régime chinois souhaite éliminer ces centres qui défrayent la chronique, mais la junte en tire profit et rechigne à sévir. De surcroît, ces structures fleurissent aussi vite qu’elles sont démantelées, et certaines restent plus discrètes.
La Birmanie revêt une importance stratégique majeure pour Pékin.
« La Chine tente de résoudre la question du détroit de Malacca », explique Adam Lovinger, vice-président des affaires stratégiques du Gold Institute, à Epoch Times.
Le détroit, entre l’Indonésie et la Malaisie, relie l’océan Indien au Pacifique : c’est l’un des principaux couloirs maritimes mondiaux. Mais c’est aussi le seul accès actuel de la Chine à l’océan Indien. En cas de conflit avec Taïwan, si les États-Unis interviennent, ils pourraient couper la route maritime à la Chine à cet endroit stratégique. Puisque la politique de « l’ambiguïté stratégique » de Washington ne garantit rien, Pékin élabore divers scénarios.
Contrôler le corridor CMEC vers l’océan Indien permet à la Chine de contourner Malacca, d’encercler l’Inde, de résoudre une partie de ses problèmes énergétiques et de projeter une puissance militaire terrestre, expose M. Lovinger.
« Pékin sait que les États-Unis s’imposent dans l’Indo-Pacifique et s’y installent. Ils cherchent donc à multiplier les options », expose-t-il. « Cela leur permet aussi de menacer davantage l’Inde… La Chine veut encercler l’Inde de toutes parts. »
Il observe par ailleurs que la Chine, ayant accusé un retard maritime, « cherche à compenser en développant le pouvoir terrestre et de nouveaux corridors de puissance économique… Le CMEC offre un potentiel militaire et économique. »
Dans cette optique, Pékin soutient la junte birmane, lui fournissant armes, argent, et exerçant même des pressions directes sur les forces de résistance. Des entreprises chinoises ont également vendu à la junte la technologie pour édifier son propre « Grand Pare-feu », réplique du système chinois de censure d’internet, permettant au régime militaire de contrôler et couper l’accès selon ses besoins. Ces outils consolident le pouvoir de la junte.
« La Chine est leader mondial des technologies de répression des foules », conclut M. Lovinger. « Dans l’histoire, des régimes ont chuté faute d’avoir pu mater les soulèvements, mais Pékin, craignant pour sa propre légitimité, a multiplié ces technologies qu’il exporte désormais au Myanmar : c’est profondément délétère. »
Le PCC a aussi promu la légitimité de la junte à l’échelle internationale, traitant Min Aung Hlaing en chef d’État et soutenant l’élection à venir qui ne retiendra que des partis validés par l’armée.
M. Lovinger estime que la Chine colonise pratiquement la Birmanie par l’entremise de la junte, mais que cette dernière devrait s’inquiéter de sa propre dépendance.
« Pékin ne veut ni d’une junte trop forte, ni trop faible : elle doit rester malléable, un outil. Vu les richesses, l’armement et l’aide reçus, les militaires birmans s’accommodent de cette situation », explique-t-il.
« Bien sûr, Xi Jinping pourrait s’en débarrasser du jour au lendemain », poursuit-il. Il cite la baisse du soutien russe à la Syrie, accaparée par la guerre en Ukraine, comme précédent : « La junte birmane pourrait connaître le même sort en cas de distraction chinoise. »
Les affrontements de « l’opération 1027 » en 2023 illustrent la capacité du PCC à renverser ou remplacer la junte s’il le souhaite.
Le 27 octobre 2023, plusieurs groupes de la résistance se sont alliés pour une offensive coordonnée contre la junte. Pékin semblait au moins donner son aval, laissant durer les combats plusieurs mois, sur des zones connues pour leurs centres d’arnaque numérique dont la dissolution servait ses intérêts.
Mais à mesure que la résistance s’emparait de nouveaux territoires et que la junte alertait sur la menace, Pékin est intervenu pour sommer certains groupes de déposer les armes.
Reuters a contribué à ce reportage.

Catherine Yang est journaliste pour Epoch Times, à New York.
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