EUROPE

Perspective d’une surveillance de masse en Serbie

mars 15, 2023 13:23, Last Updated: mars 15, 2023 13:23
By Ana Toskić Cvetinović

Depuis 2019, des organisations serbes mettent en garde contre la surveillance de masse.

« L’État moderne totalitaire repose sur le caractère secret du régime, mais une surveillance accrue avec exposition pour tous les autres groupes. La société démocratique repose sur le caractère public en tant que moyen de contrôle du gouvernement et sur le principe de vie privée réservée au groupe et aux personnes dans leur quotidien. » – Alan Westin, 1967.

En décembre 2022, le ministre serbe de l’Intérieur a publié un projet de loi sur les Affaires intérieures. C’était la deuxième fois en 16 mois que le ministre soumettait cette loi qui pourrait accroître de manière significative l’autorité des policiers, renforçant l’influence du politique sur la police et ses interventions, ainsi que l’introduction d’une assise légale pour la surveillance biométrique de masse en Serbie.

C’était aussi la deuxième fois en 16 mois que le projet de loi a été retiré du processus législatif. Cependant, contrairement à ce qu’il s’est passé en septembre 2021, à l’initiative du Président Aleksandar Vucic qui justifiait que ce n’était pas le bon moment dans l’agenda politique (à ce moment-là, la Serbie se préparait pour un autre tour d’élections nationales), cette fois-ci c’était la Première ministre Ana Brnabic qui initiait ce retrait. Elle a promis que le travail engagé sur cette loi continuait dans le cadre d’un processus de consultation d’écoute et ouvert de tous les responsables politiques concernés.

Les deux tentatives pour faire adopter la Loi sur les Affaires intérieures ont suscité de fortes réactions de la part des Serbes et des organisations internationales de la société civile qui ont pour la majorité critiqué les dispositions augurant d’une surveillance biométrique de masse. Mais leur opposition remonte à 2019, lorsque le ministre de l’Intérieur d’antan annonçait que la ville de Belgrade ferait l’objet d’une surveillance biométrique avec des caméras reliées à un logiciel de reconnaissance faciale, ainsi qu’un système de reconnaissance automatique des plaques d’immatriculation des voitures. La Serbie a fait l’acquisition de ce système de surveillance non suffisamment éprouvé auprès de l’entreprise chinoise Huawei, grâce à un contrat tenu secret, sans base légale préalable pour son utilisation, sans identifier l’usage nécessaire et proportionnel de ce système, mais également sans engager une étude d’impact de telles technologies intrusives afin de connaître les effets sur les droits des citoyens. Face aux questions de l’opinion publique, la réponse du gouvernement a toujours été la même : les caméras ont été installées, mais le logiciel de reconnaissance faciale n’a pas été acheté et ils utilisent la technologie ordinaire disponible de vidéo-surveillance (CCTV).

Quatre ans plus tard, il est étrange que le ministre de l’Intérieur et le gouvernement serbe n’ont pas abandonné la mise en place d’un tel système de surveillance intrusive des citoyens. En janvier, la rencontre était organisée par la Première ministre Brnabic, rassemblant des représentants de la société civile et des ministères concernés, pour discuter les dispositions qui faisaient l’objet de critiques. Bien que le déroulé précis du processus législatif n’ait pas encore été établi, il est certain que (sans doute à un moment politique opportun) un nouveau projet de loi sera présenté, tentant d’assurer une base légale pour ce qui aura été la volonté des autorités depuis des années.

Mais qu’est-ce qui rend ce système si attrayant aux yeux des autorités serbes pour qu’ils essaient depuis plus de trois ans de le rendre opérationnel, et ce sans adopter dès le départ une régulation qui légaliserait l’installation et l’utilisation de caméras capables d’automatiser la reconnaissance faciale ?

Il faut dire la vérité, les gouvernements du monde entier utilisent de manière de plus en plus importante la surveillance biométrique, au départ pour empêcher certains crimes et poursuivre leurs auteurs. Cependant, une étude de cas a montré que, bien que ce système peut aider à résorber certains crimes, ce sont les crimes mineurs qui sont les plus concernés. S’agissant du crime organisé par exemple, les caméras dans les espaces publics ne sont pas dissuasives. En Serbie, une analyse comparée n’a pas démontré la situation de la criminalité, à quel point notre société est (non) protégée et pourquoi la surveillance biométrique est le seul moyen qui pourrait contribuer à notre sécurité.

Ce dernier point est particulièrement significatif si l’on se réfère à l’étude comparée qui a montré de nombreux effets négatifs de la surveillance biométrique. Le système implique en lui-même une limitation permanente du respect de la vie privée des citoyens mais les problèmes dépassent cela davantage. Des situations de mauvaise identification et d’erreurs du système ont conduit à des inculpations à tort. L’algorithme a le plus couramment identifié comme suspects des membres de minorités tandis que les autorités de certains pays utilisent ce système pour passer un accord avec ceux qui ne partagent pas leurs idées politiques. Enfin, la recherche a démontré que l’implantation de ces technologies dans l’espace public a des conséquences effrayantes. En sachant qu’ils sont constamment surveillés, les citoyens ne se sentent pas libres d’échanger, de se rencontrer, de participer à des rassemblements politiques ou d’exprimer autrement leurs avis, opinions et préoccupations.

Tout cela est le sujet d’intenses débats en cours au sein de l’Union européenne, qui porte une proposition de Règlement concernant l’intelligence artificielle (AI Act), une régulation qui devrait superviser le développement et le déploiement de l’intelligence artificielle dans les États membres. On ne sait pas encore à quoi ressemblera la version finale du Règlement mais la société civile, les groupes de défense des droits de l’Homme et la plupart des membres du Parlement européen ont appelé à l’interdiction de la surveillance biométrique de masse.

Au regard de tout cela, nous ne devons pas tolérer des décisions hâtives autorisant l’introduction de la surveillance biométrique en Serbie. Au lieu de solutions hâtives et non transparentes, nous avons besoin de débats raisonnés quant à savoir si nous avons besoin d’un tel système, quel but nous voulons lui assigner et finalement, si nous, en tant que communauté, sommes prêts à abandonner de manière permanente une part de notre liberté.

Cet article a été écrit par Ana Toskić Cvetinović, directrice générale de l’organisation de la société civile Partners for Democratic Change  Serbia [Acteurs pour le changement démocratique en Serbie], membre du réseau Increasing Civic Engagement in the Digital Agenda (ICEDA) [Encourager l’engagement civique dans l’agenda numérique].

L’article traduit par Celine A. et publié avec l’aimable autorisation de Global Voices.

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