Pierre auto-cicatrisante : des scientifiques découvrent une recette de béton romain élaborée il y a 2000 ans et son fonctionnement

Par Michael Wing
22 mai 2023 14:59 Mis à jour: 22 mai 2023 14:59

Nos villes tombent en ruine. Les ponts en béton, autrefois magnifiques, présentent aujourd’hui des armatures rouillées. Les trottoirs se déforment et se fracturent sous nos pieds, même s’ils ne sont pas si vieux. En l’espace de quelques décennies seulement, nos villes de béton se dégradent d’ores et déjà.

Le béton romain antique, quant à lui, continue de résister à des milliers d’années d’intempéries, de vagues et d’usure. Des structures telles que le Panthéon de Rome sont toujours aussi solides ; malgré des siècles soumis à toutes sortes de chocs, les piliers en béton romain sous-marins gagnent en robustesse au fil des jours. Quel génie se cache derrière le béton romain ? Quel pourrait être le secret de cet ancien agrégat ?

En bref, nous ne savons pas. Leurs recettes ont été perdues. Tout ce que nous avons, ce sont les bétons eux-mêmes, et quelques écrits qui nous sont parvenus de l’Antiquité. L’encyclopédiste romain Pline, par exemple, explique que les structures sous-marines deviennent « une seule masse de pierre, imprenable par les vagues et chaque jour plus solide ».

Un pont en ruine dans une zone urbaine d’Amérique du Nord. (David P. Lewis/Shutterstock)

Les formules ont été perdues au fil du temps, mais les scientifiques modernes ont récemment fait des progrès dans l’ingénierie rétroactive de ces anciennes compositions de béton.

Tout d’abord, en 2017, Marie Jackson, géologue à l’université de l’Utah, a montré que le mélange d’eau de mer avec des cendres volcaniques et de la chaux, ainsi que d’autres composés, produit un résultat étonnamment similaire à celui décrit par Pline. L’eau de mer qui s’infiltre dans le béton provoque la croissance de minéraux imbriqués qui renforcent constamment et continuellement sa cohésion. L’eau de mer. Qui l’eût cru ?

Plus récemment, en 2023, des scientifiques ont fait une nouvelle percée dans l’ingénierie rétroactive du béton romain.

Une équipe dirigée par Linda Seymour, chercheuse en génie civil au MIT, a découvert que les « grumeaux » de chaux d’un blanc éclatant dans le béton romain n’étaient pas simplement le résultat d’un « mélange insuffisant de mortier » pratiqué par les Romains. Contrairement aux grumeaux de farine non mélangée dans un ragoût de bœuf, ces grumeaux de chaux jouent un rôle utile en conférant au béton romain sa durabilité à long terme et ses ingénieuses propriétés d’auto-réparation.

Ils ont prélevé des échantillons de mortier dans les ruines des murs de Privernum, près de Rome, âgées de 2000 ans, et les ont analysés par spectroscopie et microscopie électronique.

(À gauche) Les échantillons testés proviennent du site archéologique de Privernum, près de Rome, en Italie. (À droite) Les échantillons de mortier de construction ont été prélevés sur le mur d’enceinte en béton qui borde la ville. (Avec l’aimable autorisation de Roberto Scalesse et Gianfranco Quaranta via Admir Masic)
(À gauche) Carte élémentaire SEM-EDS de grande surface (5 mm de largeur d’image) d’une section polie du mur de Privernum ; (En haut à droite) La cartographie de la spectroscopie à rayons X à dispersion d’énergie (EDS) de grande surface d’une surface brisée révèle les régions riches en calcium (rouge), en aluminium (bleu), en silicium (vert), et en soufre (jaune) du mortier ; (En bas à droite) Une imagerie plus détaillée des coupes transversales polies montre des clastes de chaux résiduels à l’échelle des agrégats du mortier (les grandes structures rouges marquées d’un astérisque). Les flèches colorées indiquent les anneaux bordant les pores visibles sur les données EDS riches en calcium (rouge) ou en soufre (jaune), qui sont agrandis à droite pour montrer des détails supplémentaires. (Avec l’aimable autorisation de Linda M. Seymour, Janille Maragh, Paolo Sabatini, Michel Di Tommaso, James C. Weaver et Admir Masic)

Selon leurs conclusions, les chercheurs ont proposé de considérer que lorsque l’eau pénètre dans le béton, les poches de chaux, appelées clastes ou restes de chaux, qui subsistent dans les granulats tout au long du processus, rendent le béton de nouveau réactif. Il en résulte un mécanisme inhérent de colmatage des fissures à long terme, intégré dans le béton.

Il s’est avéré que, outre l’ajout d’eau de mer, les Romains n’utilisaient pas le mélange de « chaux éteinte » (chaux prémélangée à de l’eau) des temps modernes, ou qu’ils l’utilisaient en plus de la méthode de « mélange à chaud » de chaux vive brute, et non en poudre ou en pâte, pour leur préparation de béton. Ce dernier ajout constitue la révélation et la raison d’être des blocs de chaux auto-cicatrisants.

Inspirés par ces résultats, ils ont développé de nouvelles préparations inspirées de l’époque romaine et les ont testées. Des échantillons cylindriques ont été fabriqués, puis une fois durcis, ils ont été fracturés dans le sens de la longueur et soumis à un circuit d’écoulement d’eau constant pendant 30 jours. À la fin, les fractures se sont refermées d’elles-mêmes, c’est-à-dire qu’elles se sont cicatrisées.

Expériences d’autocicatrisation du mortier moderne : Après avoir été coulés, les échantillons de béton chaud inspiré de l’époque romaine ont été fracturés mécaniquement, puis remis en place (avec un espace de 0,5 ± 0,1 mm) et préconditionnés pour nos études sur la cicatrisation des fissures (A). À l’aide d’un circuit d’écoulement intégré (B), nous avons mesuré le débit d’eau à travers l’échantillon pendant 30 jours à l’aide d’un débitmètre. Comparé au contrôle sans calcaire (ligne orange), après 30 jours, l’écoulement de l’eau à travers l’échantillon contenant des calcaires (ligne bleue) a cessé (C), et l’examen de la surface fissurée a révélé qu’elle avait été complètement comblée par une nouvelle couche minérale précipitée (D et E), qui a été identifiée comme étant de la calcite grâce à des mesures de spectroscopie Raman (F). (Avec l’aimable autorisation de Linda M. Seymour, Janille Maragh, Paolo Sabatini, Michel Di Tommaso, James C. Weaver et Admir Masic)
En cas de fissure, l’eau peut s’infiltrer, transportant une solution enrichie en calcium dans le réseau de trous pour réparer les dommages (processus 1). (Avec l’aimable autorisation de Linda M. Seymour, Janille Maragh, Paolo Sabatini, Michel Di Tommaso, James C. Weaver et Admir Masic)

Dans leur étude, publiée dans Science Advances, ils écrivent : « Que les dégradations surviennent dans les années qui suivent la construction ou des siècles plus tard, tant que les fragments de chaux subsistent, ces fonctions autocicatrisantes peuvent persister ».

Ils ajoutent que ces résultats ont des « implications considérables pour l’allongement de la durée de vie du béton, [et] sa durabilité à long terme ».

Imaginez : des ponts en béton qui durent des siècles, voire des millénaires. Des trottoirs qui durent toute une vie ou plus. Des fondations imperméables aux fissures. La technologie romaine pourrait absolument changer la donne en matière d’urbanisme. Qui l’aurait cru ?

Stimulés par ces possibilités alléchantes, ils ont noté que de futures études pourraient explorer comment ce « mécanisme d’autoréparation peut être mis en œuvre dans les infrastructures modernes, à la fois pour le béton armé et pour les applications non renforcées ». L’impression 3D du béton pourrait même en faire partie, fusionnant ainsi la technologie de pointe et la sagesse du passé.

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