Opinion
Pierre-Jean Doriel : « Javier Milei a su trouver les mots pour convaincre les Argentins et leur redonner espoir »

Photo: Crédit photo : Pierre-Jean Doriel
ENTRETIEN – L’Institut des Français de l’étranger (IFE) a récemment publié une étude intitulée : « Réformer sous tension : l’expérience de Milei et ses leçons pour la France ». Un travail qui revient sur le bilan du président argentin, mais surtout sur la méthode et la démarche du libertarien pour convaincre les Argentins d’adhérer à sa politique et comment celle-ci pourrait servir de source d’inspiration pour l’Hexagone.
Pierre-Jean Doriel est directeur général de l’Institut des Français de l’étranger. Contrairement aux péronistes, Javier Milei n’a pas promis monts et merveilles aux Argentins mais a garanti que sa politique apportera des résultats, explique-t-il.
Epoch Times – Aujourd’hui, peut-on dire que l’Argentine se porte beaucoup mieux économiquement ? Si oui, quels sont les grands succès de la politique de Javier Milei ?
Pierre-Jean Doriel – Je serais en train d’exagérer si je vous disais que tout est parfait en Argentine en ce moment. Le chômage reste élevé et la dollarisation de l’économie a impacté certains secteurs, notamment l’hôtellerie et la restauration.
Mais force est de constater que ce grand pays d’Amérique latine est sur la bonne voie.
À titre d’exemple, la croissance devrait dépasser 4,3 % en 2026 et avoisiner les 5,3 % à la fin de l’année 2025 selon l’OCDE s’il n’y a pas de crise majeure. Ce qui est remarquable quand on sait qu’elle ne va que très rarement au-delà de 1 % chez nous.
Par ailleurs, Javier Milei a divisé par dix l’inflation, le problème endémique de l’Argentine. Elle est passée de 211 % en 2023 à environ 37 % en 2025 et est estimée à 15 % pour 2026, toujours selon l’OCDE.
Il a ainsi redonné confiance aux Argentins, aux investisseurs, et surtout aux grands bailleurs internationaux.
Un autre succès du président argentin réside dans la réduction drastique du déficit budgétaire au point que le gouvernement va parvenir à dégager un surplus budgétaire de 1,5 % en 2026.
Beaucoup de ses détracteurs ont pointé du doigt la hausse de la pauvreté. Ce qui est vrai la première année puisque les réformes ont été assez radicales et immédiates, mais elle a ensuite très rapidement diminué. Après un pic à 52,9 % en janvier 2024, elle atteignait 38,1 % à la fin de l’année contre 31,6 % aujourd’hui.
Le président libertarien a-t-il d’une certaine manière transformé la société argentine ?
Je dirais que c’est plutôt la société elle-même qui s’est transformée. Mais il est certain que Javier Milei a su trouver les mots pour convaincre les Argentins et leur redonner espoir.
Sa démarche a été d’une certaine manière churchillienne : contrairement aux péronistes, il n’a pas promis monts et merveilles au peuple. Il a prévenu que cela allait être dur dans un premier temps, mais que sa politique apportera des résultats. Et ça, les Argentins l’ont compris.
Après 30 ans de crise ininterrompue, ils ont fait preuve de maturité et ont accepté l’offre politique de Milei malgré la dureté du programme. Par exemple, la suppression de nombreux ministères ou une baisse de 45 % des dépenses de santé, pour ne citer que ces réformes.
Ils ont fait preuve d’autant de résilience que les Grecs qui, après quelques années de contestation, ont compris que le temps était venu de réaliser des économies.
Certes, le parti du président argentin vient d’accuser son premier revers électoral dans la province la plus importante du pays, mais sa politique est toujours approuvée par 45 % de la population. Chiffre qui aurait de quoi faire rougir certains dirigeants occidentaux.
Encore une fois, je ne dis pas que tout est parfait dans ce pays, mais le bilan de Javier Milei est globalement positif et l’Argentine est de nouveau crédible.
Dans l’étude, il est écrit que « l’approche [de Milei] rompt avec l’héritage péroniste d’un État omniprésent et protecteur, mais souvent inefficace et clientéliste ». En réalité, le péronisme argentin et l’étatisme français présentent des points communs…
Absolument. L’État argentin était dans une course folle à la dépense publique depuis les années 2000. Les dépenses publiques avaient littéralement doublé en 20 ans, passant de 25,25 % du PIB en 2000 à 42,48 % en 2020 !
Et à l’instar des gouvernements français successifs, l’État péroniste avait tendance à subventionner à outrance, à s’immiscer dans la vie des gens et à créer des normes en permanence.
De plus, ce dernier était aussi très clientéliste à l’égard des fonctionnaires. Fort heureusement, nous n’en sommes pas encore là en France.
Les arguments du « système péroniste » face à Milei rejoignaient un peu ceux de l’establishment français : une politique libérale conduirait inéluctablement à l’écroulement du pays, à l’appauvrissement général et à la concentration des richesses… Les Argentins ont longtemps été réceptifs à cette rhétorique jusqu’à ce qu’ils portent au pouvoir Javier Milei en 2023 en lui offrant 55 % des suffrages.
L’IFE loue la démarche de Milei. Comment cette dernière pourrait-elle être transposée en France ?
Ce que l’on admire, c’est essentiellement le courage politique dont a su faire preuve Milei. D’abord, quand on regarde son parcours, on remarque que c’est un personnage à la fois hors système et compétent. C’est un économiste de l’école autrichienne qui a enseigné, écrit beaucoup d’articles et qui a toujours défendu ses thèses. Il n’a jamais varié au gré du temps.
Ce qui a fait de lui, malgré sa radicalité, une personnalité crédible politiquement.
Ensuite, comme je l’ai dit précédemment, sans faire des promesses à qui que ce soit, il a dénoncé l’omniprésence de l’État, les dépenses publiques trop importantes et a, in fine, proposé une solution radicale aux Argentins.
Une radicalité qui tranche avec l’esprit de consensus permanent qui règne en Occident et particulièrement en France. On le voit avec les stratégies des différents gouvernements d’Emmanuel Macron, qui consistent à vouloir satisfaire la gauche et la droite. Le fameux « en même temps ». Le consensus peut s’avérer utile quand un pays ne fait pas face à des problématiques majeures. Mais la situation en France appelle à des mesures fortes et immédiates, et le concept même de consensus est plus proche de « l’immobilisme négocié » que de la « réforme offensive »…
Je crois que toute la force de Javier Milei est, contrairement à nos dirigeants, de revenir systématiquement au peuple. C’est-à-dire en allant expliquer dans les médias la pertinence de ses réformes, et en admettant que l’opposition puisse contester mais en lui déniant le droit de bloquer.
En France, j’avoue qu’en tout état de cause nous sommes loin d’une révolution économique. Notre pays est encore plus étatisé et accro à la dépense publique que l’Argentine. La moindre réforme structurelle provoque systématiquement des mouvements sociaux majeurs. Souvenez-vous de l’épisode de la timide réforme des retraites d’Emmanuel Macron… Mouvements sociaux qui finalement ne recoupent qu’une minorité à qui l’on donne le poids d’une majorité.
L’étude rappelle que les réformes du président argentin ont un coût (suspension de programmes vitaux, augmentation dans un premier temps de la pauvreté). Les Français ne seraient pas prêts à accepter ces efforts…
Oui et c’est bien dommage, même si cela évolue. La plupart des pays occidentaux ont mis en œuvre des réformes ambitieuses, que ce soit la Grèce, le Portugal et plus récemment l’Italie, alors que beaucoup en Europe pensaient que Giorgia Meloni n’était pas suffisamment compétente pour le faire.
Je pense qu’en France, nous avons besoin d’un homme ou d’une femme politique qui marquent une vraie rupture et qui soient porteurs de changement. Comme François Mitterrand finalement.
La référence à l’ancien président socialiste peut surprendre, mais d’une certaine manière, lors de son arrivée au pouvoir en 1981, il a fait comme Javier Milei, mais à gauche, et ce, malgré les réticences et les oppositions de la population. Les nationalisations et le développement des « acquis sociaux » furent décidés au pas de charge. De même, l’exemple de la peine de mort est plus que parlant. François Mitterrand l’a supprimée alors que 65 % des Français étaient favorables à son maintien !
Malgré tout, nous avons pu voir en France émerger sur les réseaux sociaux un mouvement populaire de type libéral à travers la figure de « Nicolas ». Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis pas certain que ce mouvement soit libéral. Il y a certes une contestation de l’omniprésence de l’État et de la gabegie financière, mais pas une remise en cause fondamentale de l’État nounou.
Je ne suis pas persuadé que « Nicolas » serait prêt à faire des efforts à la hauteur de ce qu’il faudrait pour rétablir nos comptes publics et qu’il soit défenseur d’un projet visant à changer profondément de logiciel.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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