Politique du logement: pilotage à vue

Par Philbert Carbon
17 mai 2023 13:57 Mis à jour: 17 mai 2023 13:57

La crise du logement qui se profile a tout pour être « historique », selon Les Échos. La Fédération française du bâtiment (FFB), de son côté, a annoncé mi-avril que les mises en chantier de logements étaient en baisse sévère et que les projections pour 2025 étaient catastrophiques. L’organisation patronale en a donc appelé à l’État et a réclamé un « bouclier logement ». Mais est-ce vraiment la solution ? Car selon la Cour des comptes, en matière de logement, l’État navigue à vue.

Les chiffres du logement ne sont pas bons. C’est la FFB qui le dit : baisse de 6,4% des mises en chantier entre février 2022 et février 2023 ; baisse de 5,1% des permis de construire sur la même période, et de 26,7% depuis le début de l’année. Les ventes de logements neufs sont aussi en chute (-31,4% pour les particuliers et -16,2% pour les promoteurs), ce qui n’augure rien de bon pour les mises en chantier futures. Les projections pour 2025 ne sont pas meilleures, avec une baisse de 25% des mises en chantier de logements neufs qui entraînerait la suppression de 100.000 postes.

Le recours à l’État

Immanquablement, l’organisation patronale en appelle à l’État afin qu’il instaure un « bouclier logement » pour les ménages : prorogation du prêt à taux zéro (PTZ) jusqu’à la fin de l’année 2024 sans discrimination territoriale ; instauration, au moins jusqu’au 31 décembre 2024, d’un crédit d’impôt lié à la règlementation environnementale RE 2020 équivalant à 15% des annuités d’emprunt pendant cinq ans ; restauration du dispositif Pinel dans sa version de 2022 et sans exclure la maison individuelle, dans l’attente de la mise en place du statut de bailleur privé.

Cet appel à l’intervention publique est inquiétant, tant nous savons combien elle est inutile. L’Iref n’a pas cessé de montrer, ces dernières années, que les gouvernants mènent en la matière une politique de gribouille qui produit irrémédiablement des résultats inverses à ceux que l’on recherchait : surprotection des locataires, réglementations écologiques, imposition excessive des revenus locatifs, plafonnement des loyers, surimposition des propriétaires, multiplication des logements sociaux, rationnement du foncier constructible, aides en tous genres, interdiction des locations touristiques, réglementation de l’accès au crédit, etc. On pourrait continuer longtemps à lister les maux qui frappent le logement et la propriété immobilière en France, maux qui s’aggravent à chaque changement de ministre – déjà neuf titulaires ou cotitulaires depuis qu’Emmanuel Macron est président de la République –, le nouveau voulant à tout prix se distinguer de son prédécesseur.

Cela dit, pour la Cour des comptes, ce n’est pas l’excès de réglementations et de taxes qui empêche le marché du logement de fonctionner correctement, mais le manque de données.

L’État manque de données pour piloter la politique du logement

Dans un référé rendu à la fin du mois d’avril 2023, la Cour des comptes révèle que les décideurs publics ne regardent jamais les pratiques de nos principaux voisins. Pourtant, affirment les magistrats, la politique française du logement « pourrait bénéficier d’une approche européenne comparée pour améliorer son efficience ». Nous en sommes convaincus à l’Iref et nous nous efforçons de mettre régulièrement en avant des exemples étrangers, bons ou mauvais.

Nos gouvernants, sans doute persuadés de leur génie, préfèrent travailler en vase clos. Encore faut-il qu’ils puissent prendre des décisions sur la base d’informations correctes. Dans un autre référé, rendu public l’été dernier, la Cour des comptes estime que « pour garantir l’efficience d’une politique publique qui représente pour l’État un coût annuel proche de 40 Md € », il est essentiel de disposer de « données fiables, exhaustives, récentes et accessibles aux responsables et aux acteurs du logement ». Notamment, les décideurs publics, précise la Cour, doivent avoir « une connaissance raisonnable des parcs de logement social et privé afin d’établir, à partir des réalités territoriales, de l’expression du besoin des demandeurs et des caractéristiques humaines et sociales de ces derniers, les stratégies les plus appropriées en matière d’offre de logement neuf, de lutte contre l’habitat indigne, de rénovation énergétique ». Or, selon les magistrats de la rue Cambon, ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Pourtant, la Cour a identifié 12 bases de données publiques sur la politique du logement, mais elles sont complexes, non actualisées, insuffisamment fiables et non exhaustives. Les observatoires des loyers et les associations départementales d’information sur le logement (Adil), financés sur fonds publics, sont ainsi beaucoup moins fiables que les sites internet privés qui fournissent des informations sur les loyers et les ventes de logement. À tel point, s’étonne la Cour, que ces derniers « viennent parfois nourrir ou étayer les bases publiques ».

Pour ne pas dépendre des données privées, la Cour des comptes enjoint l’État à accroître substantiellement « sa capacité d’information territoriale », notamment en décloisonnant les bases de données publiques. Elle constate, par ailleurs, que la suppression de la taxe d’habitation prive l’État de données essentielles et demande, pour y remédier, la création d’un « répertoire inter-administratif des locaux, adossé aux bases de la DGFiP ». D’où la nouvelle inquisition dont sont victimes les propriétaires !

L’oubli du marché

Nous ne voyons pas pourquoi s’appuyer sur des données privées plutôt que publiques serait un problème. Si le secteur privé est capable de fournir des informations fiables à moindre coût que le public, pourquoi s’en priver ?

Cependant, ce n’est pas parce que l’État disposerait de données satisfaisantes et qu’il s’inspirerait de ce qui se fait à l’étranger que la politique publique du logement ne naviguerait plus à vue.

En effet, les magistrats de la Cour des comptes, manifestement peu formés à la science économique, oublient que l’on n’a rien trouvé de mieux que les prix pour coordonner les actes de millions d’individus et pour transmettre l’information. Seuls les prix provenant de la coopération volontaire peuvent indiquer la valeur relative des biens et services sur le marché comme l’a montré Hayek. En intervenant à tout bout de champ sur le marché du logement, en taxant et en réglementant, les gouvernants faussent les prix. Par conséquent, quoi qu’ils fassent, ils ne disposeront jamais des bonnes informations nécessaires pour prendre des décisions correctes. Qu’ils abandonnent donc leur « présomption fatale » et laissent les millions d’individus concernés échanger librement sur le marché. Le logement des Français ne s’en porterait que mieux.

Article écrit par Philbert Carbon. Publié avec l’aimable autorisation de l’IREF.

L’IREF est un « think tank » libéral et européen fondé en 2002 par des membres de la société civile issus de milieux académiques et professionnels dans le but de développer la recherche indépendante sur des sujets économiques et fiscaux. L’institut est indépendant de tout parti ou organisation politique. Il refuse le financement public.

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