PRéLèVEMENTS D'ORGANES

Prélèvements forcés d’organes : des patients affluent du monde entier vers la Chine pour des transplantations

La législation visant à freiner le tourisme de transplantation d'organes illicites peut avoir un impact important, selon un avocat spécialisé dans les droits de l'homme
mars 2, 2019 22:31, Last Updated: avril 5, 2021 20:55
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L’industrie chinoise de la transplantation d’organes a connu une croissance exponentielle au début des années 2000 et, aujourd’hui, la Chine est le pays de prédilection pour les patients étrangers ayant besoin d’une transplantation.

Malgré le fait que le taux de don d’organes soit infime en Chine, les transplantations d’organes sont nombreuses et les délais d’attente varient de quelques jours à deux mois – une situation impensable dans tout autre pays.

De plus, des patients ont relaté que leurs chirurgies de transplantation avaient été planifiées. La dure réalité de ce que cela signifie a été révélée au chirurgien israélien Jacob Lavee en 2005, lorsqu’un patient lui a confié qu’il allait en Chine pour une transplantation cardiaque et que l’opération était déjà prévue pour une date précise.

Conscient que cela ne pouvait être que le résultat d’un prélèvement forcé d’organes, le Dr Lavee a été à l’origine de l’élaboration de la loi israélienne sur la transplantation d’organes, entrée en vigueur en 2008, et qui, essentiellement, interdit l’achat et la vente d’organes humains.

Selon une étude publiée dans l’American Journal of Transplantation en décembre 2012, cette législation a eu un impact significatif pour réduire le nombre le patients israéliens participant au tourisme de transplantation. Au Canada, une législation similaire, soit le projet de loi S-240 visant à lutter contre le trafic d’organes, a été adoptée à l’unanimité par le Comité des affaires étrangères le 27 février et fera l’objet d’une dernière lecture à la Chambre des communes.

Professeur Jacob Lavee, directeur de l’unité de transplantation cardiaque du Sheba Medical Center, le plus grand centre médical d’Israël. (Alex Ma/Epoch Times)

Un rapport d’Organs Watch, une organisation basée à l’Université de Californie, a identifié les Canadiens participant au tourisme de transplantation comme étant parmi les plus importants acheteurs d’organes au monde.

Le Dr Jeff Zaltzman, chef des transplantations rénales à l’hôpital St. Michael’s, à Toronto, a déclaré qu’au moins 50 de ses patients ont été transplantés en Chine. Il y aurait en Chine un troisième type de donneur que l’on ne trouve pas dans les pays développés comme le Canada, que le Dr Zaltzman qualifie de « donneurs vivants-morts », selon ses propos rapportés lors d’un forum sur le prélèvement forcé d’organes en 2014.

« Ils sont vivants, puis ils meurent. C’est donc un terme unique à la situation chinoise », a-t-il avoué.

Killing to live : The Dark Side of Transplant Tourism in China [Tuer pour vivre : le côté sombre du tourisme de transplantation en Chine], un documentaire diffusé par la télévision coréenne Chosen TV en 2017, révèle que, depuis 2000, environ 3 000 Coréens reçoivent chaque année des organes en Chine.

Le documentaire fait état d’une enquête sur le centre de transplantation d’organes du premier hôpital central de Tianjin, en Chine. L’hôpital garantissait à ses patients, sur demande, des organes de « jeunes donneurs en bonne santé ».

L’hôpital compte 500 lits voués à la transplantation, trois étages dédiés aux transplantés internationaux et ses salles d’opération fonctionnent en continu, soit 24 heures sur 24.

« En Chine, les organes sont faciles à obtenir. Je ne sais pas d’où ils viennent. Il ne leur faut que deux heures pour apporter les organes frais ici », a déclaré aux cinéastes une infirmière en chef, ajoutant qu’un foie coûte 113 000 € (130 000 $ US).

Des patients d’autres pays se rendent également en Chine pour obtenir des organes. Le site web de l’hôpital Zhongshan, à Shanghai, indique que ce dernier a attiré des patients de plus de 10 régions et pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, le Canada, la Corée du Sud, Hong Kong, Macao et Taiwan.

L’abondante source d’organes humains qui alimente la lucrative industrie de la transplantation en Chine a été découverte par les deux Canadiens, David Matas, avocat international spécialisé dans les droits de l’homme, basé à Winnipeg, et David Kilgour, ancien ministre de Cabinet.

Ces derniers ont publié deux rapports d’enquête, l’un en 2006 et l’autre en 2016, montrant que les prisonniers religieux et politiques – principalement des pratiquants de Falun Dafa détenus pour leurs croyances – sont soumis de leur vivant à un prélèvement forcé d’organes. En d’autres termes, ils sont tués pour leurs organes.

L’ancien ministre canadien et député David Kilgour sur une photo d’archives. (Jonathan Ren/Epoch Times)

Intitulé Bloody Harvest / The Slaughter : an Update (n.d.t. : Prélèvements meurtriers / Le Massacre : Une mise à jour) et co-écrit par le chercheur américain Ethan Gutmann, le rapport détaille quelques-uns des cas de tourisme de transplantation en Chine.  [Réf. : le dernier rapport Bloody Harvest / The Slaughter : an Update actualise et complète le rapport précédent publié par MM. Matas et Kilgour en 2006 : Bloody Harvest (n.d.t. : Massacres meurtriers), ainsi que le livre de M. Gutmann de 2014 : The Slaughter].

Beaucoup se déplacent en groupe, coordonnés par un courtier. En février 2001, un groupe de neuf patients en provenance de l’Asie du Sud-Est s’est rendu à l’Hôpital de Taiping pour des transplantations d’organes. Les neuf greffes ont été terminées en deux jours, en plus de quatre autres.

Un groupe de sept patients de Hong Kong s’est rendu en Chine pour des transplantations rénales et tous ont subi l’opération le jour même et ont pu rentrer chez eux après une semaine. Une Taïwanaise qui s’est rendue en Chine pour une transplantation rénale a déclaré avoir vu au moins 10 autres patientes qui étaient soit en attente d’une greffe ou en convalescence après en avoir reçu une.

Parallèlement, certains receveurs de greffe qui, après la chirurgie, ont découvert que le « donneur » est décédé au cours du prélèvement d’organes vivent maintenant avec [un poids sur la conscience], à la suite de cette révélation très troublante.

« J’ai été étonnée d’entendre parler de la source des organes. J’étais très attristée d’avoir participé à une telle atrocité. Je veux raconter mon histoire pour que les gens puissent la connaître », a déclaré Rourou Zhuang, résidente taïwanaise, dans le documentaire Human Harvest (sous-titré en français ici). Elle a reçu un nouveau rein en Chine.

« Quand je suis allée pour la greffe, je ne savais pas que le donneur allait être tué », s’est exclamée Xiusong Tu en pleurant.

Le patient japonais Hokamura Kenichiro a été étonné de voir à quel point il était facile d’obtenir une greffe. Dix jours après avoir contacté un courtier japonais en Chine, il était allongé sur une table d’opération dans un hôpital de Shanghai recevant un nouveau rein. Un médecin ne l’avait examiné que ce matin-là. « J’avais peur tellement c’était rapide », a-t-il dit. Le rein a coûté 70 000 € (80 000 $ US).

M. Hokamura n’est que l’un parmi des centaines de Japonais fortunés qui ont fait le voyage en Chine pour une greffe de rein, de foie ou de cœur, selon le rapport de 2016.

« Organ Crimes », une peinture à l’huile de Xiqiang Dong représentant le prélèvement d’organes à vif d’un pratiquant du Falun Dafa en Chine. (Avec l’aimable autorisation de Xiqiang Dong.)

Le rapport a relevé de nombreux cas où plusieurs organes ont été prélevés pour un même patient, soit en raison d’un rejet, soit comme organes supplémentaires. Dans un cas, huit organes de rechange ont été nécessaires pour le même patient. Les chercheurs affirment qu’entre 60 000 et 100 000 greffes ont lieu chaque année en Chine, la très grande majorité provenant des pratiquants de Falun Dafa.

Le Falun Dafa, ou Falun Gong, est une pratique spirituelle traditionnelle qui comptait entre 70 et 100 millions de pratiquants à la fin des années 1990. Craignant son immense popularité, Jiang Zemin, alors dirigeant du Parti communiste chinois, a lancé en juillet 1999 une campagne de persécution contre ses pratiquants, qui se poursuit encore aujourd’hui.

Les chercheurs ont constaté que, même s’il existe des abus de transplantation dans de nombreux pays, la situation de la Chine est particulière, car elle est orchestrée par l’État et que l’État en tire profit.

Projet de loi canadien sur le trafic d’organes

Lors d’un forum sur le prélèvement forcé d’organes à l’Hôpital général de Toronto le 29 octobre 2014, où la question du tourisme de transplantation a été discutée, le Dr Zaltzman a décrit la situation d’un de ses patients qui s’était rendu en Chine pour une transplantation.

« J’avais un jeune homme qui avait deux cicatrices. Le premier rein transplanté en Chine n’a pas fonctionné et, en quelques jours, il avait déjà subi une deuxième greffe. Cela n’arriverait jamais au Canada », a-t-il déclaré.

Bien que certains médecins soient conscients que leurs patients pourraient être à l’origine de meurtres en Chine, ils ne savent pas ce qu’ils peuvent faire pour remédier à cette situation.

Certains pays, dont l’Espagne, Taiwan, l’Italie et Israël, ont adopté des lois visant à empêcher leurs citoyens de se rendre à l’étranger pour recevoir une greffe.

L’avocat canadien des droits de la personne David Matas sur une photo de dossier. (Matthew Little/Epoch Times)

Une mesure législative semblable est en voie d’être adoptée à la Chambre des communes du Canada. Le projet de loi S-240, qui a été adopté à l’unanimité au Sénat en octobre dernier, érigerait en infraction criminelle au Canada le fait de recevoir un organe à l’étranger sans le consentement du donneur et rendrait également inadmissibles au Canada les personnes qui participent aux prélèvements forcés d’organes, peu importe où cela se produirait dans le monde.

S’adressant au Comité permanent des affaires étrangères et du développement international le 26 février, Me Matas a déclaré qu’une telle mesure législative pourrait être très efficace.

« À Taiwan et en Israël, la situation était très grave. Le problème dans les deux pays était le tourisme de transplantation en Chine », a-t-il fait remarquer au comité par téléphone.

« Après l’adoption de la législation israélienne, [le problème] est passé de très courant à complètement disparu, ou presque complètement. […] Maintenant que [Taiwan] a une loi, le tourisme de transplantation en Chine a connu une baisse marquée. La législation de ces deux pays a donc eu un impact très important. »

Le Dr Zaltzman a martelé que, si la loi canadienne était adoptée, il l’appuierait comme moyen d’aider à résoudre le dilemme auquel les médecins sont confrontés. « Ce serait un grand pas en avant. »

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