Le sénateur Olivier Cadic sur le rapatriement forcé de dissidents chinois : « Ces activités du PCC en France tombent sous le coup de la loi française »

Par Etienne Fauchaire
5 mai 2024 18:16 Mis à jour: 10 mai 2024 07:47

ENTRETIEN — À l’occasion du soixantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre Pékin et Paris, le dirigeant chinois Xi Jinping est attendu sur le sol français pour une visite d’État les lundi 6 et mardi 7 mai. Une arrivée qui intervient dans un contexte tendu, alors que France 2 vient de diffuser un reportage dévoilant une tentative du régime chinois de rapatrier de force un dissident présent en France et que sept parlementaires français ont été la cible d’une cyberattaque par des hackeurs en lien avec les services de renseignement chinois. Dans cet entretien, le sénateur Olivier Cadic, membre du groupe Union centriste et vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, revient pour Epoch Times sur l’ensemble de ces évènements.

Epoch Times : Ce 2 mai, France 2 a diffusé un reportage réalisé par Envoyé Spécial et le magazine Challenges montrant une opération de rapatriement forcé d’un dissident chinois par le biais d’un poste de police clandestin chinois. Que vous inspire cette affaire ?

Olivier Cadic : Ce reportage révèle au grand jour les méthodes employées par un régime totalitaire pour étouffer toute opposition à son pouvoir. En se livrant à des pratiques condamnées tant par la Cour européenne des droits de l’homme que par l’ONU, le Parti communiste chinois affiche son mépris flagrant des normes internationales en matière de respect des droits humains.

« La jambe de votre frère est cassée. Maintenant, je vais lui casser l’autre » : ces quelques sms envoyés pour faire pression sur ce jeune homme constituent un usage de torture mentale par des agents chinois. Il s’agit d’une violation de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), qui engage la responsabilité de l’État chinois.

Par ailleurs, ce reportage confirme la présence sur notre territoire de structures clandestines visant à aider le Parti communiste chinois dans ses tentatives d’arrestations, de détentions, voire d’enlèvements de dissidents. Ces activités tombent sous le coup de la loi française et sont passibles de lourdes peines, allant jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle, en vertu de l’article 224-1 du Code pénal.

Il convient de souligner que l’immunité diplomatique ne saurait servir de bouclier pour commettre des crimes ou des délits. S’il est avéré que des diplomates sont impliqués dans ces agissements, ils devraient être expulsés du territoire français.

Dans ce reportage, Paul Charon, expert de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire, affirme qu’« il y a déjà eu plusieurs affaires de ce type sans que cela n’entraine une quelconque sanction des pays concernés. Et quand bien même les journalistes français font un reportage ou un article sur les activités du ministère de la Sécurité publique à l’étranger,  […] même quand c’est révélé, les Chinois peuvent continuer d’agir librement sur le sol français. » Comment expliquez-vous l’inaction des autorités françaises ?

Je ne l’explique pas. Cette opération de rapatriement forcé soulèvera certainement des enquêtes, car la loi s’applique à tous. Tolérer l’impunité de ceux qui commettent ouvertement des actes criminels ou délictueux serait incompatible avec l’État de droit.

L’ambassade de Chine a publié un communiqué dans lequel elle dénonce « un récit monté de toute pièce », et met en doute l’existence d’un « poste de police chinois clandestin ».

L’implantation de postes de police chinois clandestins à travers le monde est un fait avéré et documenté depuis un certain temps.  L’ancien sénateur André Gattolin avait interpellé, il y a maintenant 18 mois, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à ce sujet.

L’ambassade de Chine en France a perdu toute crédibilité suite aux frasques de son ambassadeur qui donne une image dégradée de son pays. Son communiqué dénigre leur compatriote afin de décourager toute velléité de se rebeller, contre Pékin, chez les Chinois de France.

Le communiqué attaque également ouvertement la liberté de la presse en France, ce qui illustre bien le commentaire de Reporters sans frontières (RSF) dans son nouveau rapport annuel qui classe la Chine 172/180.

RSF décrit : « La République populaire de Chine (RPC) est la plus grande prison du monde pour les journalistes, et son régime mène une campagne de répression contre le journalisme et le droit à l’information dans le monde entier. » Dont acte !

Vous avez été la cible d’une cyberattaque menée en 2021 par des hackers en lien avec les services de renseignement chinois. L’ancien sénateur André Gattolin, également pris pour cible, avait dénoncé l’absence de protestation de l’exécutif. « D’autres pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni se sont exprimés fermement. Et en France, c’est le silence des agneaux. […] Je pose la question. Est-ce en lien avec la venue de Xi Jinping en France en mai prochain ? », s’était-il insurgé. Partagez-vous son avis ?

Toujours en première ligne du combat pour la défense des droits de l’homme, André Gattolin fait partie des cofondateurs de l’alliance interparlementaire sur la Chine (IPAC).

En janvier 2021, 116 parlementaires de 15 pays ont été la cible d’une cyberattaque perpétrée par le groupe de hackers chinois APT31, en lien avec le ministère chinois de la Sécurité de l’État (MSE). À la suite d’une enquête menée par le FBI, le ministère américain de la Justice a récemment émis un acte d’accusation contre 7 hackers chinois.

André Gattolin a exprimé une frustration légitime contre la lenteur de réaction des services de l’État français, que je comprends, dans le sens où le FBI les aurait avertis de la cyberattaque contre nous, dès 2022. En ma qualité de rapporteur sur les questions cyber pour le Sénat, je me dois de conduire une analyse en profondeur avec nos services pour comprendre ce qu’il s’est passé, avant de porter un jugement.

Ce que j’observe, c’est qu’Emmanuel Macron a remis, le 30 avril à l’Élysée, la Légion d’honneur à l’ancien sénateur André Gattolin, en présence du président du gouvernement tibétain en exil, Penpa Tsering, et de l’ambassadeur de Taïwan en France, François Wu.

Le président de la République place ainsi la raison d’être d’une démocratie au-dessus de la raison d’État.

À quelques jours de l’arrivée de Xi Jinping, le geste d’Emmanuel Macron me paraît beaucoup plus fort qu’une protestation formelle. Il a ravi André Gattolin.

À l’occasion des 60 ans des relations diplomatiques franco-chinoises, Xi Jinping est attendu en visite d’État en France les 6 et 7 mai. Quel regard portez-vous sur la venue du chef d’État chinois à Paris ? Avez-vous des attentes particulières vis-à-vis du président de la République ?

La Chine poursuit aujourd’hui un objectif clair : devenir la principale puissance mondiale d’ici au centenaire du Parti communiste, en 2049. Pour y parvenir, elle cherche à établir un lien de dépendance des autres nations à son égard.

Rivale des États-Unis, la Chine divise le monde en deux camps en présentant un modèle alternatif aux démocraties. Estimant que le développement économique passe avant le respect des libertés individuelles, elle promeut un monde où l’individu doit abandonner son libre arbitre et se soumettre au collectif, ce qui arrange bien les autocrates.

Sur le plan géopolitique, la Chine tire avantage des conflits opposant l’Ukraine à la Russie et Israël à l’Iran, apportant son soutien à Moscou et à Téhéran. Les conflits affaiblissent ses alliés russes et iraniens en accroissant leur dépendance à la Chine, tandis que les Européens et Américains mobilisent des ressources susceptibles de leur faire défaut dans l’Indopacifique, si la Chine décide d’une offensive face à Taïwan.

Le président Emmanuel Macron cherchera sûrement à convaincre Xi Jinping de contribuer à désamorcer cette escalade et de sortir de cet engrenage infernal. Cependant, il convient de ne pas être naïf. Les pourparlers avec Poutine ont échoué et Xi Jinping n’a pas suivi la direction souhaitée par Emmanuel Macron lors de sa visite en Chine l’année dernière. Emmanuel Macron sait faire preuve de lucidité et cherchera à retirer un avantage pragmatique de cette rencontre.

Dans un entretien à Politico après sa visite en Chine du 5 au 7 avril 2023, Emmanuel Macron avait notamment affirmé que l’Europe ne devait pas être « suiviste » des États-Unis sur la question de Taïwan, s’attirant les foudres de plusieurs responsables occidentaux. Le New York Times n’avait pas hésité à titrer : « La diplomatie française sape les efforts américains pour contenir la Chine ».

Suite à cet entretien à la presse donné à bord de l’avion sur le chemin du retour, Emmanuel Macron, depuis Bruxelles, et sa ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, depuis Séoul, ont très vite rappelé la position officielle de la France sur Taïwan, prônant le statu quo.

J’avais alors salué la célérité de la clarification.

En 2022, la France affichait un déficit commercial avec la Chine de plus de 50 milliards d’euros. Il devrait franchir la barre symbolique des 60 milliards d’euros en 2024. Selon les chercheurs Emmanuel Lincot et Paco Milhiet, si les multinationales françaises réalisent des profits en Chine, l’ouverture tous azimuts au capitalisme d’État chinois favorise la désindustrialisation de la France. Que faudrait-il faire pour remédier à cette situation ?

Attirées par la taille du marché, nos entreprises ont souvent dû transférer leurs technologies en Chine. Elles ont vite été copiées et d’autres entreprises chinoises arrivent ensuite pour nous concurrencer sur nos marchés.

Le déséquilibre de la balance commerciale entre la Chine et l’UE imposera vraisemblablement des décisions de protection radicales dans les prochains mois pour les économies européennes.

La proximité croissante de la Chine avec la Russie et l’Iran doit inciter nos entreprises à la prudence, en s’affranchissant désormais de tout lien de dépendance avec le marché chinois.

De nombreuses entreprises, même chinoises, déplacent leurs unités de production hors de la Chine, aussi vite que possible. J’observe que des entreprises américaines vendent leurs unités de production en Chine à des partenaires locaux pour réinvestir ailleurs. Cela va plus vite que de déménager une usine.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.