Opinion
Quand la guerre va plus vite que l’homme
Le 1er juin 2025, l’Ukraine a montré au monde ce que signifie réellement la guerre du XXIᵉ siècle. En une matinée, 117 drones bon marché ont neutralisé dix bombardiers stratégiques russes. Coût de l’opération : moins de 120 000 dollars. Effet stratégique : massif. Ce n’était pas une prouesse tactique isolée, mais le signal clair d’un basculement historique.

Des drones lors d’un exercice militaire en Allemagne, le 21 novembre 2025. Morris MacMatzen/Getty Images
Car lorsque la précision devient accessible, la masse devient inévitable. Et lorsque la masse s’impose, l’autonomie suit. Très vite, les décisions quittent l’esprit humain pour être confiées à des machines capables d’agir en millisecondes. Le champ de bataille accélère, et l’homme, tout simplement, n’arrive plus à suivre.
Pendant des décennies, la guerre moderne obéissait à une logique simple : plus performant signifiait plus coûteux. Chars, avions, sous-marins — chaque génération doublait presque la facture. Les drones ont brisé ce modèle. Un engin à quelques centaines de dollars peut aujourd’hui détruire un matériel valant des millions. La menace est devenue bon marché. La défense, elle, reste hors de prix.
Ce renversement change tout. Lorsque des milliers de drones sont déployés simultanément, aucun état-major ne peut les piloter un par un. La délégation devient une nécessité opérationnelle. Puis, très vite, l’autonomie devient la norme. Évitement des collisions, sélection des cibles, adaptation aux brouillages : ces choix sont transférés à des algorithmes. La guerre cesse d’être humaine dans son tempo.
La comparaison la plus parlante n’est pas militaire, mais financière. Le trading à haute fréquence fonctionne déjà sans intervention humaine réelle : les hommes définissent des règles, puis les machines agissent à une vitesse inaccessible à l’intuition. Les essaims de drones suivent la même trajectoire. Une mise à jour logicielle, une amélioration marginale d’un modèle d’intelligence artificielle, peut suffire à inverser un rapport de force en quelques jours.
Le danger est évident. Les machines ne doutent pas. Elles n’évaluent pas les conséquences politiques d’un tir. Elles exécutent. Dans un environnement saturé de bruit, de leurres et de brouillages, l’erreur n’est pas l’exception : elle est structurelle. Et lorsqu’elle se produit à la vitesse des machines, elle devient incontrôlable.
Chaque drone est un système de rétroaction : il perçoit, décide, agit, puis recommence. L’ennemi cherche à rompre cette boucle — à tromper les capteurs, fausser l’interprétation ou bloquer l’action. Multipliez cette fragilité par des centaines de systèmes interconnectés, tous sous attaque permanente, et l’instabilité devient la norme. La technologie seule ne suffit plus à garantir le contrôle.
C’est là que se joue la véritable différence entre les puissances. Certaines conçoivent des systèmes contraints : règles d’engagement strictes, vérifications multiples, biais explicites en faveur de la retenue. D’autres privilégient la vitesse brute, acceptent les dommages collatéraux et traitent l’ambiguïté comme une opportunité. Les premiers paraissent plus lents ; les seconds, plus redoutables.
Mais l’expérience récente montre l’inverse. Les systèmes contraints sont plus efficaces sur la durée. L’Ukraine, malgré une infériorité numérique écrasante, obtient de meilleurs ratios de pertes que la Russie. La discipline force la précision. La précision accélère l’apprentissage. Et l’apprentissage renforce la défense. Les systèmes permissifs, eux, saignent financièrement, accumulent les sanctions et offrent à l’adversaire des images qui cimentent les alliances.
Le risque ultime est celui de l’embrasement accidentel. Une dérive de drone due au vent ou au brouillage, interprétée comme une provocation, peut déclencher en quelques secondes une chaîne d’actions irréversibles. Nul besoin d’armes nucléaires : quelques centaines de drones usurpant une signature électronique suffiraient à provoquer une escalade majeure avant même qu’un responsable politique ne comprenne ce qui se passe.
La véritable course n’est donc pas seulement technologique. Elle est doctrinale. Les sociétés ouvertes ne peuvent pas copier les modèles les plus brutaux sans se renier. Mais elles peuvent bâtir des systèmes rapides, disciplinés et transparents : considérer les drones comme des munitions jetables, raccourcir drastiquement les cycles d’innovation, intégrer dès l’origine des règles claires dans le code, investir dans des défenses actives bon marché et créer des mécanismes de gestion de crise adaptés à la vitesse des machines.
Le drone à 800 dollars a déjà changé la guerre. La question est désormais plus vertigineuse : saurons-nous adapter nos institutions assez vite pour éviter que la machine ne décide, seule, du moment où l’humanité bascule ?
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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