Le 24 mai 2025, un rapport déclassifié de 73 pages, commandé par l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et remis à son successeur Bruno Retailleau, a été dévoilé officiellement sur le site du ministère de l’Intérieur, après une fuite dans les médias trois jours plus tôt.
Intitulé « Les Frères musulmans et l’islamisme politique en France », ce document, élaboré par les services de renseignement français, dresse un tableau alarmant de l’influence croissante des Frères musulmans dans le pays et des failles de l’État républicain à défendre son modèle de société.
Présenté lors d’un Conseil de défense présidé par Emmanuel Macron, le rapport pointe une « menace pour la cohésion nationale » avec le développement d’un islamisme « par le bas ». « La réalité de cette menace, même si elle repose sur une temporalité longue et ne recourt pas à l’action violente, fait peser le risque d’une atteinte au tissu associatif et aux institutions républicaines », affirme le rapport.
Dénonçant l’ « entrisme » des Frères musulmans, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’était inquiété d’ « un islamisme à bas bruit » dont « l’objectif ultime est de faire basculer toute la société française dans la charia ». Un constat réfuté par des chercheurs du CNRS et la Fédération des Musulmans de France.
Une vision religieuse rigoriste et un projet politique anti-républicain
Le rapport, réalisé par deux hauts fonctionnaires, souligne le « caractère subversif du projet porté par les Frères musulmans », qui vise « à œuvrer au long cours en vue d’obtenir progressivement des modifications des règles locales ou nationales », notamment celles concernant la laïcité et l’égalité femmes / hommes.
Il s’agit « non pas de s’enclaver comme le fait de séparatisme » mais au contraire « de dissimulation » pour aller « à la conquête des antennes de pouvoir, notamment les municipalités », souligne-t-on à l’Élysée.
Fondée en 1928 en Égypte par Hassan al-Banna, la confrérie des Frères musulmans est un mouvement islamiste qui combine une vision religieuse rigoriste avec un projet politique visant à instaurer des sociétés régies par les principes de la charia. Bien que l’organisation ait évolué au fil des décennies, adoptant des stratégies variées selon les contextes nationaux, son objectif fondamental reste l’islamisation des sociétés par des moyens souvent discrets et progressifs.
Le rapport dresse un état des lieux détaillé de cette implantation. Musulmans de France, qui a succédé en 2017 à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) y « est identifiée comme la branche nationale des Frères musulmans en France ».
Le rapport identifie 139 mosquées affiliées à la Fédération des Musulmans de France, considérée comme la branche nationale des Frères musulmans, auxquelles s’ajoutent 68 lieux de culte proches de cette fédération, répartis sur 55 départements. Cela représente « 7 % des 2800 lieux de culte musulman répertoriés » en France, avec une fréquentation moyenne de « 91.000 fidèles le vendredi » – même si « un fidèle fréquentant une mosquée de la mouvance n’est pas, loin s’en faut membre », note le rapport.
Ces chiffres, bien que précis, ne constituent qu’une partie du tableau. Le document met en avant l’infiltration progressive de la confrérie dans des secteurs clés comme l’éducation, le sport, les associations culturelles et même les réseaux sociaux, où des influenceurs propagent un islam rigoriste sous couvert de modernité.
Le texte souligne aussi combien les Frères musulmans, « en perte d’influence » dans le monde arabo-musulman, « concentrent leur action sur l’Europe » – l’organisation ayant été interdite dans plusieurs pays, comme l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Jordanie.
Une stratégie d’entrisme « par le bas »
L’un des points centraux du rapport est la notion d’ « islamisme par le bas », une stratégie qui s’appuie sur une pénétration discrète mais systématique des structures locales.
Contrairement à une prise de pouvoir par le haut, via des institutions nationales ou des partis politiques, les Frères musulmans privilégieraient une approche communautaire, en s’implantant dans les municipalités, les écoles, les clubs sportifs et les associations. Ce phénomène, qualifié d’ « islamisme municipal », viserait à créer des enclaves où les normes islamiques priment progressivement sur les lois républicaines.
Le rapport cite des exemples concrets : des associations culturelles qui promeuvent un discours rigoriste, des écoles privées confessionnelles qui échappent partiellement au contrôle de l’État, ou encore des clubs sportifs où des règles religieuses strictes sont imposées, comme la séparation des garçons et des filles, ou l’obligation du port du voile.
Le rapport décrit le secteur éducatif comme une « priorité de la branche française » des Frères musulmans et s’inquiète d’une « rigorisation de la pratique religieuse », avec une « explosion du nombre de jeunes filles portant une abaya et l’augmentation massive et visible de petites filles portant le voile ». Phénomène touchant des jeunes filles « parfois [âgées de] 5-6 ans ».
Parmi les effets possibles de cette stratégie, le développement de « réseaux œuvrant au repli communautaire, allant jusqu’à la constitution d’écosystèmes islamistes » sur le territoire français, ajoutent les auteurs.
L’ « islamophobie » comme moyen de promotion
Le rapport intervient dans un contexte de tensions accrues autour des questions d’identité, de laïcité et d’intégration. La guerre à Gaza, mentionnée dans le document, aurait amplifié le sentiment d’ « islamophobie d’État » parmi certains musulmans, renforçant l’attrait des discours communautaires portés par les Frères musulmans.
Ce sentiment, selon les auteurs, est exploité pour recruter et mobiliser, notamment via les réseaux sociaux, où des influenceurs « fréristes » banalisent un islam rigoriste auprès d’un public jeune.
« Moyen d’action de circonstance ou composante essentielle de l’identité des Frères musulmans, le recours à la dissimulation reste une caractéristique constante de leur méthode d’implantation en Europe et correspond à la temporalité de leur agenda, qui relève d’un processus long de conquête politique. Il se manifeste également par l’usage du double discours, qui permet de gagner en respectabilité, et le recours à la victimisation, à travers le concept piégé d’ ‘islamophobie’ » , souligne le rapport qui évoque l’idée d’une « menace pour la cohésion nationale ».
Selon les auteurs, cette stratégie s’appuie sur une rhétorique victimaire et utilise le concept d’« islamophobie » pour fédérer les communautés musulmanes et les détourner des valeurs républicaines.
Les services de renseignement estiment que l’entrisme des Frères musulmans favorise un séparatisme culturel et social, créant des « quartiers islamisés » où la charia deviendrait, dans certains cas, une norme parallèle.
Le rôle des financements étrangers
Un autre point sensible du rapport concerne les financements étrangers, notamment ceux en provenance du Qatar.
Plusieurs pages du document pointent des flux financiers vers des structures liées aux Frères musulmans, comme le centre An-Nour à Mulhouse, inauguré en 2019 et partiellement financé par des dons qataris. Ces financements, selon les auteurs, permettent à la confrérie de renforcer son réseau d’influence, en soutenant des projets éducatifs, culturels ou religieux qui servent de vecteurs à son idéologie.
Le Qatar, souvent critiqué pour son rôle ambigu dans le soutien à des mouvements islamistes à travers le monde, est ainsi désigné comme un « bailleur de fonds » majeur.
Cependant, le rapport reste prudent, évitant d’accuser directement l’État qatari de chercher à déstabiliser la France. Il souligne plutôt que ces financements, souvent opaques, compliquent la traçabilité et la régulation des activités des organisations bénéficiaires.
Bien que le Qatar soit le principal acteur mentionné, le rapport évoque également des financements en provenance d’autres pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, ainsi que de Turquie, où le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan entretient des liens historiques avec des mouvements islamistes proches des Frères musulmans.
Une société française face à ses contradictions
La publication du rapport reflète les divisions profondes de la société française sur la question de l’islamisme.
Lors du Conseil de défense du 21 mai, Emmanuel Macron a qualifié les faits exposés dans le document de « gravité exceptionnelle » et a demandé au gouvernement de formuler de nouvelles propositions d’ici début juin. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a promis une « meilleure organisation » de l’État face à l’islamisme, avec la création d’un parquet administratif pour faciliter les dissolutions d’associations jugées subversives.
Le rapport propose plusieurs pistes, notamment un renforcement des contrôles sur les financements étrangers, une surveillance accrue des associations et des établissements scolaires, et une meilleure coordination des services de renseignement.
À droite et dans la droite nationale, le rapport a été accueilli comme une confirmation des alertes lancées depuis des années. Julien Odoul, député du Rassemblement national, a dénoncé une forme de naïveté des autorités, déclarant sur Public Sénat : « C’est hallucinant qu’en 2025 certains découvrent l’eau chaude. » De son côté, Sophie Primas, porte-parole du gouvernement, a insisté sur la nécessité d’agir, affirmant que le rapport « corrobore des faits réels » et permettra des mesures concrètes.
À l’inverse, certains chercheurs et associations musulmanes ont critiqué une lecture « alarmiste et stigmatisante ». Franck Frégosi, chercheur au CNRS, regrette une « instrumentalisation politique » du rapport, soulignant que les Frères musulmans ne cherchent pas à instaurer un califat en Europe, contrairement à ce que certains discours laissent entendre.
La Fédération des Musulmans de France, à ne pas confondre avec Musulmans de France visé dans le rapport, a dénoncé des « accusations infondées » et mis en garde contre des « amalgames dangereux » entre islam et radicalité.
Omar Youssef Souleimane, écrivain et ancien réfugié syrien, estime pour sa part dans L’Express que « lutter contre l’islamisme est le meilleur rempart pour les musulmans de France ».
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