Réalité virtuelle et santé mentale: exit le divan, place au casque ?

Par Emma Tison, Doctorante en psychologie
10 mai 2023 12:20 Mis à jour: 10 mai 2023 12:21

Selon le cabinet d’analyse Counterpoint, cité par le magazine économique L’Usine Nouvelle, les ventes de casques de réalité virtuelle et augmentée pourraient décupler d’ici à 2025, en raison notamment de l’arrivée d’Apple dans ce secteur.

Lorsque nous entendons « réalité virtuelle » (RV), nous pensons généralement « jeux vidéo ». Pourtant cette technologie n’est pas réservée aux loisirs, et ses domaines d’application se sont multipliés au fil des années.

Déjà utilisée comme outil de formation, dans des secteurs aussi différents que le management et la vente ou la formation des astronautes, elle est encore mise à contribution pour entraîner les chirurgiens dans leur pratique.

Et, depuis quelques années, son potentiel pour traiter certains troubles mentaux est également exploré – avec des résultats très encourageants.

Réalité virtuelle, réalité augmentée : de quoi parle-t-on ?

Avant de développer ce dernier point, il convient de rappeler ce qu’est la réalité virtuelle.

Cette technologie consiste à immerger un utilisateur dans un monde virtuel au moyen de dispositifs dédiés (casques, visiocubes, grands écrans). Les casques par exemple permettent une immersion forte grâce au couplage des mouvements de la tête de l’observateur avec les images stéréoscopiques affichées sur deux petits écrans. Une fois équipé, l’utilisateur est immergé visuellement et auditivement. Il peut même interagir grâce à des « contrôleurs » rappelant les manettes de jeu vidéo afin d’effectuer des actions, de se déplacer, etc. Des dispositifs plus élaborés peuvent aussi mettre à contribution le corps entier.

La réalité virtuelle permet donc de produire des expériences sensorielles de manière artificielle. Ces expériences peuvent concerner non seulement la vue et l’ouïe, mais aussi l’odorat ou le toucher – via des dispositifs « haptiques » (vibreurs essentiellement) pouvant procurer un retour sensoriel sur ses actions ou sa position dans l’espace.

Plus l’environnement virtuel sera immersif, plus l’utilisateur aura une sensation de « présence » élevée. Ladite présence peut être divisée en deux concepts distincts : l’illusion du lieu et l’illusion de plausibilité. Un environnement virtuel bien réalisé et des retours sensoriels pertinents apportent de la crédibilité et donneront la sensation d’évoluer de façon similaire à ce qu’on connaît dans le monde réel.

En effet, si ce que nous voyons est cohérent avec nos mouvements, le cerveau va conclure qu’il s’agit de notre environnement (illusion du lieu). Et si l’environnement réagit à notre présence et à nos actions (illusion de plausibilité), ce sentiment est renforcé.

Les thérapies d’exposition en santé mentale

L’apprentissage par l’expérience est depuis longtemps une technique thérapeutique utilisée en santé mentale. C’est en 1984 que le théoricien de l’éducation David Kolb développe une application de sa théorie de l’apprentissage qui peut être divisée en quatre étapes : l’expérience concrète (immersion dans une situation réelle), l’observation réfléchie de cette expérience, la conceptualisation abstraite (où nous concevons une hypothèse explicative et de compréhension) et l’expérimentation active (qui permet de valider ou non l’hypothèse).

Si l’on simplifie les problèmes de santé mentale pour les considérer comme des difficultés à interagir dans le monde, le potentiel de la réalité virtuelle pour les traiter est énorme ! Par exemple, les personnes concernées pourraient bénéficier de niveaux élevés de présence dans des univers virtuels afin d’y expérimenter les situations qui les mettent en difficulté dans le monde réel afin d’apprendre à les gérer.

Les simulations peuvent également être graduées en difficulté et répétées jusqu’à ce que le bon apprentissage soit fait. Des situations problématiques difficiles à trouver dans la vie réelle peuvent facilement être mises en place virtuellement. Cela peut être par exemple, lors d’une phobie à l’idée de prendre l’avion : il est beaucoup plus facile de se retrouver à l’intérieur d’un avion virtuel que dans le monde réel.

Et le grand avantage de la RV est que les individus peuvent se souvenir qu’ils sont dans un environnement qui n’est pas réel : il leur est ainsi beaucoup plus facile de faire face à des situations qui leur posent problème, et elles seront en mesure d’essayer de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Cet apprentissage peut ensuite être transféré dans le monde réel.

De plus, grâce à l’expérience de la RV, le thérapeute peut mieux démontrer au patient que ce qui lui semble être un fait est le résultat de son esprit, une « hypothèse individuelle inadaptée ». Une personne « hématophobe » peut associer la présence de sang à une blessure grave alors qu’elle n’est pas nécessairement le signe d’une hémorragie. Une fois ce concept compris, leur remise en question est plus simple.

Les avantages de la thérapie « virtuelle »

La thérapie par exposition à la réalité virtuelle présente divers avantages par rapport à l’exposition réelle :

– En termes de coût et de disponibilité : les situations redoutées ne sont pas toujours facilement accessibles, et l’exposition imaginaire (c’est-à-dire à des situations imaginées) est moins efficace ;

– En termes d’engagement : l’immersion et l’interaction offertes par la RV peuvent améliorer l’engagement et l’adhésion des participants ;

– En termes de contrôle : le contrôle de ce qui se passe dans le monde virtuel est presque total, y compris des éléments qui peuvent rendre la situation menaçante (animaux ou objets redoutés, hauteur des bâtiments, etc.). De plus, le thérapeute a un suivi complet, voit les éléments qui perturbent le plus le patient, etc. ;

– En termes de réalisme et de présence : contrairement à l’exposition imaginaire (i·e on demande à la personne d’imaginer la situation), les utilisateurs de la RV se sentent présents et jugent leur situation comme réelle tout en sachant qu’elle ne l’est pas ;

– En termes d’efficacité : la RV permet de construire des « aventures virtuelles » dans lesquelles la personne se sent compétente et efficace ;

– En termes de sécurité : l’exposition réelle peut être très aversive et donner un sentiment d’insécurité, car il n’y a aucune garantie que quelque chose ne se passera pas mal (un ascenseur qui s’arrête…). Ce n’est pas le cas en réalité virtuelle, le contexte et le cadre étant contrôlés.

Quand la réalité virtuelle est-elle utile ?

La RV peut être utilisée dans la prise en charge des phobies par exemple. Le patient y expérimente en toute sécurité et progressivement les situations sources d’anxiété ou peur : présence d’araignée, altitude, conduite… Ceci lui permet de s’y exposer pour, à terme, faire baisser son niveau d’anxiété.

La réalité virtuelle est aussi utile dans le cas d’un délire de persécution (lutter contre la crainte d’être attaqué), d’addiction (résister à l’envie de prendre un autre verre), de troubles du comportement alimentaire. Dans ces types de prises en charge, le rétablissement consiste à penser, à réagir et à se comporter différemment dans ces situations.

En mettant en place des activités sensori-motrices proches de ce qu’on expérimente dans la vie réelle, la RV permet d’évaluer de manière plus objective les processus cognitifs et symptômes en jeu chez les patients. Elle peut donc être utilisée comme un outil de détection précis des éléments perturbants. Ce qui peut être utile pour identifier un trouble du stress post-traumatique.

Cet aspect de la RV plaide pour son emploi en « remédiation cognitive », qui a pour objectif de diminuer l’impact des difficultés d’un patient. La réalité virtuelle est alors utilisée comme outil d’entraînement, en fournissant une représentation réaliste de son environnement et de ses activités quotidiennes.

Le logiciel de réalité virtuelle R.O.G.E.R permet par exemple d’explorer et de travailler les fonctions cognitives. Grâce à lui, l’utilisateur peut réaliser différentes activités de vie – tri de documents administratifs, etc. Cela permet d’exercer sa flexibilité (possibilité de passer d’une tâche à une autre pour s’adapter et adapter son comportement) et d’autres fonctions cognitives, tout en restant ancré dans le quotidien.

Une technologie en progrès, mais avec des limites

La recherche psychologique et la pratique clinique ont fait d’énormes progrès ces dernières années, et les outils se développent et se démocratisent.

Au-delà des thérapies, des recherches portent également sur l’utilisation de la réalité virtuelle pour la sensibilisation et la formation en santé mentale des étudiants (en médecine, psychologie, soins infirmiers). Ces derniers peuvent se « mettre dans la peau » de personnes atteintes de troubles psychiatriques, ce qui leur donne une meilleure compréhension de ce que peuvent vivre les usagers – et diminuer leur stigmatisation.

Il paraît clair que la réalité virtuelle peut contribuer à améliorer l’accès à des traitements et thérapies psychologiques efficaces, et constituer une méthode de choix pour les thérapeutes et les patients. Attention toutefois : le facteur humain ne peut et ne doit pas disparaître, car la présence du thérapeute est en elle-même déjà thérapeutique.

Cette technologie présente toutefois encore des limites : les scénarios sont pour le moment restreints, pour des raisons techniques mais également parce que les thérapeutes ne sont pas programmeurs, tout comme le degré d’interaction sociale possible. De plus, le « mal des simulateurs », cette sensation de nausée causée par des informations contradictoires reçues par nos systèmes sensoriels, n’est pas totalement solutionné.

Une autre limite est qu’elle isole les utilisateurs dans un monde numérique. Il peut donc être intéressant d’explorer des approches en réalité augmentée (RA), qui consiste à superposer des éléments virtuels à l’environnement réel. Au lieu d’isoler du monde réel, la réalité augmentée permet d’interagir avec des personnes réelles et non plus avec des avatars : il n’y a plus la distance sociale présente en RV. De plus, avec la RA, nous pouvons distordre la réalité et contrôler les stimuli, tout en mettant les utilisateurs dans le vrai monde physique.

Mais, qui sait… peut-être qu’un jour, pour certaines thérapies, nous pourrons dire exit le divan, place au casque !


Emma Tison réalise actuellement sa thèse à l’Université de Bordeaux sous la direction de Antoinette Prouteau et Martin Hachet. Ces derniers ont participé à la relecture de cet article.The Conversation

Article écrit par Emma Tison, Doctorante en psychologie, Psychologue spécialisée en neuropsychologie, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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