Retraites : la pénible épine dans le pied du gouvernement

Par Germain de Lupiac
29 juin 2025 13:58 Mis à jour: 29 juin 2025 15:35

Lâché par les Socialistes qui le maintenaient à Matignon, François Bayrou cherche un ultime accord des partenaires sociaux sur les retraites avant l’été, pour une « démarche législative » à l’automne. La question clé pour les syndicats reste la prise en compte de la pénibilité du travail et de l’âge de départ à la retraite.

Sorti difficilement gagnant de son Congrès, après plusieurs mois de campagne interne, le Premier secrétaire Olivier Faure a durci le ton vis-à-vis du gouvernement, récoltant un satisfecit du leader Insoumis Jean-Luc Mélenchon pour qui « le PS revient à la raison, c’est-à-dire l’opposition frontale avec Bayrou ».

Depuis Oslo où il était en déplacement, le chef de l’État Emmanuel Macron dont c’est la réforme phare, a encouragé le Premier ministre et les partenaires sociaux à « aller au-delà des désaccords et à trouver une solution » au nom d’une stabilité politique « ambitieuse ».

Car les retraites (privé et public, retraites de base de la Sécurité sociale et complémentaires) sont à l’origine de la moitié de la dérive de la dette constatée depuis sept ans, et représentent 25 % de la dépense publique.

Le système de répartition des retraites actuel, né à l’après-guerre à une époque de grande dynamique démographique, n’est plus adapté aujourd’hui. Les Français font de moins en moins d’enfants et les enfants du baby boom arrivent tous en âge de prendre leur retraite.

Ce qui a bloqué le conclave

Un travail pénible doit-il ouvrir automatiquement des droits à une retraite anticipée ? Cette question a bloqué le conclave voulu par François Bayrou et agite depuis longtemps les débats sur les pensions. Il constitue une fracture profonde entre patronat et syndicats, rappellent les experts.

Ce débat « est présent depuis la première loi sur les retraites de 1910 », explique Anne-Sophie Bruno, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. D’une manière générale, à l’exception des régimes spéciaux, « c’est toujours une conception médicalisée et individuelle de l’usure prématurée qui a prévalu », explique Anne-Sophie Bruno.

Pourtant, en 2013, la réforme des retraites Hollande-Touraine, qui rallonge la durée de cotisation nécessaire pour partir en retraite, ouvre une brèche, avec la création du C3P, le compte personnel de prévention de la pénibilité, défendu en particulier par la CFDT.

Mais quatre ans plus tard, lorsqu’Emmanuel Macron accède à l’Élysée, le gouvernement réforme immédiatement, par ordonnance, le C3P. Désormais baptisé C2P, le dispositif ne prend plus en compte les trois critères qui pouvaient ouvrir le plus de départs en retraite anticipée : le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques (critères dits « ergonomiques »). L’exécutif justifie sa décision par un objectif de simplification pour les entreprises, le système étant très décrié pour sa complexité.

Lorsque s’ouvre le conclave sur les retraites, début 2025, la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, place d’emblée la pénibilité comme l’un des trois points de passage obligés de la négociation, avec l’âge de départ (repoussé à 64 ans par la décriée réforme de 2023) et l’amélioration de la situation des femmes.

Côté patronal, si la CPME semble donner des signes d’ouverture, le Medef ne veut toutefois pas entendre parler d’une prise en compte des critères ergonomiques pour un départ anticipé.

Dans leur proposition finale, les deux organisations patronales ont au contraire proposé de muscler la voie du départ sur constat médical, dans le cadre de l’incapacité permanente professionnelle – avec un âge de départ avancé d’un an à 60 ans et un taux d’incapacité abaissé à 10 %.

Le fossé semble donc profond entre syndicats et patronat.

François Bayrou défend des « avancées impressionnantes »

François Bayrou a tenté le 26 juin de reprendre la main sur le dossier, actant des « avancées » entre partenaires sociaux, jugeant possible dans les prochaines semaines un « compromis » sur le délicat sujet de la pénibilité et s’engageant à porter le dossier devant le Parlement.

Après la séparation, le 23 juin, sans accord, du conclave mis en place après son arrivée à Matignon afin d’éviter la censure des socialistes, François Bayrou a salué un travail « remarquablement utile », se disant « impressionné par les progrès » entre syndicats et patronat, « un signe d’espoir pour la démocratie sociale », selon lui.

Il a également annoncé qu’un compromis avait été trouvé entre les partenaires sociaux pour diminuer l’âge de départ à taux plein de 67 ans à 66 ans et demi. Autre avancée « décisive » aux yeux du Premier ministre : l’absence de remise en cause par les négociateurs – la CGT et FO ayant de longue date claqué la porte – du recul à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite instauré par la loi Borne de 2023.

Sur les points en suspens, François Bayrou a jugé « à portée de main » un compromis sur le volet de la prise en compte de pénibilité, principal point d’achoppement entre la CFDT et le Medef, et leur a donné « quinze jours » voire « dix » pour s’entendre.

Un accord entre partenaires sociaux espéré « à la mi-juillet »

Le gouvernement espère donc un accord « à la mi-juillet » sur les points d’aménagement de la réforme comme la pénibilité et le financement des mesures, a annoncé sa porte-parole Sophie Primas.

Selon le schéma retenu, la retraite serait calculée sur les 24 meilleures années (et non 25) pour les femmes ayant eu un enfant, sur les 23 meilleures années pour les femmes ayant eu deux enfants, avec pour effet d’augmenter légèrement leur pension.

L’âge de départ sans décote est celui auquel il est possible de partir sans être pénalisé financièrement si l’on n’a pas cotisé tous les trimestres exigés (172 dans la réforme Borne). Cet âge pourrait être abaissé de 67 à 66,5 ans.

Outre le point de blocage sur la prise en compte de la pénibilité, une autre difficulté est dans la balance, l’équilibre financier. Selon François Bayrou, il manque encore 400 millions d’euros pour financer les diverses mesures sur la table, un financement dont il veut donner la responsabilité aux partenaires sociaux.

Les députés PS vont déposer une motion de censure 

Mais le bilan des discussions entre partenaires sociaux n’a pas remis en cause la volonté des députés socialistes de censurer le Premier ministre, a répliqué le porte-parole du groupe PS à l’Assemblée nationale, Arthur Delaporte, dénonçant une « tentative d’enfumage » pour « gagner du temps » en reportant le dossier à l’automne.

Les autres groupes de gauche (Insoumis, Écologistes et Communistes), ont eux-aussi rappelé leur intention de déposer ou voter une motion de censure, appelant à déposer une motion commune aux groupes qui ont constitué le Nouveau Front populaire – qui devrait avoir lieu cette semaine.

Les Socialistes, et leurs alliés à gauche, exigent de pouvoir débattre au Parlement de tous les sujets, y compris du sensible âge légal de départ à la retraite, porté à 64 ans par la dernière réforme en 2023.

Ils s’appuient sur un courrier du Premier ministre aux parlementaires socialistes en janvier 2025, lorsqu’il cherchait un accord politique pour faire passer les budgets de l’État et de la Sécurité sociale. Il plaidait pour une discussion entre partenaires sociaux « sans totem ni tabou, pas même l’âge légal d’ouverture des droits ». Il posait toutefois comme condition « un accord politique et [un] équilibre financier global maintenu ».

Pas de censure pour le RN qui donne « rendez-vous au moment du budget »

Le Rassemblement national ne votera pas la motion de censure de la gauche – ce qui ne lui donne aucune chance de passer, et donne « rendez-vous » à François Bayrou « à l’automne au moment du budget », a indiqué son vice-président Sébastien Chenu.

« Si nous censurons dans les jours qui viennent François Bayrou, la réforme des retraites, elle demeure, c’est un coup pour rien […]. Quel est le gain politique que nous avons ? À part mettre le bazar avant l’été, il n’y a pas de gain », a-t-il expliqué.

« Alors qu’au moment du budget, à l’automne, nous allons pouvoir demander à François Bayrou de bouger des lignes que ce soit sur l’énergie par exemple ou sur la politique migratoire », a-t-il justifié.

Au même moment sur Europe1/Cnews, le député RN Jean-Philippe Tanguy a confirmé « qu’il y a très peu de chances qu’on vote une censure sur les retraites pour une raison simple, c’est que la censure ne va pas faire baisser l’âge de retraite de 64 à 62 ans, ça n’a jamais été une ligne rouge ».

Rendez-vous au Parlement à l’automne

Le Premier ministre a annoncé « une démarche législative » à l’automne pour « répondre à toutes les questions posées » et, faute d’accord sur les points les plus délicats, il s’est dit prêt à intégrer des « dispositions de compromis » dans le prochain budget de la Sécurité sociale.

La CFDT, première centrale syndicale dont le PS est proche, a salué le fait que François Bayrou ait repris ses « revendications » en faveur des femmes, mais rappelé que « la pénibilité et l’équilibre financier » restaient « le cœur du problème ».

Du côté des organisations patronales, Eric Chevée, négociateur de la CPME, a indiqué que cette dernière n’avait « pas l’habitude de refuser le dialogue », en estimant qu’il y a peut-être  » encore des voies de passage, des souplesses à mettre en place ».

Mais reculer « l’âge de départ va se poser à nouveau » dans les années qui viennent, appuie dans Le Figaro la ministre du Travail et de la Santé issue des Républicains (LR), Catherine Vautrin, alors que la dette du pays a progressé au premier trimestre et dont 50 % de la dérive vient du modèle actuel des retraites.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.