ENTRETIEN – L’expérimentation des salles de consommation à moindre risque (SCMR) qui a commencé en 2016 devrait s’achever fin 2025. Ces centres plus communément appelés « salles de shoot » visent à protéger les consommateurs de drogues et notamment éviter la transmission de maladies. Mais pour le thérapeute François Diot, ils constituent un échec sanitaire majeur puisqu’ils ne permettent pas aux personnes dépendantes de sortir de leur addiction.
François Diot est thérapeute spécialisé en conduites addictives et ancien chef de service d’un centre d’accueil pour usagers de drogues. Basé à Paris, il s’est récemment exprimé sur les limites des « salles de shoot » à Paris et Strasbourg, pointant l’échec des politiques publiques dans l’accompagnement des toxicomanes. Un sujet qu’il aborde avec Epoch Times.
Epoch Times : François Diot, vous avez récemment déploré l’échec de la politique des salles de shoot dans l’accompagnement des toxicomanes. Pourquoi ces structures ne permettraient-elles pas de sortir des individus de leur addiction ?
François Diot : La France a malheureusement encore un train de retard en addictologie. Le Canada change progressivement son approche du soin et de la réduction des risques après avoir été depuis vingt ans le modèle en la matière.
La fermeture annoncée de dix centres de consommation supervisée en Ontario, soit près d’un quart des sites au Canada, révèle un virage politique majeur.
Le gouvernement ontarien, par la voix de la ministre de la Santé Sylvia Jones, entend délaisser la logique de réduction des risques au profit d’une politique axée sur le traitement et la guérison, affirmant que « regarder quelqu’un s’injecter une drogue illicite n’est pas un soin ».
Ce changement s’accompagne de justifications sécuritaires : hausse de la criminalité jusqu’à 250 % autour des centres, selon les autorités.
La ville de San Francisco conditionne l’accès aux SCMR à l’orientation des toxicomanes vers le soin. « Out of the street into rehab », comme ils disent. Autrement dit en Français : « De la rue à la désintox ».
Le gouvernement de l’Ontario et la ville de San Francisco ont changé de politique parce que la logique de ces structures est fondamentalement palliative et non curative. Les salles de consommation à moindre risque (SCMR), communément nommées « salles de shoot », il faut le rappeler, sont d’abord des salles où l’on consomme de la drogue.
Les partisans de ces salles partent du principe que l’addiction est une fatalité avec laquelle il faudrait composer. On y accompagne les usagers dans leur consommation, mais on ne leur offre pas de perspective réelle de sortie de leur dépendance.
Or, la mission d’une politique de santé publique digne de ce nom n’est pas de stabiliser la consommation de drogues dans la rue ou dans une salle, mais d’accompagner vers un sevrage progressif, vers une vie libérée de l’asservissement toxique. Ces structures peuvent peut-être retarder des overdoses, mais elles ne permettent pas aux personnes de retrouver leur autonomie, leur dignité et leur place dans la société.
Vous dénoncez également l’idéologie des associations qui soutiennent ce dispositif ? À quelle idéologie faites-vous allusion ?
Je fais référence à ce qu’est devenu une idéologie au nom de la « réduction des risques », laquelle est érigée en dogme et constitue une fin en soi. Cette idéologie prétend que l’abstinence est irréaliste et que toute ambition de guérison serait répressive.
Ce faisant, elle relativise les dégâts de la drogue, et si elle adopte le vocabulaire du soin et du rétablissement, c’est purement formel.
Dans les faits, la pratique des tenants de cette idéologie est tout autre : elle s’accommode de la présence massive de toxicomanes dans l’espace public. Elle confond compassion et résignation, alors qu’il est possible – et souhaitable – de faire autrement.
Faire autrement : c’est viser le sevrage, offrir un véritable soin structuré, réhabiliter les personnes. Aujourd’hui, la vision qui domine dans le secteur de l’addictologie, est en fait profondément déshumanisante car elle réduit les usagers à leur consommation.
Au mois d’avril, l’ONG Médecins du monde a attaqué l’État en justice pour « inaction ». « L’absence de nouvelles HSA (Haltes soins addictions) dans un contexte d’urgence sanitaire pour les usagers et usagères de drogues est un déni de santé publique », est-il écrit dans le communiqué de l’organisation. Quelle est votre analyse ?
Je comprends l’inquiétude face à la détresse de nombreux consommateurs de drogue et il y a urgence à les aider. Mais nous ne sortirons pas de cette crise par l’ouverture de nouveaux dispositifs qui accompagnent la consommation.
C’est une forme d’abandon organisé. La véritable inaction, c’est de ne pas créer de centres de sevrage efficaces, de structures de réinsertion, de parcours de soins cohérents. Le véritable déni de santé publique, c’est de considérer que l’addiction est un état indépassable.
La France a besoin d’un plan national de sortie de l’addiction, articulant médecine, accompagnement psychologique, réhabilitation sociale, et cadre juridique clair. Quant à l’attaque en justice de l’État : il appartient à l’État de s’interroger sur ces associations qu’il finance très généreusement et qui se retournent contre lui.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que ces structures permettent de sauver des vies. En 2021, l’Inserm indiquait que les salles de shoot avaient permis d’éviter la mort de 43 personnes.
Chaque vie sauvée est précieuse. Que ces structures permettent de sauver des vies en évitant des overdoses en leur sein, c’est le minimum ! Mais l’enjeu ne se limite pas à éviter l’overdose dans l’instant : il s’agit de sauver des vies au sens plein du terme, c’est-à-dire permettre aux personnes de sortir de l’enfer de la dépendance, de retrouver une existence stable, un travail, des liens familiaux.
Le chiffre de 43 vies sauvées doit être mis en regard des milliers de vies figées, enfermées dans une consommation chronique, dans des parcours sans issue. Ce que je conteste, c’est la prétention à faire de ces structures un modèle de politique publique, alors qu’elles ne sont qu’un pis-aller sans perspective. Le véritable humanisme, c’est de viser la liberté retrouvée, pas la consommation surveillée.
Vous défendez, à la place de ces salles de shoot, une autre approche. Celle d’un soin « structuré » . Pourriez-vous revenir en détails dessus ?
Le continuum de solutions que les structures en addictologie proposent en France est mal articulé.
Seuls 10 % des toxicomanes fréquentant les CAARUD (Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues, ndlr) sont orientés vers les CSAPA (Centres de Soin, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie, ndlr), dès le départ le système est inefficace. Ensuite, la prise en charge en ambulatoire entre les CSAPA et les hôpitaux pour la désintoxication interroge. Pourquoi aucun CSAPA ne communique sur le nombre de patients désintoxiqués ?
Ce choix de privilégier un accompagnement en ambulatoire en CAARUD et en CSAPA pouvait se justifier avec les traitements de substitution lors de l’épidémie d’héroïne dans les années 1980, mais aujourd’hui ce modèle est en panne avec le crack et la cocaïne vis-à-vis desquels il n’existe pas de traitements de substitution. La France est en retard sur les centres de traitements.
Quant à l’accès à l’hôpital, les délais sont trop longs par manque de places et sont la raison de nombreuses rechutes.
Une réflexion sur un parcours de soins sans rupture est le préalable à la mise en place d’un projet de soin et de sortie de l’usage de drogue.
Ce que je propose, c’est une politique ambitieuse fondée sur le rétablissement. C’est-à-dire la sortie de l’usage de drogue.
Cela implique la création de centres multidisciplinaires proposant des cures de sevrage médicalisées, suivies de programmes de réinsertion sociale et professionnelle. Le modèle Minnesota, par exemple, articule thérapie intensive, accompagnement des familles et soutien post-sevrage.
On peut aussi s’inspirer des centres de traitements qui proposent un véritable accompagnement à la reconstruction. La plupart de ces centres de traitements sont privés et donc accessibles seulement à un petit nombre qui a les moyens.
L’État pourrait s’en inspirer et proposer ce type de modèle comme un service public gratuit aux toxicomanes, les plus précaires notamment. Par ailleurs, il faut enfin investir dans la prévention, l’éducation, le soutien psychologique en amont, plutôt que d’aménager les conséquences du chaos. La dépendance n’est pas une fatalité. La société doit proposer une issue.
L’absence de traitements de substitution au crack et à la cocaïne démontre l’échec de la prise en charge de ces personnes qui ont prioritairement besoin d’être soignées et désintoxiquées plutôt qu’accompagnées dans l’usage de drogue.
L’intérêt des centres de traitements est de permettre une prise en charge globale sans rupture dans le même lieu pour la désintoxication et le rétablissement ou réhabilitation.
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