Samuel Furfari : « La France a tout intérêt à explorer dans un futur proche les espaces maritimes autour des îles Éparses »

Par Julian Herrero
9 mai 2025 13:18 Mis à jour: 9 mai 2025 14:09

ENTRETIEN – Le contentieux entre Paris et Antananarivo au sujet des îles Éparses (Europa, Tromelin, Bassas da India, les Glorieuses et Juan de Nova) est revenu dans l’actualité à l’occasion d’une tournée d’Emmanuel Macron dans l’océan Indien au mois d’avril et d’une rencontre avec son homologue malgache, Andry Rajoelina. Les deux chefs d’État ont décidé de reprendre les discussions pour tenter de trouver une issue.

Samuel Furfari, ex-haut fonctionnaire européen, professeur de géopolitique de l’énergie et auteur d’Énergie, mensonges d’État. La destruction organisée de la compétitivité de l’UE (L’artilleur, 2024) revient sur les origines et les enjeux autour de ces territoires.

Epoch Times : Samuel Furfari, à quand remonte ce contentieux entre la France et Madagascar ? Pour quelles raisons ces îles créent-elles des tensions entre les deux pays ?

Samuel Furfari  : Il faut remonter à l’indépendance de Madagascar, c’est-à-dire 1960. À l’époque, il n’y a pas eu de rétrocession de ces îles qui se trouvent tout autour du pays. Madagascar a commencé à s’y intéresser et les revendiquer à partir des années 1970.

Pendant longtemps, personne ne s’en est préoccupé parce qu’avant cette période, aucun pays ne rencontrait des problèmes en matière d’énergie. Les nations avaient à leur disposition de l’énergie abondante et bon marché.

Le tournant fut le choc pétrolier de 1979, lorsque les compagnies occidentales et plus particulièrement américaines ont été chassées de la toute nouvelle République islamique d’Iran.

Ainsi, le monde entier et l’Amérique en tête, ont été confrontés, pour la première fois, à un manque de production de pétrole.

Jimmy Carter, alors président des États-Unis, a tenté de réagir, mais la prise d’otage à l’ambassade américaine à Téhéran qui a duré plus d’un an lui a coûté l’élection.

Son successeur, le républicain Ronald Reagan a convoqué des experts au début de son mandat qui lui ont conseillé d’aller chercher du pétrole dans ce qu’on appelle en géologie les roches sédimentaires, que l’on peut trouver le long des océans.

Tout le monde savait à l’époque que ces roches contenaient du pétrole, mais aucun État ne pouvait aller les exploiter puisqu’elles se situaient dans des espaces maritimes considérés comme des eaux internationales.

C’est la raison pour laquelle le monde entier s’est réuni à Montego Bay en 1982 et a adopté une convention octroyant aux États une frontière maritime de 370 kilomètres, donnant ainsi accès à ce qu’on appellera plus tard les Zones Économiques Exclusives (ZEE) et donc parfois à des ressources énergétiques.

On parle souvent de ressources halieutiques, mais les ZEE ont surtout été créées pour l’accès au pétrole et au gaz offshore.

Et si les îles Éparses sont revendiquées par Paris et Madagascar, c’est surtout parce qu’il y a des hydrocarbures.

Ces îles sont riches en hydrocarbures notamment au niveau du Canal du Mozambique. En même temps, la France a interdit les forages pétroliers maritimes en 2017. Qu’en pensez-vous ?

Vous avez tout à fait raison de rappeler cela. La France se prive elle-même de ressources. Explorer le canal du Mozambique présente un intérêt majeur. Le Mozambique y a découvert des gisements de gaz. C’est plus particulièrement le gisement de Rovuma qui suscite des convoitises. Celui-ci a d’ailleurs suscité l’intérêt de la compagnie italienne ENI.

Toute la région de l’océan Indien qui s’étend de la Tanzanie jusqu’à l’Afrique du Sud est une immense réserve de gaz et d’autres hydrocarbures comme le pétrole.

Quel est aujourd’hui l’intérêt pour la France de conserver ces îles si elle ne peut pas faire des forages ? Maintenir sa présence dans la région ?

Cette interdiction datant de 2017 ne va pas durer. Dès que les États vont se rendre compte que les politiques environnementales mises en œuvre jusqu’à présent et les objectifs de décarbonation ne mènent nulle part, ces « barrières » seront levées. Je pense que cela ne devrait pas tarder à arriver et qu’Emmanuel Macron le sait très bien.

Il sait pertinemment qu’un jour, l’Accord de Paris sera abandonné et que le monde entier devra reprendre les recherches de pétrole et de gaz.

Pour des raisons financières et de souveraineté énergétique, la France a tout intérêt à explorer dans un futur proche les espaces maritimes autour des îles Éparses.

Concernant la présence de Paris dans la région, je dirais que l’enjeu est secondaire. Implanter une base militaire dans cette zone ne serait pas absurde, mais la priorité demeure la recherche et l’exploitation des hydrocarbures et des nodules polymétalliques.

Le président malgache a indiqué qu’il souhaitait se rendre sur les îles. Quel serait l’intérêt pour Madagascar de les récupérer ?

Les revendications territoriales sont des éléments que l’on ne sait pas maîtriser et qui remontent dans le subconscient des populations.

Regardez la situation au Cachemire entre le Pakistan et l’Inde. C’est un conflit de frontières qui dure depuis des années et qui n’est pas près de se terminer.

Même chose pour le contentieux gréco-turc en mer Égée. Partout dans le monde entier, il y a cette volonté de conserver ou de récupérer des territoires. La France et Madagascar n’échappent pas à la règle.

La commission Madagascar-France créée en 2019 va se réunir le 30 juin prochain pour évoquer la situation. Que faut-il attendre de ces négociations ?

Pas grand-chose. Aucune des deux parties ne compte céder. Mais ce contentieux est plus problématique pour Antananarivo que pour Paris puisque Madagascar est un pays sous-développé qui a besoin d’argent. L’île rouge serait par ailleurs bien incapable de mener une guerre de territoires contre la France.

Cette querelle pourrait éventuellement être réglée par le tribunal de la Haye, mais encore faut-il que les deux parties fassent preuve de bonne volonté et soient prêtes à trouver un compromis. Ce qui n’est pas exactement le cas aujourd’hui.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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