Les secrets des racines et des sols, clefs de l’agroécologie

Par Michel-Pierre Faucon, Enseignant-chercheur en écologie végétale et agroécologie - Directeur à la recherche UniLaSalle Beauvais, UniLaSalle; David Houben, Enseignant-chercheur en science du sol et Directeur du Collège Agrosciences, UniLaSalle et Murilo Veloso, Enseignant-chercher en Science du Sol, Unité AGHYLE, Campus de Rouen, UniLaSalle
9 décembre 2022 08:59 Mis à jour: 9 décembre 2022 08:59

L’envolée des prix des engrais azotés (augmentation de 400 % en 18 mois) et le risque de pénurie projeté au printemps prochain au vu des difficultés d’approvisionnement en énergie pourraient accentuer les problèmes de sécurité alimentaire dans de nombreuses régions du monde. Dans ce contexte, les questions autour des interactions sol-racine connaissent un regain d’intérêt aujourd’hui.

Cachés, ces organes souterrains indispensables à la vie des plantes et de nombreux organismes du sol sont au cœur des recherches en agroécologie. L’objectif : miser sur la complémentarité des racines pour l’occupation de l’espace et l’acquisition de l’eau et des nutriments afin de mieux exploiter les ressources naturelles hétérogènes du sol, et réduire l’apport d’intrants (l’apport de matières exogènes à l’agrosystème comme les fertilisants de synthèse ou d’origine minière) et les émissions de gaz à effet de serre associées à leur utilisation tout en favorisant le stockage du carbone dans les sols.

Les sols par définition sont hétérogènes physiquement, chimiquement, biologiquement, horizontalement et verticalement. Cette hétérogénéité existe de l’échelle de l’infinitésimal à celle du paysage et plus encore, en passant par celle du pédon (unité tridimensionnelle à la surface de la terre considérée comme sol) ou de la parcelle.

À l’échelle microscopique, les sols sont hétérogènes de par la diversité de formes chimiques des éléments minéraux qu’on y rencontre mais aussi en raison de la variation de la taille des agrégats du sol (quelques dixièmes de millimètres à quelques millimètres) formés par l’association de minéraux, de bactéries ou d’hyphes de champignon et de matières organiques, et dont l’ensemble constitue le sol.

Les sols offrent une diversité d’habitats et de niches écologiques pour les organismes vivants. Cette diversité de niches écologiques chez les végétaux s’explique par la diversité de racines, leur capacité à modifier leurs caractéristiques vis-à-vis des changements des propriétés des sols et leur hétérogénéité (appelée plasticité phénotypique).

Cette large diversité de caractères fonctionnels racinaires (morphologique, architecturale, physiologique, interactions biotiques) apparaît plus importante qu’au niveau des parties aériennes (tiges et feuilles) au sein du règne végétal. Elle serait même le fruit de l’évolution des interactions sol-plantes, et de la réponse des végétaux à l’hétérogénéité des sols. La connaissance du rôle fonctionnel des racines et de leurs réponses vis-à-vis des propriétés du sol et de leur hétérogénéité s’est approfondie depuis une décennie.

Des racines pour une diversité de formes chimiques d’éléments minéraux

Les plantes possèdent une diversité de stratégies d’acquisition des nutriments souvent à la base de la différenciation de leur niche écologique en réponse à la variabilité chimique des sols (par exemple, la variation spatiale des concentrations en nutriments et de leurs formes chimiques).

Racines fines d’une graminée explorant le sol, un espèce de pâturin. Julie Loiseau, Fournie par l’auteur

Cette variation des propriétés du sol constitue un facteur important dans la formation des communautés (assemblages d’espèces) végétales, animales et microbiennes du sol, particulièrement dans les contextes de sols présentant une faible fertilité (des carences en nutriments) où la compétition pour la lumière n’est pas le principal facteur responsable de la structuration des communautés.

Par exemple, une faible disponibilité en azote dans les sols constitue une condition favorable pour les légumineuses étant donné leur symbiose avec des bactéries fixatrices d’azote atmosphérique qui assure leur autonomie azotée. Inversement, les zones riches en azote sont occupées préférentiellement par des espèces ne bénéficiant pas de cette symbiose (les graminées, les espèces de la famille du chou…) et qui sont donc davantage dépendantes de l’azote disponible dans le sol. Ces plantes maximisant l’acquisition de l’azote présentent des stratégies communes à l’acquisition de l’eau puisque l’azote disponible est mobile et est transporté par les flux d’eau verticaux dans les sols. Elles présenteront une architecture racinaire spécifique avec notamment des racines plus profondes.

Bien qu’essentiel aux plantes, le phosphore est souvent peu disponible dans les sols. Pour pouvoir se le procurer et en bénéficier, les espèces et variétés ont ainsi développé différents mécanismes permettant de mobiliser les formes de phosphore non disponibles dans le sol : certaines mobilisent les formes organiques du phosphore, d’autres les formes inorganiques associées aux minéraux du sol.

La diversité et la proportion des formes chimiques de phosphore varient d’un sol à l’autre et peuvent expliquer la coexistence d’espèces végétales dans des conditions déficientes en nutriments. À l’échelle d’un volume de sol de quelques centimètres cube ou d’une parcelle, une hétérogénéité spatiale des teneurs en nutriments (notamment en azote et phosphore, nutriments majeurs pour les plantes) existe.

Grâce à la diversité morphologique et architecturale de leurs racines, certaines plantes (comme de nombreuses espèces de graminées) pourront explorer préférentiellement les microzones les plus riches en phosphore disponible ; c’est notamment le cas de celles développant une longueur racinaire importante et une densité élevée de poils absorbants (le blé, le seigle, l’avoine, les graminées des prairies…).

En revanche, celles qui n’investissent pas dans la longueur racinaire occupent les espaces les moins fertiles en mobilisant le phosphore non disponible (les espèces de la famille du chou : la moutarde, le radis…) ou en s’associant avec des champignons symbiotiques (les mycorhizes), par exemple, les plantes de la famille du pois (les trèfles, les luzernes…). Cette diversité de stratégies d’acquisition des nutriments implique une complémentarité entre les espèces végétales, voire une facilitation quand l’une rend service à sa voisine.

Pouvoir capitaliser sur ces interactions positives entre espèces végétales rendues possibles grâce à l’hétérogénéité chimique des sols constitue une opportunité pour développer des systèmes de culture diversifiés en espèces, productifs et économes en intrants.

Une hétérogénéité des minéraux pour le stockage du carbone dans les sols

L’hétérogénéité des minéraux du sol en profondeur modifie la structure du sol et induit une hétérogénéité dans la répartition du carbone organique stable dans le sol puisque ce sont les molécules de carbone fixées par les minéraux (comme les argiles et les oxydes de fer) qui sont les plus stables dans le temps constituant une fraction clef pour la séquestration du carbone dans le sol et l’atténuation des changements climatiques.

Racine épaisse (diamètre supérieur à 2 mm) d’une plante conservant ses ressources (sucres et nutriments), le fragon petit houx. (Julie Loiseau, photo fournie par l’auteur)

Cette hétérogénéité du sol peut être accentuée par l’apport de carbone en profondeur par les racines directement ou par les champignons mycorhiziens en association avec la plupart des plantes, à l’exception des plantes de la famille du chou et du colza, et de la famille des betteraves et épinards, et quelques variétés modernes de céréales qui ont perdu cette capacité naturelle lors du travail de sélection par l’Homme.

Ces plantes grâce à leurs champignons mycorhiziens sont capables d’explorer en profondeur le sol (parfois au-delà d’un mètre) et ainsi apporter du carbone par la libération de petites molécules organiques ou le remplacement des hyphes des champignons (filaments cylindriques qui constituent la structure du corps des champignons multicellulaires). Ce carbone apporté en profondeur dans le sol par les champignons sera stable dans le temps étant donné les faibles teneurs en oxygène.

Pour une diversité de solutions agroécologiques

La connaissance sur le rôle fonctionnel des racines s’est intensifiée depuis une décennie et commence à intéresser les agronomes, sélectionneurs et semenciers qui y perçoivent un levier pour adapter les cultures aux changements climatiques et à la réduction de fertilisant de synthèse (onéreux et présentant des externalités négatives sur l’environnement). Elle constitue un socle pour le développement de l’agroécologie puisqu’elle participe à la conservation des sols et permet de repenser les pratiques de fertilisation en réduisant les apports d’engrais de synthèse ou d’origine fossile.

La mise en évidence du rôle que joue l’hétérogénéité des sols dans les interactions sol-plantes amène à repenser la sélection des variétés des plantes cultivées. Historiquement, celle-ci s’est surtout focalisée sur les parties aériennes dans des conditions homogènes et conventionnelles de culture sans déficit d’eau et de nutriments et sous apport d’engrais.

Le défi actuel est de mobiliser cette nouvelle connaissance pour sélectionner des caractères racinaires favorables à une croissance des plantes peu consommatrice d’intrants. L’enjeu est bien de cultiver en réduisant les émissions de gaz à effet de serre tout en réduisant les coûts de production.

Nous pouvons repenser les pratiques agricoles en combinant dans une même culture différents types de plantes fixés génétiquement pour explorer l’hétérogénéité du sol et en bénéficier, ou plusieurs espèces complémentaires dans leurs caractéristiques et fonctions (apportant de l’azote naturellement, mobilisant le phosphore du sol, favorisant la structure du sol…).

Ces cultures associant plusieurs espèces sont actuellement mises en place par quelques agriculteurs expérimentés dans le cadre d’associations de cultures annuelles simultanées, de cultures pérennes et annuelles (c.-à-d., l’agroforesterie), de cultures en relais (par exemple avec l’implantation de soja dans une culture d’orge d’hiver avant sa récolte), et de cultures intermédiaires (comme engrais vert, ou culture récoltée pour le fourrage ou la méthanisation). Le développement de ces cultures diversifiées en espèces ou variétés requiert une connaissance technique fine et une adaptation des machines agricoles (semoirs, tracteurs…).

Par exemple, la coexistence de ces espèces nécessite une faible compétition pour la lumière, qui sera gérée par une bonne définition de la densité de semis de chacune de ces espèces (les espèces les plus hautes seront semées moins densément) et/ou de la distance entre les rangs de semis. Toutes ces connaissances et applications dépendent des travaux interdisciplinaires produits grâce à l’intelligence collective entre les scientifiques du sol, les écologues, les agronomes, les agriculteurs expérimentateurs, les spécialistes des techniques et machines agricoles et les semenciers sélectionneurs. La densification de ces travaux collectifs entre les scientifiques et acteurs du développement agricole accélérera la transition agroécologique dans ce contexte de raréfaction des ressources et de changements climatiques.The Conversation

Michel-Pierre Faucon, Enseignant-chercheur en écologie végétale et agroécologie – Directeur à la recherche UniLaSalle Beauvais, UniLaSalle; David Houben, Enseignant-chercheur en science du sol et Directeur du Collège Agrosciences, UniLaSalle et Murilo Veloso, Enseignant-chercher en Science du Sol, Unité AGHYLE, Campus de Rouen, UniLaSalle

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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