« Seules des réformes drastiques, alliées à un changement de paradigme de la société pourraient permettre à la France de rebondir », estime Pierre-Jean Doriel

Par Julian Herrero
16 juin 2025 13:24 Mis à jour: 16 juin 2025 15:51

ENTRETIEN – Alors que la situation économique et financière de la France continue de se détériorer, la ministre des Comptes publics tire la sonnette d’alarme. Mardi dernier, Amélie de Montchalin affirmait sur RTL qu’il y a un risque que la France soit mise sous tutelle des « institutions internationales, européennes et de nos créanciers ».

Pierre-Jean Doriel est historien de formation et directeur général de l’Institut des Français de l’Étranger. Selon lui, des réformes ambitieuses et des coupes drastiques dans les dépenses sociales sont essentielles pour assainir nos comptes publics, mais les Français ne sont pas encore prêts à accepter ces solutions, déplore-t-il.

* L’institut des Français de l’étranger vient de publier une étude sur le thème : « Passer de la dépendance passive à la solidarité active grâce à la responsabilisation citoyenne ».

Epoch Times : Qu’est-ce que les propos de la ministre des Comptes publics disent de l’état dans lequel se trouve la France ?

Pierre-Jean Doriel : Ce n’est plus un secret pour personne. La situation économique et financière de la France est dramatique. Nos dirigeants ne semblent plus avoir aucun contrôle dessus.

On ne sait plus où et comment l’argent public est dépensé. Les Français de l’étranger que nous interrogeons sont d’ailleurs stupéfaits et choqués par cette situation. Pour eux, l’administration française était l’une des plus prestigieuses du monde. Ils croyaient dans le mythe du service public à la française. Finalement, ils ont découvert la triste réalité derrière un modèle qui a longtemps inspiré le monde entier.

Concernant les propos de la ministre des Comptes publics, je pense que derrière les intentions louables, il s’agit d’une stratégie de communication. Il ne vous aura pas échappé que le budget de l’année prochaine est en cours de préparation et que le gouvernement commence à préparer les esprits.

En tant qu’historien de formation, spécialiste de la Révolution française, je considère que la période que nous connaissons est identique à celle de la fin du XVIIIe siècle peu avant la prise de la Bastille.

Quand vous lisez les cahiers de doléances de l’époque, vous comprenez qu’il y avait, comme aujourd’hui, une incompréhension du peuple face à une élite qui jouit de nombreux privilèges, une justice beaucoup trop longue et illisible, beaucoup de réglementations et un État en faillite.

Pour tout vous dire, je suis assez pessimiste. Seules des réformes drastiques, alliées à un changement de paradigme de la société pourraient permettre à la France de rebondir.

Mais les Français, tout en étant d’accord sur le constat de la gravité de la situation, ne sont pas du tout prêts à accepter les solutions qui s’imposent.

Amélie de Montchalin et le gouvernement dans son ensemble vont donc devoir faire preuve d’un peu plus d’imagination pour faire comprendre à la population que nous n’avons plus de temps à perdre.

Le gouvernement a pour ambition de réaliser des économies de l’ordre de 40 milliards d’euros d’ici 2026 pour ramener le déficit public à 4,6 % du PIB. Pour ce faire, différentes pistes sont envisagées, notamment le gel budgétaire et la fusion ou la suppression de certaines agences de l’État. Qu’en pensez-vous ?

Le gel budgétaire est utilisé par les pays en mauvaise posture économique et financière, mais je ne crois pas un seul instant que le gouvernement français va geler les budgets. Il ne peut pas le faire : le chômage va augmenter. L’État devra par conséquent verser toujours plus d’indemnités.

Par ailleurs, le nombre de fonctionnaires ne cesse de croître depuis des années. Tous ces nouveaux agents devront également être payés !

Quand le gouvernement parle d’année blanche, il s’agit en réalité d’une rhétorique et non de la manifestation d’une forme de volontarisme.

Pour ce qui est de la fusion ou la suppression des agences de l’État, c’est une piste qui va dans le bon sens. Mais pourquoi ne l’avons-nous pas fait avant ? La problématique de la multiplication des organismes étatiques n’est pas nouvelle.

Cependant, je souhaite bien du courage au gouvernement : toutes ces agences sont soutenues par des lobbys internes assez puissants qui sont prêts à aller au bras de fer.

Vous avez parlé des indemnités chômage. Pour vous, des économies ne peuvent être réalisées sans une baisse majeure des dépenses sociales et une réforme complète de notre modèle ?

C’est une évidence ! Notre pays est gangréné par les dépenses sociales. Laissez-moi vous donner quelques chiffres. En France, ces dépenses représentent 32 % du PIB contre 18 % aux États-Unis, pays souvent critiqué par nos élites pour son modèle social.

Par ailleurs, en France, le taux de pauvreté atteint 14,5 % tout en étant en hausse, alors qu’il est à 17,5 % outre-Atlantique, mais en situation de stagnation.

Entre nous et l’Amérique, il y a donc un différentiel de 18 % en matière de dépenses sociales qui nous sert à absorber seulement 3 % de taux de pauvreté. C’est bien la preuve que la machine s’est enrayée.

Notre modèle social, qui, à une époque, était vertueux, ne l’est plus et n’endigue plus du tout la pauvreté.

Il est donc vital de passer au crible toutes les dépenses sociales qui doivent être taillées, et même se pencher sur les « petites » dépenses. Certaines, prises séparément, ne permettraient pas de réaliser de grandes économies, mais si nous les additionnons, c’est une tout autre affaire.

Cette réflexion me fait penser à l’exemple de l’allocation de rentrée scolaire. Elle ne représente pas grand-chose dans le budget de l’État, mais aujourd’hui elle est toujours versée à certaines familles alors que de plus en plus de villes distribuent gratuitement des packs de fournitures scolaires à leurs administrés les moins aisés.

Je ne vois pas pourquoi une famille bénéficierait à la fois de cette allocation et de ce type de pack. Nous pourrions supprimer ce doublon.

Il y a également des sujets touchant l’abus de consommation des services de santé. La communauté nationale n’a pas à subventionner sans limite les abus maintes fois dénoncés.

À mon sens, nous pourrions avoir recours à l’IA pour évaluer le taux de remboursement de la consultation pour ces patients, en fonction du nombre de fois où ils se rendent chez le praticien chaque année et de la pathologie. Cette méthode de calcul est en vigueur à Singapour ou à Taïwan par exemple dans une logique de gestion « assurantielle ».

Mais comme je le disais, nous ne pourrons mettre en œuvre de telles mesures tant que les Français ne seront pas prêts à l’entendre.

Selon nos calculs, chaque personne en France a au moins un frère ou un cousin qui travaille dans la fonction publique. Chacun se sent donc plus ou moins « concerné »…

Naturellement, la plupart des Français ne vont pas vouloir qu’un des membres de leur famille perde son emploi et vont donc s’opposer à des coupes budgétaires drastiques.

L’État ne peut donc pas toucher au modèle social sans provoquer une forte contestation…

Oui. Et cette situation est d’autant plus inquiétante que nous sommes le dernier pays européen à ne pas avoir entrepris de réformes audacieuses. Aussi bien les pays d’Europe du Nord que du Sud l’ont fait, souvent d’ailleurs des gouvernements de gauche !

Nous sommes en retard parce que, comme je l’ai dit à plusieurs reprises, le citoyen français ne peut plus entendre que des coupes drastiques doivent être mises en place. Dès qu’un responsable politique ose s’attaquer à la gabegie, l’injustice sociale est brandie.

Mais cette incompréhension ne vient pas de nulle part. Ces quarante dernières années, l’État, pour acheter la paix sociale, a enfermé le pays dans un système qui a rendu une partie importante de la population dépendante de lui financièrement. À cette dépendance s’est ajoutée une inflation bureaucratique. J’appelle ce phénomène, qui s’est accéléré dans les années 2000, l’impuissance régulatrice.

Ce système d’assistanat et de contrôle a d’ailleurs engendré une perte de liberté permanente.

Pour être honnête, je suis assez pessimiste quant à l’avenir des réformes nécessaires en France. La Grèce a dû subir une crise dramatique pour se réformer. La cure d’austérité y a été violente mais a vraiment changé l’approche des citoyens, comme le montre l’étude publiée par l’Institut des Français de l’Étranger publiée cet hiver.

Le think tank dont vous êtes le directeur général est d’inspiration libérale. Quelle est votre approche et votre vision du libéralisme ?

À l’Institut des Français de l’Étranger, nous sommes profondément libéraux, mais pas seulement d’un point de vue économique. Nous le sommes également sur le plan humain et philosophique.

Le libéralisme a beau ne pas jouir d’une excellente réputation dans notre pays, il n’en demeure pas moins une manière pour l’être humain de se rendre libre par lui-même, en s’assumant et en faisant ses choix.

Je reconnais qu’il y a une part de risque, mais il est quand même plus agréable de se dire que l’on s’est trompé tout en ayant eu le choix plutôt que d’être victime des erreurs des autres.

Cela étant, nous ne sommes pas exactement alignés sur le libéralisme anglo-saxon qui a ses particularités intrinsèquement liées au protestantisme. Nous défendons un État arbitre, mais dont la vocation n’est pas de tout régenter ou organiser comme c’est le cas aujourd’hui.

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