Shinzo Abe à Téhéran : une dernière chance pour la désescalade ?

Par Epoch Times
14 juin 2019 15:25 Mis à jour: 30 avril 2021 14:57

Par Nader Nouri, ancien diplomate iranien basé à Paris. M. Nouri est secrétaire général de la Fondation d’Etudes pour le Moyen-Orient (FEMO)

En visite officielle à Téhéran du 12 au 14 juin, Shinzo Abe, le Premier ministre japonais, est au centre d’une initiative diplomatique dite de « médiation » alors que les tensions entre les États-Unis et la République islamique ne cessent de s’intensifier. Des efforts semblables ont été rapportés, au cours des semaines dernières, des pays de la région comme l’Irak, le Kuweit et le sultanat d’Oman.

Cependant, de nombreux analystes politiques basés à Téhéran sont sceptiques quant aux chances de réussite de telles initiatives – difficile de qualifier de « médiation » dans l’usage international – entreprises par les acteurs régionaux ou internationaux puissent avoir un impact réel sur la situation et conduire à une vraie désescalade, tant il est vrai que les tensions actuelles sembles avoir atteint, de par leur ampleur et niveau d’intensité, un point de non-retour.

Point de non-retour ?

Il faut néanmoins admettre que la visite effectuée le lundi 10 juin par Heiko Maas, ministre allemand des Affaires étrangères, à Téhéran et actuellement celle du Premier ministre japonais, visent essentiellement à réduire les tensions, plutôt que tenter une « médiation » au sens propre du terme, car il est clair que la montée des tensions entre Téhéran et Washington est sur le point de mettre le monde au bord d’une crise majeure.

C’est pourquoi nous assistons à une activité diplomatique intense de plusieurs pays à travers le monde, de la Suisse au Japon en passant par l’Allemagne et les pays de la région du Golfe persique. Même si certains de ces pays se trouvent loin d’un théâtre éventuel du conflit, il est très probable que si la crise perdure avec l’intensité actuelle, la situation risque de dégénérer avec des conséquences néfastes pour tous les pays. C’est pourquoi les efforts de MM. Maas et Abe ne peuvent être considérés que dans une optique de désescalade. Toutefois une baisse éventuelle des tensions ne peut être que circonstancielle, relative et de courte durée.

Le fait que M. Abe décide d’effectuer la première visite d’un Premier ministre japonais en Iran depuis la révolution islamique, signifie que soit Donald Trump a transmis des messages à son hôte lors de sa visite officielle récente à Tokyo, pouvant conduire à une baisse des tensions et, dans une étape ultérieure, à des négociations entre les États-Unis et l’Iran, soit M. Abe s’est persuadé qu’il est possible de calmer le jeu par une initiative diplomatique plutôt spectaculaire. D’autres éléments, comme le voyage, mi-mai, de Javad Zarif, le chef de la diplomatie de Téhéran, à Tokyo, ainsi que les déclarations récentes de Mike Pompeo, le Secrétaire d’État américain, sur le souhait de son pays de négocier avec Téhéran « sans conditions préalables », pointent également vers une tendance globale pour l’apaisement de la situation.

Néanmoins, la situation est si délicate que toute erreur de calcul ou incident d’un côté ou de l’autre pourrait rendre les choses incontrôlables. Reste à observer le cours des événements dans les jours et les semaines à venir pour avoir une conclusion définitive sur la possibilité d’une désescalade. Ce qui est sûr est que malgré les efforts diplomatiques intenses du moment, une négociation en bonne et dû forme entre l’Iran et les États-Unis sera très difficilement envisageable, les efforts actuels ne pouvant, tout au plus, avoir pour résultat qu’une accalmie provisoire.

Ali Khamenei, le « guide suprême » de la République islamique a précisé et répété fermement à plusieurs reprises qu’il n’entrerait pas en guerre, ni dans des négociations avec les États-Unis, car il considère que les négociations devraient aboutir à un « deal » et qu’il serait contraint, une fois assis à la table de négociations, de renoncer, premièrement, à sa politique interventionniste dans la région, notamment au Yémen, en Irak, en Syrie ou au Liban, et deuxièmement à son programme du développement des missiles balistiques de longue portée, capables de porter des têtes nucléaires dont il estime avoir besoin pour assurer la survie de son régime aux abois en menaçant Israël et éventuellement l’Europe.

Par conséquent, on peut dire avec un haut degré de certitude que l’entêtement du Guide suprême est la vraie raison pour laquelle cette crise a atteint un point de non-retour.

Basé sur les dogmes religieux appartenant au Moyen-Âge, la théocratie au pouvoir en Iran, a été, intrinsèquement, incapable de satisfaire les revendications économiques et socioculturelles d’une population de 80 millions, et encore moins les aspirations de la jeunesse pour la liberté et la démocratie. Pour masquer son impuissance fondamentale face aux problèmes d’une société en pleine ébullition et en quête de modernité, le pouvoir théocratique a recours, comme toute autre dictature, à une politique agressive à l’extérieur des frontières du pays dans le but de juguler la contestation à l’intérieur voire la réprimer en prétextant des crises externes ou des ennemis qui menaceraient le pays.

Dans l’hypothèse où le régime du « guide suprême » religieux soit contraint de s’asseoir à la table de négociations qui l’obligeraient à faire des concessions sur ses deux armes principales, il se verra aussitôt dans l’obligation de satisfaire au moins une partie essentielle des revendications populaires. Dans cette hypothèse on voit mal comment un régime usé et affaibli et construit sur une idéologie obscurantiste qui nie les fondamentaux d’une société moderne, pourra survivre à un tel défi.

Alors que le dialogue entre les deux parties semble dans une impasse, peut-on conclure que les tensions vont monter jusqu’à un conflit armé ? Car d’un côté, la République islamique n’est guère disposée à négocier directement avec les États-Unis, et de l’autre, la condition préalable posée par Téhéran pour un retour à l’accord de juillet 2015 sur le nucléaire, est inacceptable pour Washington.

Parallèlement, les Américains ont souligné à maintes reprises qu’ils ne veulent pas de guerre, insistant que le déploiement d’un dispositif militaire américain dans la région du Golfe persique a un but dissuasif. De son côté, Ali Khamenei a indiqué, nonobstant sa politique belliqueuse, qu’il ne voulait pas une guerre non plus.

La vérité derrière cette position de Khamenei est que tout affrontement militaire pourrait agir comme une étincelle dans la poudrière de la colère populaire en Iran, résultat des décennies de répression et d’un désastre économique avec son lot de misère et de mécontentement, notamment parmi les jeunes.

L’équilibre de forces actuel entre le régime de Téhéran et Washington peut-il perdurer infiniment ?

Depuis décembre 2017, les villes d’Iran sont le théâtre d’un mouvement de contestation sociale et politique. Des ouvriers n’ayant pas été payés depuis des mois, voire des années, des enseignants jusqu’aux infirmières, participent aux manifestations, rassemblements ou sit-in quasi-quotidiens. Selon les estimations des économistes et analystes à l’intérieur du pays, plus de 50 millions d’Iraniens vivent dans la pauvreté relative ou en dessous du seuil de pauvreté. C’est cet élément décisif qui fera basculer l’équilibre très instable entre les États-Unis et la République islamique et que les dirigeants de la théocratie prennent soin de ne pas évoquer.

C’est justement pour tenter de contenir cette force d’une énorme potentielle insurrectionnelle que les autorités de Téhéran viennent de déployer des milliers de miliciens à travers l’Iran, sous le prétexte de « lutte contre les femmes mal-voilées » ou « non-respect du code vestimentaire » et ont procédé à la fermeture des centaines de commerces pour « non-respect des mœurs publiques », alors que leurs tentatives pour juguler les vagues de contestation ou endiguer la création des cellules de résistance au cours des deux dernières années ont totalement échoué.

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