Le temps s’est arrêté à Malte

20 mars 2016 08:52 Mis à jour: 23 mai 2016 01:06

D’ocre et de miel, la pierre chaude et sèche sculpte le paysage urbain avec pour seule verdure des balcons fermés peints en vert. Dans les ports, des barques de pêche bigarrées font chanter la mer plus bleue que partout ailleurs. La vie y est quiétude, rythmée par les fêtes religieuses qui jalonnent l’année entre la Semaine sainte et les festas des saints patrons. L’occasion de goûter la vie locale dans toute sa splendeur entre processions, fanfares et feux d’artifice.

Vue du ciel, Malte a tout l’air d’un vaisseau de pierre qui semble ancré en Méditerranée. D’un côté, son littoral rocheux s’estompe dans de larges baies découpées, de l’autre, il se hérisse dans une succession de falaises grises et blanches impressionnantes… Saturée d’une multitude de maisons basses en pierre ocre, elle surprend par la densité de son tissu urbain. C’est si vrai que l’on s’y perd rapidement, car encastrés les uns dans les autres, bourgs et faubourgs s’enchaînent, s’additionnent, se soudent jusqu’à ne plus former qu’une immense cité de pierre, hérissée de clochers et de dômes majestueux qui égaient la monotonie d’un habitat trop compact.

Un condensé d’histoire méditerranéenne

Avec trois sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO et plus de monuments au kilomètre carré que tout autre pays, l’archipel offre une concentration étonnante de trésors patrimoniaux qui enracinent définitivement le Maltais dans son histoire. Les temples mégalithiques de Ggantija, dont l’origine remonte bien avant les pyramides égyptiennes, fascinent encore par la prouesse que représente l’architecture du site : des blocs de pierre de plusieurs tonnes empilés les uns sur les autres en deux corolles se dressent vers le ciel au centre de Gozo, dominant la plaine cernée par la mer turquoise.

Verrou stratégique de la Méditerranée, l’archipel est tombé sous la férule successive des Phéniciens, des Grecs, des Carthaginois, des Romains, des Byzantins qui fructifièrent les îles jusqu’à ce que les Arabes, en pleine expansion, conquirent Malte, pillèrent les belles villas latines et imposèrent le Croissant en installant leur capitale sur un éperon rocheux à Mdina inspiré par le mot arabe qui désigne «la ville». Aujourd’hui, on l’appelle la ville du silence. C’est que ses demeures semblent barricadées derrières de hauts murs, et les doubles fenêtres protégées par des grilles ventrues aveuglées par de volets intérieurs renforcent le mystère. Comme le voulait le système défensif arabe, les étroites ruelles pavées sont coudées tous les deux ou trois mètres, histoire de ne pas en voir le bout. Sous une frondaison de feuilles d’acanthe dorées, les colonnes de la cathédrale Saint-Paul rendent un éternel hommage à une cohorte de pierres tombales en marbre polychrome frappées des armoiries des grandes familles de Malte qui semblent hanter les venelles de la petite cité endormie. Les terrasses aménagées à l’angle des anciennes tours déroulent un panorama inouï sur La Valette, la nouvelle capitale, et jusqu’à la mer qui paraît inaccessible depuis les remparts.

La vue sur l'imposante église St-Jean-Baptiste de Xewkija raconte assez ce que fut le rôle prépondérant de l'Ordre sur l'île de Malte. Aves ces 75 m de haut, ce dôme est le second d'Europe après Saint-Pierre-de-Rome. (Charles Mahaux)
La vue sur l’imposante église St-Jean-Baptiste de Xewkija raconte assez ce que fut le rôle prépondérant de l’Ordre sur l’île de Malte. Aves ces 75 m de haut, ce dôme est le second d’Europe après Saint-Pierre-de-Rome. (Charles Mahaux)

Les Normands établis en Sicile chassèrent les Arabes et rétablirent la Croix. C’est en 1530 que Charles Quint offrit l’archipel à l’ordre militant et hospitalier de Saint-Jean-de-Jérusalem chassé de Rhodes où il s’était replié après avoir fui la Terre sainte, contre le paiement annuel d’un faucon vivant, le fameux faucon maltais. Durant deux siècles, les chevaliers de l’Ordre de Malte vont imprimer leur empreinte sur l’île qui perdurera même lorsqu’elle passera sous domination britannique. On raconte volontiers qu’il y a autant d’églises sur l’archipel que de jours dans une année. C’est l’Ordre qui va assurer, par le biais de l’Église, la cohésion du pays à tel point que de nombreuses querelles vont éclater au siècle dernier entre le clergé et le pouvoir politique. Aujourd’hui, même si elle a perdu une partie de ses biens fonciers, l’Église conserve toute son influence auprès de la population.

Une île mystique

La cathédrale Saint-Jean raconte d’abord mieux que les autres monuments l’amour des arts qui habitaient les chevaliers de la vieille aristocratie, issus des huit entités territoriales importantes de l’Europe au XIIIe siècle : Allemagne, Aragon, Angleterre, Auvergne, Castille, France, Italie et Provence qui toutes rivalisaient de prestige au sein de l’ordre. Chacun voulait la plus belle auberge et, dans la cathédrale, la plus belle chapelle. Il en résulte une profusion de peintures, de tapisseries et de sculptures qui font de la cathédrale un joyau baroque, mais elle est surtout un lieu de rendez-vous des Maltais fidèles à leur foi chrétienne. Il suffit d’y pénétrer durant la Semaine sainte pour plonger dans une ambiance de quiétude presque monacale. Le pavement des pierres tombales sous lesquelles gisent les chevaliers mène à une immense chapelle tendue de drap de velours rouge symbolisant le sang versé par le Christ. Autour du tabernacle en or massif, de nombreux bouquets de fleurs blanches et rouges exhalent leur parfum entêtant. La foule s’incline dans une prière muette avant de rejoindre le parvis de l’église qui domine une petite place animée.

Le Jeudi saint est le jour des «sept» visites dans sept églises différentes au pied des autels de repos qui invitent à la prière. Les familles généralement vêtues de noir déambulent dans les rues d’un porche à l’autre sans oublier de visiter les singuliers chemins de croix miniatures que certains reconstituent dans le hall d’entrée de leur maison. Autant de figurines délicatement ciselées dans le bois, peintes de couleurs vives et bordées de bougies et de petits bouquets de fleurs. Plus tard dans la soirée, ils sont des centaines à s’ébranler sur la Via Sagra, un chemin de croix pour l’occasion illuminé de lanternes qui mène vers l’immense calvaire illuminé qui se dresse au sommet d’une colline. Une procession finalement très bon enfant qui réunit les familles et les amis autour d’une activité rituelle.

Vue panoramique unique sur La Valette et l'ensemble des Trois Cités depuis les jardins du Haut Barraca. (Charles Mahaux)
Vue panoramique unique sur La Valette et l’ensemble des Trois Cités depuis les jardins du Haut Barraca. (Charles Mahaux)

Le Vendredi saint est un jour de deuil consacré à la Passion. De nombreuses villes organisent des reconstitutions historiques qui retracent la passion du Christ, mais la plus importante qui rassemble près d’un millier de figurants et autant de spectateurs est celle de Zebbug où les tableaux vivants recréent d’abord les scènes de l’Ancien Testament en costumes d’époque. Une procession rythmée par les sabots des chevaux de légionnaires et les ensembles musicaux qui scandent avec gravité la longue marche qui se termine par un défilé de pénitents le visage caché par une cagoule. Ils portent des croix en bois et enfin les lourdes stations du calvaire.

Quel contraste avec l’ambiance du dimanche de Pâques qui réunit dès la matinée les familles endimanchées sur les places où des établis distribuent des boissons même alcoolisées ! Les enfants se voient offrir des ballons et jouent volontiers à cache-cache au milieu de cette foule compacte d’habitués, à croire que tout le village se donne rendez-vous sur la place proche de l’église. Ce sont des fêtes de réjouissances qui célèbrent la résurrection avec cet immense apéritif qui commence durant la messe pour ceux qui n’y assistent pas et se prolonge par un repas familial où on s’échange des cadeaux, entre autres, de délicieuses pâtisseries aux amandes décorées d’un glaçage de couleur.

Du bleu à perte de vue

À La Valette, quand vient l’heure de dîner, la vie semble se poser, se mettre en congé jusque plus tard dans l’après-midi. Les commerces ferment leurs portes, les étals de marchés se replient, les rues se vident. Une heure douce pour flâner au gré des venelles en pente qui plongent toutes vers la mer dont le bleu souligne si bien la teinte miel de la pierre. Il y fait si calme qu’on peut entendre le clapotis des vagues monter du port. Depuis les jardins d’Upper Baracca qui surplombent la ville, le regard embrasse les bastions de Cospicua, Vittoriosa et Senglea qui hérissent l’autre côté de la baie. La rade est animée des silhouettes de voiliers élégants, de yachts luxueux, de paquebots de croisière, mais aussi de chaloupes maltaises bigarrées.

À Malte, la mer n’est jamais loin. Pourtant, même si tous les chemins mènent à la grande bleue, celle-ci s’avère en fait d’un accès difficile, les hautes falaises crayeuses sont battues par les vagues et les petites criques semblent bien discrètes. Il faut aller vers le nord, à Marsaxlokk, un ravissant petit port niché au creux d’une baie, pour participer à la vie de pêcheurs qui ravaudent leurs filets sur les quais tout en bavardant dans une langue dont les sonorités évoquent l’arabe, mais avec un rythme chantant à l’italienne. Des centaines de chaloupes multicolores dansent sur la mer, les fameux luzzus, presque toujours décorés sur la coque d’un œil, l’œil phénicien d’Osiris qui protègerait les embarcations du mauvais sort. Les petits bars en terrasses s’étirent tout le long du port et servent tous le poisson frais du jour.

C’est à Gozo, la plus rurale des îles de l’archipel, que la mer se laisse approcher. Garrigue et champs en terrasses cernés de murets de pierre sèche dévalent vers le littoral bordé de falaises et de criques rocheuses. Selon la légende, c’est ici qu’Ulysse a été retenu pendant sept ans dans une grotte par la nymphe Calypso, juste au pied d’une longue plage de sable rose aux reflets dorés et scintillants. Un jour radieux à Gozo trouve son épilogue dans un coucher de soleil toujours féérique face à la Fenêtre d’Azur, cette arche béante sur la mer creusée par l’érosion. Quand le disque solaire vire à l’orange avant de basculer écarlate derrière l’horizon, tout le paysage minéral de la baie se pare de violet, puis d’un bleu profond qui se noie dans le miroir strié de la Méditerranée.

INFOS PRATIQUES

www.visitmalta.com

Quand partir : toute l’année mais préférez la Semaine sainte ou l’été dès la mi-juin quand commence le calendrier des festi en l’honneur du saint patron de chaque village.

Circuler : sans voiture, il vaut mieux se baser à La Valette d’où partent tous les bus qui desservent l’archipel, mais louer un véhicule est préférable pour visiter Gozo. Attention, on circule à gauche à Malte !

Se loger : le Corinthia Palace Hotel en face des jardins du palais présidentiel est une belle porte d’entrée sur le cœur historique de Malte www.corinthia.com

Gastronomie : le poisson est abondant et il faut découvrir la dorade en croûte mijotée avec des tomates et des olives. La viande la plus populaire est le lapin, un plat incontournable dans toutes les célébrations maltaises. Une boisson typiquement maltaise à base d’oranges amères et d’herbes aromatiques, la Kinnie.

Christiane Goor, journaliste. Charles Mahaux, photographe. Un couple, deux expressions complémentaires, ils fixent l’instant et le racontent. Leur passion, ils la mettent au service du voyage, de la rencontre avec l’autre.

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