« Ubercoke » et « Ubershit »: le commerce en ligne et la livraison de drogue à domicile en plein essor

Par Henri Mandel
28 mars 2024 06:00 Mis à jour: 28 mars 2024 06:25

Avec cinq millions de consommateurs de cannabis et 600 000 consommateurs réguliers de cocaïne la France est le premier pays européen en terme de consommation et représente un marché considérable pour les trafiquants qui profitent des failles des réseaux sociaux et de la cybersurveillance.

Cinq vendeurs et livreurs présumés de drogue, suspectés de mener un commerce illégal via une application de messagerie chiffrée, ont été mis en examen à Lyon, a indiqué dimanche le parquet à l’AFP. Arrêtés en début de semaine, les cinq hommes ont été mis en examen après l’ouverture d’une information judiciaire jeudi « des chefs de trafic de stupéfiants », de « blanchiment » et de « participation à une association de malfaiteurs », a expliqué le parquet de Lyon, confirmant et précisant des informations de deux sources proches de l’enquête. Quatre ont été placés en détention provisoire, le cinquième laissé libre sous contrôle judiciaire, a ajouté le parquet.

Ces hommes sont accusés d’avoir livré à domicile des stupéfiants, de la cocaïne et du cannabis, à des clients membres d’une boucle Telegram comptant près de 2500 abonnés, selon deux sources proches de l’enquête. Cette pratique croissante a été baptisée « Ubershit » ou « Ubercoke », selon la substance. Des voitures et des vêtements de luxe ainsi que des comptes bancaires ont été saisis a indiqué le parquet. Une des autres sources a souligné le faste du « train de vie » de hommes interpellés. Selon une autre source sécuritaire, près de 30 kilogrammes « de cocaïne et de shit » auraient été livrés via la boucle Telegram.

Cyberpatrouilles et enquêtes sur internet

Récemment, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a demandé aux préfets d’intensifier la lutte contre le trafic de drogue en ligne en renforçant notamment les cyberpatrouilles et les enquêtes sous pseudonyme sur internet. « On a eu ces dernières heures de très bons résultats », s’était-il félicité de passage a Lyon vendredi, en annonçant encore « des interpellations » à venir.

Marseille : « Depuis le confinement, je n’ai pas mis un pied dans les quartiers nord  »

« Il fallait un motif pour se déplacer. Les professionnels, sous couvert de livraison de repas, ont usurpé cette qualité, glacière au dos, pour revendre des stupéfiants », précise Philippe Brunoni, commissaire et chef de la Division Centre de Marseille.

Pour se procurer cannabis, cocaïne, MDMA et ecstasy, le consommateur n’a plus besoin « d’aller au four « , un confort non négligeable. « C’est un gain de temps, on ne se prend plus la tête. C’est comme se faire livrer une pizza. Les livreurs prennent le risque, pas moi. Depuis le confinement, je n’ai pas mis un pied dans les quartiers nord « , avoue un client.

« On se rend compte que les méthodes destinées à attirer les consommateurs sont de plus en plus agressives, visuelles, publicitaires. On voit des couleurs vives, des paquets qui font référence à des dessins animés », détaille Philippe Brunoni.

Deux plateformes pour « servir » 2500 « clients » en région parisienne

La PJ de Versailles, après une opération de cyber infiltration réussie, vient de démanteler « Rapidservice78 », spécialisé dans le cannabis, et « Pharmacien78 », pour les consommateurs de cocaïne et d’ecstasy. Âgés de 21 à 26 ans, cinq jeunes du quartier du Clos d’Arcy à Poissy doivent être jugés en comparution immédiate. Ces deux plateformes fournissaient quelques 2500 « clients ».

La Bretagne particulièrement touchée

« La livraison de drogue à domicile en Bretagne ne cesse de se développer », assure Anne-Cécile Doucet, substitut du procureur de la République de Rennes (Ille-et-Vilaine).« Un phénomène qui s’amplifie depuis la crise sanitaire de 2020 avec l’utilisation des réseaux sociaux et des messageries comme Telegram ou  Signal. » Les annonces de vente de kétamine, MDMA, herbe, résine, ecstasy et autres produits pullulent en effet sur les réseaux.

Des applications dédiées au commerce de la drogue

Le CNET , site Web d’information traitant de micro-informatique, d’Internet et de nouvelles technologies, a pu recueillir des témoignages experts :

« On observe le développement d’applis mobiles personnalisées pour des achats et des communications sécurisées, ainsi que pour l’envoi d’instruction aux livreurs. Les trafiquants de drogue sont propriétaires de leurs infrastructures de communication et peuvent facilement les détruire ou les effacer en cas de problème », note Resecurity dans son rapport. L’entreprise de cybersécurité a notamment identifié 7 « drug shops » passant ainsi par des APK d’applications Android « saisies par les forces de l’ordre » depuis, dont les noms sont rarement évocateurs : Yakudza, TomFord24, 24Deluxe, PNTS32, Flakka24,- 24Cana et MapSTGK. Ces 7 applis tournent sur le même moteur, connu sous le nom de « CMS M-Club » dans le dark web, « ce qui indique l’implication d’un seul et même développeur ».

« Ces applis permettent de transférer des informations sur les commandes de drogue, et aussi d’envoyer les coordonnées GPS du « colis » laissé par le livreur pour un ramassage ultérieur. Généralement, ces informations sont transmises sous la forme d’une image afin d’éviter une éventuelle indexation. Les informations supplémentaires envoyées peuvent contenir des détails sur la profondeur sous laquelle le « paquet » a été enterré sous terre, ou toute autre information permettant de le trouver (par exemple, la couleur de l’étiquette) », ajoutent les analystes en cybersécurité.

Confort et sécurité des consommateurs avec les réseaux sociaux

Selon l’OFDT (septembre 2020), ils sont « l’expression de l’adaptation de filières traditionnelles aux réalités de la demande dans les grandes métropoles et de la volonté de développer des pratiques moins visibles » que le fonctionnement des points de deal repérés en milieu urbain, dans ce que l’on nomme un peu vite « les quartiers ».

Faire évoluer la réglementation

Pour Philippe Brunoni, le plus gros obstacle dans son travail du quotidien émane de la loi Perben 2 qui est « obsolète » selon lui. « Ce que dit Gérald Darmanin est infaisable, nous travaillons à l’aveugle, s’il veut vraiment mettre les moyens, il doit faire changer la loi Perben 2, pour qu’on ait droit aux interceptions des messages pour comprendre le mode opératoire. »

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