Un procès contre un géant de la technologie met en lumière la complicité d’entreprises américaines dans les actes de torture en Chine

Par Susan Crabtree
18 août 2023 11:32 Mis à jour: 19 août 2023 17:07

Les rouages ​​de la justice tournent souvent lentement, mais lorsqu’il s’agit de la complicité des entreprises américaines dans la persécution religieuse en Chine, les militants des droits de l’homme affirment qu’elles s’accélèrent enfin et avancent dans la bonne direction.

Les principaux réformateurs de Washington annoncent un récent rebondissement dans une bataille juridique qui dure depuis 12 ans et qui pourrait avoir des implications considérables pour toutes les entreprises américaines qui ont vendu des technologies de surveillance ou de tracking à la Chine.

Le mois dernier, la cour d’appel du 9e circuit des États-Unis a statué qu’un procès accusant le géant de la technologie Cisco Systems Inc. et deux anciens cadres d’avoir aidé le gouvernement chinois à identifier et à cibler les pratiquants du Falun Gong pour les arrêter, les torturer et les exécuter pouvait donner lieu à un procès. La décision a largement annulé celle prise en 2014 par un tribunal de district inférieur de rejeter les plaintes contre Cisco et John Chambers, son ancien directeur général, et Fredy Cheung, l’ancien vice-président de ses opérations en Chine.

La décision rendue en juillet par du comité d’appel composée de trois juges n’a pas déterminé la validité des plaintes estimant que les Falun Gong avaient présenté suffisamment de preuves pour que leur affaire soit jugée en Californie, où elle avait été déposée.

Ce revirement juridique encourage les défenseurs des droits de l’homme qui ont passé des décennies à examiner de près l’implication des entreprises américaines dans la répression des dissidents et des minorités religieuses en Chine.

« Depuis bien trop longtemps, de nombreux dirigeants des entreprises américaines les plus rentables ont aidé et encouragé le Parti communiste chinois à commettre d’odieuses violations des droits de l’homme, y compris un génocide », a déclaré le député Chris Smith, républicain du New Jersey, à RealClearPolitics (RCP). M. Smith, qui préside la Commission exécutive du Congrès sur la Chine, a passé trois décennies à Washington à se battre pour les droits de l’homme.

« Ce procès, qui aurait dû être intenté depuis longtemps et qui a été retardé à tort, souligne la douleur et la souffrance atroces que des entreprises comme Cisco permettent en coopérant délibérément et en fermant les yeux sur le Parti communiste chinois (PCC) et ses violations flagrantes des droits de l’homme et sa répression afin de réaliser des profits », a ajouté M. Smith.

Cisco a nié tout acte répréhensible et a qualifié les allégations de l’action en justice comme étant sans fondement. Mais la juge Marsha Berzon, de la Cour d’appel des États-Unis, a déclaré que les plaignants avaient présenté suffisamment de preuves pour aller jusqu’au procès et que les actions de Cisco équivalaient à « aider et encourager » la répression du Falun Gong par le PCC et avaient eu « effet substantiel sur la perpétration de violations du droit international, y compris la torture ».

Le mois dernier, M. Smith a tenu une audience pour examiner la complicité des entreprises américaines actuelles avec le travail forcé en Chine et la persécution de nombreuses minorités religieuses et ethniques, ainsi que de dissidents. Les témoignages d’experts en droits de l’homme ont mis en lumière un cas très médiatisé de travail forcé utilisé pour fabriquer des produits Milwaukee Tool à la prison de Chishan en Chine. Face à la récente agression de la Chine contre Taïwan et à son renforcement militaire, d’autres témoins ont évoqué les ventes de géants américains de la défense, tels que Boeing et Raytheon, au gouvernement chinois.

Les liens entre la National Basketball Association, la Major League Baseball et la Chine ont également fait l’objet d’un examen minutieux avec le témoignage d’Enes Kanter Freedom, ancien joueur de la NBA pour les Boston Celtics et les New York Knicks. Kanter Freedom a été exclu de la NBA au début de l’année 2022 après avoir dénoncé les violations des droits de l’homme en Chine et pour avoir porté des chaussures portant les inscriptions « Free Tibet » (Libérez le Tibet) et « Free the Uyghurs » (Libérez les Ouïghours).

Tencent, une société technologique chinoise qui s’est associée à la NBA pour diffuser les matchs en direct, a brusquement retiré tous les matchs des Celtics de l’internet chinois après que Kanter Freedom, qui jouait pour l’équipe de Boston à l’époque, a qualifié le dirigeant chinois Xi Jinping de « dictateur brutal ». En 2017, Tencent et la MLB ont annoncé un partenariat de grande envergure qui comprend la diffusion en direct de 125 matchs, dont le All-Star Game et les World Series.

« Il est choquant que certaines entreprises américaines abandonnent l’éthique et adoptent les valeurs du PCC en Chine », a déclaré à RCP Nina Shea, directrice du Centre pour la liberté religieuse à l’Institut Hudson. « C’est ce que la Chine exige, et trop d’entreprises sont prêtes à s’y plier. »

En 2006, le député Chris Smith a commencé à enquêter sur les accusations portées par des pratiquants du Falun Gong selon lesquelles Cisco aurait contribué à l’élaboration, à l’exploitation et à l’entretien du « Bouclier d’or », mieux connu sous le nom de « Grande Muraille de feu », un système de surveillance de l’Internet mis en place par le ministère chinois de la Sécurité publique pour surveiller les dissidents, les défenseurs des droits de l’homme et les pratiquants de religions interdites, telles que le Falun Gong.

À la fin des années 1990, le gouvernement chinois a qualifié le Falun Gong de secte dangereuse qui menaçait le contrôle communiste du pays et l’a interdit, créant le bureau 610 conçu exclusivement pour persécuter et génocider les Falun Gong. La Chine a ensuite procédé à des détentions à grande échelle, des tortures, des conversions forcées et des exécutions de Falun Gong, qui ont été bien documentées par le département d’État américain, les Nations unies et de nombreuses autres organisations respectées dans le monde entier. En 2019, le China Tribunal, un tribunal international et indépendant basé à Londres, a affirmé, après plusieurs mois d’enquêtes, que le prélèvement forcé – et à vif – d’organes sur des prisonniers et, majoritairement, sur les victimes Falun Gong avait lieu à grande échelle dans toute la Chine depuis des années.

Dans l’affaire en cours, intentée au nom de plusieurs pratiquants du Falun Gong par la Human Rights Law Foundation, à Washington, les plaignants affirment que Cisco a délibérément adapté sa technologie de routeur pour permettre au gouvernement chinois d’identifier, de traquer et de détenir les membres du Falun Gong. La preuve que les cadres de Cisco ont spécifiquement aidé à concevoir la technologie pour cibler les Falun Gong comprend le matériel de marketing de Cisco vantant ses analyseurs d’images et de vidéos très avancés comme étant le « seul produit capable de reconnaître plus de 90 % des informations picturales du Falun Gong ».

La plainte accuse également Cisco de fournir au gouvernement chinois une base de données de modèles d’activité Internet du Falun Gong soigneusement analysés, ou « signatures », qui permettent au gouvernement chinois d’identifier les internautes du Falun Gong ; plusieurs systèmes d’enregistrement/d’alerte qui fournissent au gouvernement chinois une surveillance et une notification en temps réel basées sur les modèles de trafic Internet du Falun Gong ; des applications permettant de stocker des profils de données individualisés sur des pratiquants du Falun Gong en vue de leur utilisation lors d’interrogatoires et de « conversions forcées » incluant la torture ; et un système de surveillance vidéo à l’échelle nationale qui a permis au gouvernement chinois d’identifier et d’arrêter des Falun Gong.

Non seulement Cisco savait que ses personnalisations seraient utilisées pour réprimer le Falun Gong, mais elle a également orienté l’ensemble de son travail dans ce sens, affirment les plaignants. L’action en justice découle en partie d’un document interne de Cisco divulgué à des journalistes à la veille d’une audition sur les droits de l’homme organisée par le Sénat américain en 2008. Ce document de 90 pages, une présentation interne de Cisco, montrait que les ingénieurs de l’entreprise considéraient le vaste programme de censure de l’Internet du gouvernement chinois comme une occasion d’étendre leurs activités avec le PCC et qu’ils commercialisaient leurs routeurs en Chine, en le présentant plus spécifiquement comme un outil de répression.

L’audition du Sénat a également examiné le rôle d’autres entreprises américaines, dont Yahoo, Microsoft et Google, qui ont coopéré à des degrés divers avec les programmes de censure de la Chine et d’autres gouvernements étrangers.

La présentation de Cisco reconnaissait explicitement que l’un des objectifs déclarés de Golden Shield était de « combattre la religion maléfique ‘Falun Gong’ et d’autres ennemis ». Elle attribuait cette citation à Runsen Li, le responsable des technologies de l’information du gouvernement chinois chargé de développer le projet.

Mark Chandler, vice-président senior des services juridiques de Cisco, a déclaré au Sénat qu’il avait été « consterné » et « déçu » lorsqu’il avait vu cette citation dans la présentation.

« Il est très regrettable que l’un de nos ingénieurs ait cité directement M. Runsen Li, le responsable informatique du gouvernement chinois pour le projet Golden Shield », a déclaré Terry Alberstein, directeur principal de la communication d’entreprise chez Cisco, à Wired.com en 2008. « Ils ne représentent pas les opinions ou les principes de Cisco, ni sa stratégie ou son approche en matière de ventes et de marketing. Ils ont simplement été insérés dans cette présentation pour rendre compte des objectifs du gouvernement chinois dans ce projet spécifique, qui était l’un des nombreux projets abordés dans cette présentation de 2002. »

Selon M. Alberstein, Cisco a admis avoir vendu pour environ 100.000 dollars de routeurs et de commutateurs qui ont été intégrés au projet « Bouclier d’or ». Toutefois, il a nié que la société les ait adaptés aux objectifs de censure de la Chine.

Le sénateur Dick Durbin, un démocrate de l’Illinois, a présidé cette audience de 2008 et a fait valoir que les entreprises américaines avaient une « obligation morale » de protéger la liberté d’expression.

Terri Marsh, qui a intenté l’action en justice en sa qualité de directrice exécutive et d’associée principale de la Human Rights Law Foundation, a affirmé que des aspects uniques de l’affaire montraient que Cisco ne fournissait pas des produits « génériques » à un régime totalitaire. Au contraire, Cisco a créé des fonctionnalités « pour faciliter la torture et suivre la progression des efforts visant à convertir de force les pratiquants ».

« Il est important de noter que la plainte allègue que la Chine ne pouvait pas créer des outils similaires à l’époque, de sorte que le timing de cette assistance était significatif », a indiqué Mme Marsh dans un communiqué envoyé par mail à RCP. Elle a ajouté qu’il ne s’agissait pas d’un simple cas de mauvaise utilisation d’un outil.

« Les plaignants allèguent que les autorités chinoises ont clairement indiqué à Cisco qu’elle avait besoin de fonctionnalités pour renforcer la répression violente des croyants Falun Gong en Chine, et que Cisco a mis en place ces fonctionnalités pour s’implanter de manière lucrative sur le marché chinois. »

Mme Marsh a fait savoir que la décision dépendait des allégations spécifiques de comportement qui ont eu lieu aux États-Unis. « La plainte allègue que le cœur des revendications – la conception des outils, la fabrication des composants et la fourniture d’une assistance continue – a eu lieu en grande partie en Californie », a-t-elle expliqué.

L’équipe de communication de Cisco n’a pas répondu à la demande de RCP. Dans une déclaration faite le mois dernier au Los Angeles Times, un porte-parole de l’entreprise a nié que celle-ci ait adapté ses produits pour soutenir le génocide du Falun Gong en Chine.

« Nous construisons nos produits selon des normes mondiales qui favorisent la libre circulation de l’information, la protection de la vie privée et la liberté d’expression », a affirmé l’entreprise. « Cisco s’est engagée depuis longtemps à défendre et à respecter les droits de l’homme pour tous, et nous sommes fermement attachés à un Internet mondial ouvert. »

M. Smith et d’autres experts des droits de l’homme citent la présentation interne de 90 pages de Cisco et d’autres preuves pour réfuter la défense du géant de la technologie.

« Les entreprises doivent être démasquées et traduites en justice si elles ont du sang sur les mains en raison de partenariats avec des entreprises et des bureaux contrôlés par un parti au pouvoir impitoyable qui s’efforce d’écraser les croyants religieux, les minorités ethniques et les dissidents en Chine », a déclaré Nina Shea. « Cette affaire sera importante pour mettre en lumière ce problème et en dissuader d’autres. »

Source : RealClearWire

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.