ENTRETIEN – Vincent Tournier est maître de conférences de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble. Il a récemment écrit pour la Fondapol deux notes intitulées « Le mythe de la France raciste (1) et (2) ». Il répond aux questions d’Epoch Times sur le concept de racisme « systémique » qui laisse croire que la France serait un pays structurellement raciste.
Epoch Times : Qui sont les théoriciens du racisme structurel et comment ce concept est-il arrivé en France ?
Vincent Tournier : Les concepts de racisme structurel ou de racisme systémique se sont diffusés en Amérique du Nord dans les années 2010 en lien avec le mouvement Black Lives Matter, créé en 2013. Ils apparaissent en France à la même époque où ils vont essaimer dans la littérature universitaire et institutionnelle, par exemple dans les rapports du Défenseur des droits.
Le succès de ces concepts est d’autant plus étonnant qu’ils ne sont pas portés par de grands théoriciens, mais plutôt par des personnalités comme Rokhaya Diallo ou Lilian Thuram. Ces concepts se situent dans le registre de l’accusation : ils visent à dénoncer l’omniprésence du racisme dans les démocraties occidentales, ce qui constitue un tour de force car ni les lois, ni la population de ces pays ne sont racistes.
Le but est pourtant d’affirmer que le racisme imprègne complètement les mentalités et les institutions, même si on ne le voit pas. Il y a donc un contraste majeur entre une accusation qui est radicale et une démonstration qui ne suit pas. De plus, en imposant une grille de lecture morale, la critique se voit délégitimée car personne ne veut prendre le risque de passer pour raciste.
Vous battez en brèche la théorie selon laquelle la France serait structurellement raciste en vous appuyant sur « une histoire nationale profondément réfractaire aux théories de la race ». Quels principaux événements historiques montreraient qu’il n’y a pas de racisme systémique en France ?
Les partisans du racisme systémique ont inversé la charge de la preuve : en se présentant comme les défenseurs d’une noble cause, ils se dispensent de prouver que le racisme systémique existe mais contraignent leurs opposants à démontrer que celui-ci n’existe pas.
Pourtant, rien ne vient étayer leur thèse. En France, aucune loi n’a jamais utilisé de catégories raciales. Les recensements n’en ont jamais fait mention et aucune politique publique n’a pris la race pour support. Même les politiques qui ont eu pour objectif d’aider les minorités ethniques ont su éviter de tomber dans le registre racial : c’est le cas de la politique d’éducation prioritaire (les ZEP) ou de la politique de la ville, deux politiques qui se sont contentées d’utiliser des critères comme le territoire ou la nationalité.
De son côté, le droit de la nationalité est resté profondément réfractaire à la race puisque la France fait partie des rares pays européens qui ont complété le droit du sang par le droit du sol, tout en adoptant une politique très ouverte en matière de naturalisation.
Bref, on voit mal comment un pays, qui est dépourvu de toute législation raciale, pourrait être structurellement raciste. Mais cette contradiction ne suffit pas à ébranler les partisans du racisme structurel. En fait, ceux-ci agissent comme les marxistes autrefois à propos de l’exploitation capitaliste : si le racisme ne se voit pas, c’est qu’il est bien caché. C’est aussi ce que dit Robin DiAngelo, le fameux inventeur du concept de « fragilité blanche » : si vous vous énervez quand on vous accuse de racisme, c’est bien la preuve que vous êtes raciste.
Dans le deuxième volet de votre note, vous parlez de l’ouverture historique de la population française aux étrangers comme facteur expliquant l’incohérence des accusations de racisme dont la France fait l’objet. « Contrairement à une idée toute faite, la population française n’a pas témoigné d’attitudes massives de racisme ou de rejet », écrivez-vous. En même temps, certains pourraient vous répondre qu’il existe encore aujourd’hui des discriminations à l’embauche liées à l’origine ethnique ? Qu’en pensez-vous ?
Tout d’abord, les discriminations sont mal évaluées. Elles sont généralement mesurées soit par des enquêtes déclaratives, ce qui n’est pas très probant, soit par le constat selon lequel il y a des différences entre les groupes (par exemple dans le taux d’emploi), ce qui n’a guère de sens car tous les groupes n’ont pas les mêmes caractéristiques. Une étude récente de l’INSEE montre par exemple que, si on contrôle avec le niveau d’études, il n’y a quasiment pas de différences salariales entre les immigrés et le reste de la population.
Par ailleurs, les discriminations ne relèvent pas forcément du racisme. Il existe des discriminations selon le sexe, l’âge, les caractères physiques ou esthétiques, les goûts culturels, les origines géographiques ou sociales, etc. En fait, les discriminations sont inéluctables : elles se produisent lorsque les individus doivent faire des choix. Chacun est alors amené à privilégier les individus qui leur ressemblent sans qu’il y ait nécessairement une intention malveillante.
Cette sélection affinitaire devient encore plus stricte lorsque les gens ont peur. Or, l’image des immigrés est mauvaise. De surcroît, la France a instauré des règles très protectrices pour les salariés, comme d’ailleurs pour les locataires, ce qui incite les employeurs comme les propriétaires à minimiser les risques, donc à sélectionner encore plus drastiquement lorsqu’il s’agit de recruter ou de louer.
Les partisans du racisme structurel ignorent cet aspect du problème : ils préfèrent accuser les Français de racisme plutôt que d’étudier les mécanismes concrets qui sont susceptibles d’accentuer les difficultés.
Le succès, notamment auprès des jeunes des concepts de « racisme structurel » ou « racisme systémique » résulte-t-il d’une forme d’américanisation de la société française ou du débat politique comme cela est parfois affirmé ? Y a-t-il d’autres raisons ?
La société française baigne effectivement dans des références nord-américaines, ce qui encourage à croire que les problèmes se présentent de la même façon en France et aux États-Unis. Pourtant, les situations sont très différentes, notamment sur la question de la race et du racisme. Aux États-Unis, les débats sont très liés à l’histoire de l’esclavage et de la ségrégation raciale.
En France, c’est surtout la question coloniale qui s’est imposée depuis une vingtaine d’années. Une accusation s’est ainsi diffusée depuis le milieu des années 2000 : la République serait intrinsèquement coloniale, de sorte que les immigrés subiraient aujourd’hui la même oppression que les peuples colonisés de jadis. Si une telle thèse n’a guère de fondement, elle n’en fournit pas moins une explication bien commode aux difficultés que rencontrent les immigrés et leurs descendants, tout en permettant à des activistes de faire avancer leur agenda communautaire.
Ces concepts ont été récupérés par un certain nombre de partis politiques de gauche. Comment l’expliquez-vous ?
L’une des grandes caractéristiques de la gauche est d’être foncièrement insatisfaite à l’égard de l’état de la société ; elle entend donc changer l’ordre des choses en promettant d’instaurer un paradis terrestre. Ce projet suppose d’identifier les causes du mal.
Or, avec la fin de la Guerre froide, la phraséologie marxisante de la lutte des classes et de la rupture avec le capitalisme est devenue obsolète. Il a donc fallu opérer une profonde mutation doctrinale, ce qui a nécessité de modifier la nature de l’ennemi : le bourgeois est alors remplacé par l’homme blanc, et le système capitaliste par le colonialisme et le patriarcat. Le mythe du racisme structurel devient ainsi une ressource précieuse.
Cette mutation doctrinale génère cependant deux difficultés. La première est que, en portant un regard très critique sur l’histoire et la culture de la société française, la gauche se détourne d’une grande partie de la population française traditionnelle, délaissant notamment les catégories populaires. La seconde est qu’elle est amenée à abandonner ses combats d’antan contre la religion et l’antisémitisme, ce qui crée de nouvelles tensions au sein de la gauche et rend compliquée la création de coalitions gouvernementales. En reprenant le mythe du racisme systémique, la gauche ne peut que s’engager dans une logique révolutionnaire qui la pousse à se radicaliser toujours un peu plus.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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