ENTRETIEN – L’hyperviolence des jeunes n’épargne plus aucun pan de la société. Mais les établissements scolaires et l’Éducation nationale de manière générale sont en première ligne face à ce fléau. Le meurtre de la surveillante Mélanie le 10 juin à Nogent nous le rappelle cruellement.
Valérie Rialland est conseillère départementale LR du Var et enseignante en lycée depuis 25 ans. L’incapacité des jeunes à s’exprimer et à mettre des mots sur des émotions ou des sentiments explique le basculement de certains d’entre eux dans la violence, analyse-t-elle.
Epoch Times : Valérie Rialland, Le 10 juin, Mélanie, surveillante dans un collège à Nogent en Haute-Marne était poignardée à mort par un adolescent de 14 ans. Vous êtes professeure depuis 25 ans. Comment avez-vous vu évoluer la violence des jeunes depuis le début de votre carrière ?
Valérie Rialland : Il y a une quinzaine d’années, je n’avais pas besoin de faire de la discipline dans ma classe. Je faisais simplement mon travail d’enseignement, de transmission des savoirs et d’interaction avec les élèves.
Depuis, les choses se sont tristement dégradées. Aujourd’hui, à chaque rentrée scolaire, je dois très rapidement mettre les choses au clair, poser des limites pour ne pas que la situation dégénère.
Mais il arrive hélas que la situation dégénère. Des jeunes s’amusent à défier mon autorité. Ils ne me menacent pas physiquement, mais peuvent aller très loin en termes d’insultes.
Ils cherchent littéralement à se « faire du prof ».
J’analyse ces comportements comme une perte de la capacité à s’exprimer, à mettre des mots sur des émotions. À la fin, les agressions ou les pulsions remplacent l’expression claire d’une ou plusieurs pensées.
Assistons-nous à une forme de déclin cognitif chez certains élèves ?
Je parlerais plutôt de déficit en matière d’éducation, de culture et d’identité. Les jeunes ne sont plus transcendés par l’idée de nation et ne s’intéressent plus à leurs origines.
Par conséquent, ils vivent seulement dans le présent et dans l’instantanéité des réseaux sociaux. La curiosité qui caractérisait les élèves d’autrefois n’est plus de mise aujourd’hui.
Un jour, un jeune a été incapable de me dire comment un réfrigérateur fonctionne…
Maintenant, nous avons affaire à des individus qui ne traitent plus les informations qu’ils reçoivent et qui n’analysent plus l’environnement qui les entoure.
La clé de l’amélioration de la situation réside dans l’éducation, c’est-à-dire à la fois une réorganisation de l’enseignement, puis une responsabilisation des parents. J’insiste là-dessus.
Quand le gouvernement a annoncé, après le drame de Nogent, le déploiement de portiques de sécurité à l’entrée des établissements, je crois qu’il est passé à côté du sujet.
Vous avez parlé de « responsabilisation des parents ». Aujourd’hui, vous avez le sentiment qu’ils ne soutiennent plus du tout les enseignants ?
Oui exactement. Il y a aujourd’hui, un « prof bashing » ambiant. J’ai eu par exemple une fois un échange houleux avec une mère de famille qui n’avait pas supporté que je sanctionne sa fille, alors que cette dernière n’avait, d’une part, pas réalisé l’entièreté du travail demandé, puis avait quitté le cours sans mon autorisation.
La mère m’a notamment accusée de malveillance et a considéré que je prenais sa fille pour cible, alors que je voulais simplement m’assurer que son travail avait été correctement effectué en vue de l’examen du baccalauréat.
Maintenant, quand les parents ne comprennent pas cela, j’estime que je n’ai pas à aller plus loin et je laisse l’élève récalcitrant dans son coin. Je fais tout mon possible pour que ma classe réussisse, mais sans le soutien des parents, cela me semble difficile.
Quand des incidents avec des parents se produisent, êtes-vous soutenue par votre hiérarchie ? L’expression « pas de vagues » revient régulièrement dans le débat public.
Au-delà du « pas de vagues » la complexité des procédures juridiques à appliquer lorsqu’un incident de ce type se produit rebute les enseignants et le personnel administratif.
S’ajoute à cela un problème de logiciel. L’Éducation nationale est depuis longtemps en proie à la philosophie « bourdieusienne ». C’est-à-dire que l’on va toujours chercher des excuses aux fauteurs de troubles et tenter de les réinsérer. Ces élèves vont souvent d’établissement en établissement sans qu’aucune décision forte ne soit prise.
Cet état d’esprit nous a conduit à la situation que nous connaissons actuellement. Certains élèves ne sont plus seulement des perturbateurs, mais de jeunes individus ultraviolents capables de tuer une personne de sang-froid comme nous l’avons vu à Nogent.
Nous devons impérativement changer de paradigme – que ce soit au sein de l’Éducation nationale ou la Justice, on ne peut plus banaliser ce qui se passe depuis des années. Les meurtres de Samuel Paty, de Dominique Bernard et de Mélanie doivent nous faire réagir collectivement.
Que vous disent vos collègues à propos de cette ultraviolence ? Ont-ils peur pour leur sécurité voire leur vie ?
Les réactions sont variables. Certains décident de ne plus emmener leurs élèves en sortie scolaire ou en viennent même à quitter la profession. D’autres sont fatalistes et se contentent de dire que ce sont des choses qui peuvent arriver.
In fine, je ne dirais pas que nous allons tous les matins à l’école avec l’estomac noué, mais il est certain que cette situation existe et que l’école n’est plus un sanctuaire épargné par la violence omniprésente dans la société.
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