Visite du pape à Marseille : « Si le christianisme veut avoir un avenir, il doit se présenter tel qu’il est », selon Bernard Bourdin

Par Julian Herrero
29 septembre 2023 16:31 Mis à jour: 4 octobre 2023 13:36

Bernard Bourdin est frère dominicain, philosophe et enseignant à l’Institut Catholique de Paris. Il revient pour Epoch Times sur l’état du christianisme et plus précisément du catholicisme en France, la récente visite du pape François à Marseille et le projet de loi sur la fin de vie qui devrait être débattu au Parlement l’année prochaine.

Epoch Times : Selon une enquête réalisée par le groupe Arval en 2018, 32 % des personnes interrogées en France se déclaraient catholiques, contre 70 % en 1981. Comment expliquez-vous cette forte diminution des personnes se déclarant catholiques en France ?

(photo Bernard Bourdin)

Bernard Bourdin : Je dirais que le phénomène concerne toutes les religions. On peut néanmoins dire une chose par rapport au catholicisme. Le catholicisme, à l’inverse des autres religions, est la seule religion à avoir une très grande difficulté à se transmettre aux générations futures.

Je crois que cela s’explique par le fait que le catholicisme se voit encore comme la religion majoritaire. Et il a, en conséquence, perdu une conscience beaucoup plus exigeante de lui-même.

Les minorités sont souvent beaucoup plus conscientes d’elles-mêmes que les majorités. Deuxièmement, le catholicisme a cette difficulté à rendre compte de lui-même comme foi tout simplement, c’est-à-dire de transmettre ses contenus qui ne se réduisent pas à une morale sociale. C’est une question que j’évoque dans mon dernier livre Le chrétien peut-il être citoyen ? publié cette année. Le christianisme est un messianisme, une religion de salut. Mais aujourd’hui, le catholicisme ne se présente plus sous cette forme. Et c’est bien regrettable puisque je constate dans le cadre de mes cours de christianisme moderne que j’enseigne à l’Institut catholique, qu’il y a une très grande écoute et curiosité de la part des jeunes. En même temps, je remarque qu’ils sont en quête de repères, de spiritualité, de contenu et donc de compréhension de ce qu’est la religion par le savoir.

Au-delà de la foi qui est un don de l’Esprit, nous, les intermédiaires humains, nous sommes des transmetteurs et si nous ne faisons pas ce travail-là, si nous présentons le christianisme comme la variable d’ajustement d’un humanisme très horizontal : « aimez-vous les uns les autres (Comme Dieu vous a aimez) », il devient insignifiant, une « croyance molle ».

Je pense qu’il y a une vraie crise de la transmission du projet du Christ. Il y a une grande incapacité des responsables chrétiens à répondre à des attentes spirituelles et à soulager le christianisme de références humanistes ou humanitaires qui ne touchent pas au contenu, au fond même du christianisme. Si le christianisme veut avoir un avenir, il doit se présenter tel qu’il est. Je crois que c’est le grand défi actuel.

Les 22 et 23 septembre, le pape François était en visite à Marseille. Une visite marquée par des discours et des cérémonies en faveur de l’accueil des migrants. Certains ont critiqué un pape déconnecté de la réalité migratoire et qui n’est pas dans son rôle. Comment voyez-vous la situation ?

On voit bien que le pape a un effet magique. Il faut le reconnaître. Je dirais également que la ville de Marseille et son maire doivent être très contents en ce moment parce que les catholiques lui ont rendu un très grand service par l’intermédiaire du pape. François a redonné de l’énergie à une ville en proie à de nombreux problèmes. Mais ce type de manifestation ne doit pas conduire à réduire le christianisme à un universel direct, source de plusieurs malentendus. D’abord par rapport à ce qu’on appelle la fraternité et le rapport entre le christianisme et le besoin d’incarnation dans des sociétés qui ont leur histoire, leur culture. Le problème du christianisme actuel est qu’à vouloir être trop immédiatement universel, il apparaît séduisant par son sens de la fraternité dont on a besoin dans un monde de violences, de guerres, de conflits, de déchirures. Mais en même temps, n’oublions que les peuples sont aussi attachés à la particularité de leur nation, à leur culture.  Ils ne veulent pas être déracinés.

On voit bien qu’il y a des attentes éminemment contradictoires dans notre société, en France et dans les autres démocraties libérales, il y a une tension permanente entre le particulier (qui sommes-nous) et l’universel (la fraternité) qui ne parvient pas à être résolu.

La visite du pape à Marseille illustre cette tension. Et elle illustre aussi un christianisme, en l’occurrence un catholicisme qui ne sait absolument pas joindre ces deux attentes.

Le pape François est à l’aise avec l’universel, d’où la pente naturellement humanitaire. D’où l’hostilité à toute forme de nationalisme, du moins en Europe. N’oublions pas ce recueil d’homélies du cardinal Bergoglio (paru en France) lorsqu’il était archevêque de Buenos Aires : « La patrie est un don, la nation un devoir ». On peut se demander que diraient les catholiques européens lorsqu’il s’exclame : « Argentine, réveille-toi ! » ou bien encore « Lève-toi, Argentine ! ».

Le discours sur le phénomène migratoire révèle notre impuissance à savoir traiter la question d’une manière équilibrée, c’est-à-dire ni sans attitudes xénophobes, racistes, etc, ni non plus avec une générosité béate qui ne mène nulle part. Je crois que l’une des tâches du citoyen chrétien, est de remettre sur les rails cette articulation entre l’universel et le particulier.  L’autre malentendu est lié à la personne du pape lui-même. Il est argentin. Ce n’est évidemment pas un défaut d’être argentin, mais son regard sur l’Europe est trop extérieur. Il a conscience, avec raison, que l’Europe est une civilisation actuellement malade. Mais il pense qu’il va la guérir en incitant à toujours plus de générosité universelle. Certes, le christianisme est une religion de l’amour, mais l’amour n’est jamais désincarné, il passe toujours par la prise en compte de contextes. Et on ne peut pas dire aux peuples européens d’accueillir toujours plus de migrants sans plus de discernement. La solidarité est autant une conviction qu’une éthique de responsabilité à mettre en œuvre sans laquelle des peurs et des malaises surgissent.

Le pape François est-il un pape de gauche ou tout simplement fidèle à la doctrine de l’Église ?

La doctrine de l’Église n’est pas une doctrine intangible et non évolutive. Elle a beaucoup évolué depuis la première encyclique du pape Léon XIII. Il y a toujours un risque de parler de la doctrine de l’Église comme quelque chose de monolithique. Il faut ensuite tenir compte des personnalités des papes, des encycliques qu’ils écrivent. Sur le sujet des migrations, il y a une constance. Il faut probablement remonter à Pie XII sur le sujet des migrations Mais François n’en parle pas de la même manière que ses prédécesseurs, la question étant devenue de plus en plus massive. Elle ne se pose pas dans les mêmes termes depuis 2015 par rapport aux années 1950, 1960 et 1970.  Ensuite, je dirais qu’il est difficile de qualifier le pape de gauche puisque la papauté ne peut pas prendre position idéologiquement. A lire ses homélies, on peut se demander si en Argentine le cardinal Bergoglio était considéré comme « de gauche ».

Le ministre des Relations avec le Parlement, Franck Riester, a récemment indiqué que le projet de loi sur la fin de vie devrait être débattu l’année prochaine au Parlement. Alors, le pape, lors de sa visite à Marseille, a mis en garde Emmanuel Macron contre la perspective faussement digne d’une mort douce. Comment voyez-vous cette problématique ?

Le vrai problème de nos sociétés européennes actuelles est d’être dominé par une capacité technique considérable, la médecine en faisant partie. Effectivement, on peut apaiser la souffrance jusqu’à aider à mourir tranquillement. La technique résout tout.

Mais en même temps cela pose un vrai problème philosophique et spirituel. Si on résout tout par la technique, on ne permet pas aux hommes et aux femmes modernes de se poser la question du sens de la vie. Il est évident que quelqu’un qui souffre sur un lit va trouver ce discours un peu égoïste. Et il faut apaiser la souffrance. Je crois que les soins palliatifs sont encore la meilleure option. Je ne vois pas autre chose. Mais considérer que l’euthanasie serait la solution me paraît être hautement risqué. Elle contribue au fond à fragiliser et encourager les personnes humaines qui sont dans cette situation-là. Et donc il n’y a pas d’espérance et de solidarité dans un tel discours. L’euthanasie peut également transformer des personnes en individus uniquement référées à leur souffrance et qui oublient leur entourage qui les aime. C’est une conception de la vie en société qui devient purement individualiste et où le rapport à la vie et à la mort n’est référé qu’à soi-même, sans se poser la question de savoir si nous ne sommes pas en train d’apporter un contre témoignage d’une vie qui n’est pas dissociable de la collectivité à laquelle on appartient et des générations qui viennent après. Il y a un véritable enjeu philosophique, mais pas qu’au sens cérébral, intellectuel du terme, également au sens spirituel.

Et là, encore une fois, le christianisme a son originalité propre : La vie n’est pas seulement biologique, elle a une dimension existentielle ou spirituelle : Qu’est-ce que croire en l’Évangile, si ce n’est de penser que la vie est plus forte que la mort ?

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.