Voyager dans le temps en levant les yeux au ciel

Par Yaël Nazé, Astronome FNRS, Université de Liège
29 octobre 2022 16:44 Mis à jour: 29 octobre 2022 16:44

L’astronomie a toujours été un domaine un peu particulier. On y brasse des nombres… astronomiques : distances, températures, luminosités, tailles – tout est bien éloigné de notre quotidien. En plus, on y croise des objets plutôt étranges, comme des pulsars ou des trous noirs, tous très peu terrestres. Mais le plus bizarre de tout est probablement ceci : voir loin, c’est voir vieux.

Regardez votre voisin. Vous le voyez tel qu’il est, là maintenant – c’est évident. Quel monde étrange ce serait s’il y avait un délai : vous racontez une blague puis vous le voyez rire huit minutes après… Idem pour la montagne ou la mer vue par votre fenêtre. Vous la voyez bien telle qu’elle est maintenant. Dans notre monde connecté, on a aussi pris l’habitude de l’immédiateté. On assiste aux matchs sportifs en direct, même s’ils ont lieu à l’autre bout du monde, et les médias vous informent immédiatement si Trump ou Poutine lève le petit doigt.

En astronomie, cette évidence n’existe pas. La responsable ? C’est la lumière… Elle voyage très vite, 300 000 km chaque seconde, mais pas infiniment vite. Vu les grandes distances dans le cosmos, le délai devient vite énorme.

Ainsi, vous n’avez jamais vu le Soleil tel qu’il est, là maintenant. Il n’en a pas l’air, comme ça, mais celui qui vous éclaire est un fantôme du passé. En effet, une fois la lumière émise de la surface solaire, il lui faut parcourir pas moins de 150 millions de kilomètres pour parvenir jusqu’à nous : avec sa formidable vitesse, la lumière mettra quand même huit minutes pour ce faire. Donc si jamais le Soleil s’éteignait, là, tout de suite (précisons pour les craintifs que c’est impossible), vous continueriez à bronzer pendant huit minutes… Huit minutes d’insouciance, alors que le drame s’est déjà noué !

Impossible de voir le présent

Huit minutes, c’est beaucoup et peu à la fois. D’accord, on ne voit pas le Soleil actuel, mais on ne se trompe pas de beaucoup : huit minutes, c’est un éclair dans la vie du Soleil (longue de dix milliards d’années). Mais cela se corse si l’on sort du cocon douillet de notre système solaire. L’étoile la plus proche, Proxima, se trouve à quarante mille milliards de kilomètres et on la voit donc comme elle était il y a 4 ans. La lumière des autres étoiles de notre Galaxie, la Voie lactée, met souvent des milliers d’années à nous parvenir : les nouvelles que leur lumière apporte sont donc plutôt défraîchies. Parfois, l’astre en question n’existe même plus quand on commence à l’étudier sur Terre !

C’est un peu comme recevoir par la poste un « journal du jour » venu d’un continent lointain : on a du retard dans les informations.

Il y a pire. La lumière de la galaxie d’Andromède, elle, est vieille de plus de 2 millions d’années et ce n’est qu’une voisine. Les records, ce sont des galaxies nées peu après le Big Bang : leur lumière a voyagé pendant plus de 13 milliards d’années.

JWSTAAA. NASA, ESA, CSA, STScI, CC BY

Précisons que le phénomène est réciproque : si un astronome de la Galaxie d’Andromède nous regarde en ce moment, il voit la Terre au moment de l’entrée en scène des Homo Erectus… et les observateurs situés dans l’Amas du Fourneau, eux, assistent en ce moment à la fin des dinosaures !

Levez les yeux dans la nuit, et vous n’aurez qu’une vision du passé. L’univers que nous observons, mesurons, et enregistrons n’est pas le cosmos actuel. Jamais nous ne pourrons voir l’univers tel qu’il est, là, maintenant. Mais ne soyez pas déçus ! Ce délai représente en fait une chance absolument inouïe. En effet, il suffit de regarder le ciel, de le sonder en profondeur pour voir « en direct » toute l’évolution du cosmos se dérouler sous nos yeux.

Il existe évidemment une limite, celle du temps lui-même. La lumière la plus vieille a voyagé depuis la naissance de notre Univers (le Big Bang)… ou presque. En fait, l’Univers était au début complètement opaque : on ne peut voir cette lumière-là, mais 380 000 ans après le Big Bang, l’Univers est devenu transparent et une première lumière, appelée « rayonnement de fond cosmologique » a commencé à voyager. Ont suivi les lumières des premières étoiles et galaxies que le JWST devrait vite dénicher.

Si l’on regarde des objets proches, on voit les dernières péripéties ; si l’on regarde loin, on voit les premiers balbutiements de l’univers. Cela ne vous paraît pas si intéressant ? Demandez un peu aux paléontologues : eux seraient si contents d’avoir une machine à remonter le temps, gratuite qui plus est, pour voir par exemple tout ce qui s’est passé entre Lucy et nous !

Demandez aux historiens, qui aimeraient beaucoup observer les détails de la guerre des Gaules ou de celle de cent ans… Ici, sur Terre, l’histoire est passée, définitivement et irrémédiablement, alors que dans le ciel, cette histoire passée constitue une recherche d’avenir !


Pour en apprendre plus sur le Big Bang, rendez-vous au festival Pariscience, pour découvrir le film « Big Bang, l’appel des origines » ce vendredi 28 octobre. La projection sera suivie d’un débat en présence du réalisateur.The Conversation

Yaël Nazé, Astronome FNRS à l’Institut d’astrophysique et de géophysique, Université de Liège

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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