Le roman « 1984 » est désormais un manuel d’instructions

Par Roger Kimball
28 octobre 2021 16:44 Mis à jour: 10 novembre 2021 06:32

Dans « Les principes de la novlangue », l’annexe de 1984, George Orwell explique que la novlangue « remplacera l’ancienne langue (ou l’anglais standard, comme nous devrions l’appeler) vers 2050 ».

Nous sommes en 2021. Où en sommes-nous ?

Rappelons que l’objectif de la novlangue est de modifier la réalité pour la rendre conforme à une idéologie politique particulière. La novlangue rend également « tout autre mode de pensée impossible », selon Orwell.

Comment y parvient-elle ? En partie en inventant de nouveaux termes, mais « surtout en éliminant les mots indésirables, en dépouillant de leurs significations non orthodoxes ceux qui subsistaient, et dans la mesure du possible, en supprimant les mots qui avaient une signification auxiliaire ».

Considérons le mot « libre ».

Le mot est encore présent dans le vocabulaire de la novlangue, mais uniquement dans son sens privatif, comme « ce chien est libre de poux » ou « ce champ est libre de mauvaises herbes ».

Les termes « libre » ou « liberté » dans un sens positif ont été supprimés.

« Le mot ne peut pas être utilisé dans son ancien sens comme ‘politiquement libre’ ou ‘intellectuellement libre’, car la liberté politique et la liberté intellectuelle n’existent plus, même en tant que concepts, et sont donc forcément dépourvues de sens », écrit Orwell.

Dans le métabolisme politique du monde orwellien, la diffusion de la novlangue constitue un enjeu majeur, car la supervision du lexique est indispensable pour contrôler le cours de l’histoire.

L’idée est que celui qui contrôle le passé contrôle l’avenir. Et qu’est-ce que le passé, si ce n’est la structuration d’événements modifiables que nous qualifions de faits ?

Face à l’évolution actuelle de mots tels que « homme » et « femme », sans parler de mots tels que « libéral », « fasciste », « justice » ou « démocratie », les gardiens de la novlangue approuvent sans aucun doute les progrès opérés.

De fait, il reste encore une trentaine d’années avant d’être en 2050, et la moitié de leurs objectifs ont déjà été réalisés.

La mise en place d’une novlangue constitue une arme puissante pour imposer un modèle de conformité politique, mais cela prend du temps.

Il y a quelques décennies, Orwell a décrit l’essentiel, et la novlangue n’a pas encore atteint sa pleine floraison, mais les progrès sont notables, notamment dans les universités, désormais chargées de dispenser un endoctrinement académique.

Nous pouvons applaudir les progrès réalisés dans divers pays. Par exemple, l’évolution d’une terminologie de condamnation de l’identité culturelle toujours plus technique, toujours plus précise. En France, à partir des années 1990, l’adoption du concept de « roman national » visant à dénoncer le caractère idéalisé et subjectif du récit national d’un pays. Aux États-Unis, la formulation du projet 1619 par le New York Times invitant à souligner le caractère raciste de l’histoire des États-Unis dans son enseignement scolaire.

En ce qui concerne plus globalement le modèle orwellien, les Chinois, au niveau linguistique ainsi que dans bien d’autres domaines de la vie moderne, sont de véritables pionniers.

Alors que les pays occidentaux se débattent avec la censure intermittente de Facebook, Twitter, Amazon et Google, les Chinois ont institué le système dit de « crédit social » qui réduit explicitement les droits politiques et sociaux de la population à des privilèges contrôlés par l’État.

Aucune demi-mesure en Chine. Ainsi, selon la devise du comte de Stafford, les Chinois sont « minutieux ».

Désormais, tout dépend du crédit social, prendre le bus, monter en avion, occuper un emploi, utiliser Internet, ouvrir un compte bancaire, etc.

Actuellement, les Chinois s’efforcent d’harmoniser leur passé historique à l’avenir qu’ils préparent pour eux-mêmes et pour l’ensemble du monde.

« Les hauts responsables du Parti communiste chinois sont prêts à examiner une résolution clé qui marquera l’empreinte du président Xi Jinping sur les 100 ans d’histoire du Parti », selon Nikkei Asia.

La « résolution » de Xi Jinping sera la troisième de ce type depuis que la Chine est communiste, après les directives analogues établies par Mao Zedong et Deng Xiaoping.

En termes plus abstraits, l’objectif de la résolution est de rédiger « un récit historique officiel et de définir une orientation pour la politique future ». En termes intelligibles, il s’agit d’encenser la prise de pouvoir du Parti communiste chinois (PCC) et d’éliminer les récits et les personnalités qui contesteront cette version.

La nouvelle résolution établira « l’autorité et la position clé de Xi Jinping », le plaçant aux côtés de Mao comme grand leader révolutionnaire charismatique.

Qu’en est-il des millions de personnes assassinées par Mao ? Question idiote. Ils ne font pas partie du récit, donc ils n’existent pas.

À travers les médias, les articles en Chine chargés de présenter cette nouvelle « résolution sur l’histoire » soulignent que « les résolutions antérieures sur l’histoire n’ont pas seulement remodelé les structures du pouvoir en Chine, mais ont également eu des effets considérables sur le monde extérieur ».

Il est trop tôt pour dire quel sera l’effet de cette nouvelle initiative de Xi Jinping. Mais une chose est claire, qu’il ait ou non lu 1984,  Xi Jinping déploie en tout point le modèle orwellien.

Bien sûr, le plus ironique est qu’Orwell considérait 1984 comme une mise en garde, là où Xi Jinping et divers professeurs, semblent y voir un manuel pratique.

Ainsi que l’a formulé dans son livre Rules for Radicals, Saul Alinsky, le maître à penser de la gauche radicale américaine, un modèle d’inspiration pour Barack Obama et Hillary Clinton :« Celui qui contrôle le langage contrôle les masses ».

Orwell n’aurait pas pu le dire plus clairement.

Roger Kimball est rédacteur et éditeur de la revue The New Criterion et éditeur des éditions Encounter Books. Son livre le plus récent s’intitule « Who Rules ? Sovereignty, Nationalism, and the Fate of Freedom in the 21st Century » (Qui commande ? Souveraineté, Nationalisme, et destin de la liberté au 21e siècle).


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Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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