Le tirailleur Yoro Diao 95 ans peut enfin rentrer «dignement» au Sénégal

Par Epoch Times avec AFP
27 avril 2023 14:00 Mis à jour: 27 avril 2023 14:41

« Nous rentrons chez nous pour vivre avec nos petits-enfants » après « les affres de la guerre et de la vie »: vétéran des guerres d’Indochine et d’Algérie au service de la France, Yoro Diao retourne définitivement au Sénégal vendredi avec d’autres tirailleurs, après une bataille avec l’administration française pour la reconnaissance de leurs « sacrifices ».

À 95 ans, il n’est plus obligé de passer au moins six mois par an en France, loin des siens, pour avoir droit à sa pension.  « C’est une victoire ! », lance-t-il à l’AFP depuis son studio dans un foyer à Bondy, en région parisienne. L’effervescence et le chamboulement du grand départ pour rentrer à Kaolack (centre du Sénégal) y sont palpables.

Il reçoit en impeccable costume, arborant à l’occasion ses nombreuses médailles militaires. Un regard et un sourire bienveillants adoucissent son visage émacié. Trois valises s’entassent au sol, encombrant l’espace entre son lit et un bureau débordant de dossiers administratifs.

Une autre valise a été coincée sous son lit, pleine de photos de famille et de « camarades » anciens combattants, « des souvenirs » qu’il regarde ému, dont la cérémonie où il a reçu la Légion d’honneur en 2017. « C’est le président Hollande qui devait me décorer, mais il n’avait pas le temps, alors il a délégué le préfet… », glisse-t-il avec malice.

Des pense-bêtes sont posés ici et là, car sa mémoire lui joue des tours. Dans le stress, il a ainsi mis dans son container de déménagement son passeport rangé dans une veste…

Soldats d’Afrique sous le drapeau français

Le corps français des « Tirailleurs sénégalais », créé sous le Second Empire (1852-1870) et dissous dans les années 1960, rassemblait des militaires des anciennes colonies d’Afrique. Le terme a fini par désigner l’ensemble des soldats d’Afrique qui se battaient sous le drapeau français. Ils ont participé aux deux Guerres mondiales et aux guerres de décolonisation.

(Photo GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP via Getty Images)

Selon l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais, 37 tirailleurs — tous d’origine sénégalaise, et ayant servi principalement en Indochine et en Algérie — vivent en France. Parmi eux, un premier groupe – M. Diao et huit autres, âgés de 85 à 96 ans, — s’envolera vendredi pour le Sénégal.

Ce retour a été rendu possible grâce à une mesure dérogatoire décidée par le gouvernement français, qui leur permet de vivre en permanence dans leur pays d’origine, sans perdre leur allocation minimum vieillesse de 950 euros par mois. Une aide exceptionnelle de l’État finance leur déménagement, leur vol retour et leur réinstallation. Ces mesures sont les ultimes batailles menées par Aïssata Seck, 43 ans, petite-fille d’un tirailleur, et présidente de l’Association. Cela fait dix ans qu’elle lutte pour ces « anciens ». « Choquée » par leurs conditions de vie et leurs difficultés souvent « humiliantes » dans leurs démarches administratives.

Yoro Diao a « donné sa jeunesse à la France »

« Il y a eu négligence » de l’État à leur égard, martèle la conseillère régionale d’Île-de-France et conseillère municipale à Bondy, rappelant que la France n’a levé qu’en 2006 les mesures de gel qui bloquaient les pensions des anciens combattants coloniaux, contrairement à celles des anciens combattants français qui étaient revalorisées. Elle lance en 2016 une pétition et l’ex-président François Hollande accorde aux tirailleurs la nationalité française en 2017. Puis le gouvernement d’Emmanuel Macron annonce début 2023 cette mesure dérogatoire pour leur allocation. « J’ai rien lâché » pour rappeler leurs « sacrifices », lance Mme Seck.

(Photo GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP via Getty Images)

Engagé volontaire dans l’armée française par tradition familiale, Yoro Diao dit ainsi avoir « donné sa jeunesse à la France » et avoir été « touché au moral » par la perte au combat de compagnons d’armes. En particulier celle de son grand ami Fernand Lotier, un soldat français tué à ses pieds en Indochine. « Il a pris une balle en pleine poitrine; il m’a dit Yoro je vais mourir !, j’ai dit « non Lotier quand même ! », puis il m’a montré sa blessure… »

M. Diao raconte avec acuité l’enfer de cette guerre d’Indochine où il a passé trois ans à partir de 1951, dans des « pluies torrentielles », les « animaux charognards qui mangeaient la chair humaine ». « C’était terrible… j’étais infirmier major, chef des brancardiers ; (je transportais) les blessés sous le feu de l’ennemi ; c’est « la baraka », j’ai pas été blessé mais j’ai perdu beaucoup de camarades », souffle-t-il. Puis il sera mobilisé pour la guerre d’Algérie, pendant deux longues années.

« Mieux vaut tard que jamais »

Alors, cette obligation de passer six mois par an en France, M. Diao l’a vécue avec incompréhension et a souffert « d’isolement », n’ayant pas les moyens pour faire venir sa famille. Avec pudeur, il confie être meurtri de ne pas avoir été aux côtés de son épouse quand elle est décédée en 2017. « Je la perds comme ça, sans être présent… nous avons fait 40 ans de mariage, ça faisait mal ! ».

En 2015, il se rend au Sénégal deux fois (au lieu d’une fois réglementaire) pour s’occuper d’elle. Il est depuis 2016 sanctionné par l’administration française qui lui prélève 66 euros par mois, et lui réclame encore plus de 13.000 euros. « Par rapport à ma carrière militaire, c’est dur… », lâche M. Diao.

(Photo CHRISTOPHE PETIT TESSON/AFP via Getty Images)

Selon lui, les dernières mesures gouvernementales arrivent ainsi « tard ». Cela a « mis trop de temps pour coïncider avec notre vie… ». Mais « mieux vaut tard que jamais », concède-t-il, évoquant sa joie de revoir ses petits et arrière-petits-enfants. « Je vais bien vivre, je vais manger, je vais me promener dans le village ».

Aïssata Seck est « très contente » pour les neuf tirailleurs, qui « rentrent de manière sereine ». « C’est le retour de leur dignité », lance-t-elle.

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