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À Marseille pour un job dans la drogue, des ados dans le piège de l’hyperviolence

avril 5, 2023 9:15, Last Updated: avril 5, 2023 9:52
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« On recherche guetteur. Profil : jeune, physionomiste, maîtrise du deux-roues appréciée, respectueux envers les clients et clientes. Horaires de travail de 10 à 22h (adapté aux horaires de vente). Prix 100 euros/jour. »

C’est une de ces annonces sur les réseaux sociaux qui attirent des « intérimaires » de la drogue dans le piège de Marseille. Dans ce grand port français de Méditerranée, étape incontournable des routes mondiales du cannabis, une trentaine de jeunes ont encore été tués en 2022 sur fond de narcotrafic, une quinzaine déjà en 2023 dont trois lundi. Zacharie*, 19 ans, n’y a pas résisté. Attiré par le mirage de l’argent facile, il est « descendu » de région parisienne, après avoir raté son baccalauréat pour faire le guetteur sur l’un des 130 points de vente de drogue de la ville. « Ici la paye est plus grosse », a-t-il expliqué au tribunal.

Depuis quelques années, les trafiquants marseillais recourent de plus en plus à une main d’œuvre très jeune venue d’autres régions de France, souvent fragile et plus facilement sacrifiable. Et beaucoup « se retrouvent réduits à l’état de quasi-esclavage, séquestrés voire torturés », alerte le président du tribunal judiciaire de Marseille, Olivier Leurent. Dans la deuxième ville de France, le niveau de violences en lien avec le trafic de drogue est comparable avec celui des ports d’Anvers (Belgique) et Rotterdam (Pays-Bas), souligne l’universitaire Jean-Baptiste Perrier. Le risque d’une « mexicanisation » inquiète des magistrats.

Externalisation du recrutement

Les trafiquants « n’arrivent plus à recruter assez de minots (« petits » en parler marseillais, ndlr) dans les cités de Marseille car ces derniers estiment qu’avec le risque de se faire tuer, ils ne sont pas assez payés », explique un enquêteur de la police judiciaire à l’AFP. « Donc ils recrutent ailleurs. » Les réseaux, très sophistiqués, utilisent tous les codes de l’entreprise : « On externalise le travail et ces jeunes recrues, si elles sont interpellées, ne pourront pas donner d’informations sur le réseau », explique à l’AFP Tiphanie Binctin, cheffe adjointe du pôle Stratégie de l’Office antistupéfiant (Ofast).

Un policier de l’Unité Stupéfiants Economie Souterraine (USES) tient un sac de drogue trouvé dans le quartier nord de Marseille, le 31 mars 2023. (CHRISTOPHE SIMON/AFP via Getty Images)

Les annonces de recrutement sont léchées, mise en page soignée avec feuilles de cannabis aux quatre coins de l’écran. Comme cette autre, sur Snapchat, qui recherche « des personnes vif d’esprit et à l’affût #Marseille #favelas » pour faire le « chouf », donner l’alerte en criant « arah » à la vue de policiers ou « charbonner », vendre, quand ils sont plus aguerris. Localement, on les appelle les « jobbeurs ».

La plupart débarquent gare Saint-Charles. Depuis le parvis, leur regard part vers le sud où le massif des Calanques offre ses criques turquoises instagrammables. Mais eux vont dans l’autre sens, vers les quartiers Nord, en VTC car quasiment aucun métro ou tram ne dessert ces zones.

Marseille, qui tente de rattraper un retard historique en termes d’équipements, est coupée en deux avec ses quartiers cossus dans le sud et le centre-nord où se trouvent des poches de pauvreté parmi les pires d’Europe entre places de village et grands ensembles. Les Rosiers, Les Micocouliers, Les Oliviers, La Marine Bleue, la ville regorge de cités aux noms champêtres en réalité gangrenés par les trafics où parfois même la circulation est filtrée par les dealers.

 « C’était mieux de faire ça que de faire le tapin »

Certains points de deal peuvent rapporter jusqu’à 80.000 euros par jour. Récemment lors d’une descente, la police a vu jusqu’à 12 clients faire la queue. La France est un des plus gros consommateurs d’Europe de cannabis et n’est pas en reste sur la cocaïne. La cité de La Paternelle est actuellement au cœur d’un conflit sanglant qui touche de plus en plus de mineurs : un guetteur de 17 ans y a été lynché à mort en février, un autre de 16 ans a été tué par balles début avril.

Ici, un parcours fléché au milieu des petits immeubles colorés et dégradés mène vers « Yoda », l’un des points de vente. Les prix sont affichés sur les murs : « shit, beuh, coke » au choix. Le chant de nombreux coqs en liberté domine dans ce dédale de rues étroites parfaites pour s’échapper lors des descentes de la police qui mène une stratégie de harcèlement.

Désormais 40% des mineurs présentés à la justice marseillaise pour trafic de stupéfiants sont extérieurs à la ville. Ils viennent de région parisienne, notamment du Val d’Oise, mais aussi de l’Hérault, des Alpes-Maritimes dans le sud de la France ou de la vallée du Rhône.

« Fallait que je puisse travailler pour récupérer ma fille, c’était mieux de faire ça que de faire le tapin », raconte Cindy*, 21 ans, dans sa déposition lue à une audience de comparution immédiate. Avec son compagnon Ilyes*, tout juste majeur, ils ont fait du stop depuis leur village de l’Hérault puis pris un train. Ils dormaient dans un hôtel du centre, « une personne de (la cité) Bassens nous met tous dans le même ».

Certains sont moins bien lotis, dormant sur un balcon, dans une cave ou un local poubelle. Ils sont payés en moyenne entre 100 et 200 euros lors de « vacations » 11h00-17h00 ou 17h00-minuit, parfois beaucoup plus. Ramené au taux horaire et avec le risque encouru, « c’est de la pure exploitation », souligne la juge pour enfants Laurence Bellon. « Mais eux voient le gain sur la semaine ou le mois, 1400 euros la semaine pour sept jours d’affilée par exemple. Et certains, il faut le dire, se voient réussir pour gagner beaucoup d’argent », relève la procureure de Marseille, Dominique Laurens. Comme cet adolescent de 16 ans originaire d’un pays limitrophe venu « pour profiter de la vie » et arrêté avec deux kilos de cannabis, une quantité très importante qui prouve « qu’il est déjà très impliqué », selon la juge.

Piège des dettes fictives

Pour beaucoup, le piège se referme rapidement : ils sont accusés de ne pas avoir donné l’alerte au bon moment, de ne pas avoir compté les billets assez vite ou d’avoir une dette plus ou moins fictive. « Ils ont moins de ressources et de relais dans les quartiers, ils sont moins bien payés, moins bien traités. Et ils récidivent car quand ils se font arrêter avec du cash et des produits sur eux, après le réseau exige d’être remboursé », explique l’avocat Valentin Loret. Récemment un mineur remis en liberté a été conduit au train pour rentrer chez lui mais les dealers l’attendaient à la gare suivante. Il avait une dette à rembourser.

Des drogues trouvées dans une borne dans le quartier nord de Marseille. (CHRISTOPHE SIMON/AFP via Getty Images)

Marseille « ce n’est pas l’Eldorado, c’est la violence, les actes de torture et de barbarie, les dettes fictives, c’est être à la merci du réseau », martèle la préfète de police des Bouches-du-Rhône, Frédérique Camilleri.

Dès le début de ce phénomène en 2019, un adolescent de 16 ans, qui avait fugué de son foyer de Chartres (centre), avait terminé son séjour marseillais comateux, brûlé au chalumeau pour avoir vendu quelques barrettes de « shit » sans autorisation. L’un de ses tortionnaires, mineur au moment des faits, a été condamné en novembre à dix ans de prison ferme. Des dossiers sont à la limite de la traite des êtres humains, pour la juge pour enfants.

Comme celui-ci : en 2020, en pleine pandémie de Covid-19, des adolescents recrutés sur les réseaux, sont rapidement séquestrés à leur arrivée, frappés, torturés, sans raison apparente sinon de les soumettre. L’un d’eux, 15 ans à l’époque, sera violé par un jeune dealer, forcé de lui faire une fellation, relate une source judiciaire. Il fera ensuite l’objet d’un chantage à la sex-tape pour se taire, ce qui est fréquent.

Une dizaine de personnes dont des mineurs ont été mises en cause dans ce dossier, du violeur présumé à une logeuse digne d’un roman de Zola, accusée d’avoir interdit aux deux victimes de sortir, de se doucher. Et il y a des morts comme ce jeune de 20 ans, originaire de Seine-Saint-Denis, près de Paris, dont le corps criblé de balles a été retrouvé, abandonné sur un terrain vague de la Paternelle.

« Clochards en vêtement de luxe »

Quelques centaines d’euros en valent-ils la peine ? « Ils rentrent dans cette logique pour avoir des vêtements de marque, c’est le seul repère identitaire qu’ils mettent en avant » pour se sentir exister, analyse Laurence Bellon qui en voit beaucoup décrocher au début du collège, dès l’âge de 11 ans.

« Ce sont des clochards en vêtement de luxe », lâche un avocat, dépité de voir que son client ne mesure pas la gravité de son dossier ni les risques de représailles mais pavane dans son survêtement blanc d’une très onéreuse marque de montagne.

Tous mettent en cause le rôle de séries comme « Narcos », des influenceurs, des réseaux sociaux qui infusent l’idée de la réussite par l’apparence et l’argent. Inconnus des acteurs sociaux locaux, ces jeunes sont plus difficiles à prendre en charge. Beaucoup finissent par se tourner vers leurs parents, la police ou même n’importe qui. En décembre, un jeune a sauté dans un bus, demandant de l’aide aux passagers en disant qu’il allait être enlevé. En janvier, un autre s’est réfugié sur le toit d’une cité et a appelé au secours, énumère une source policière.

Crainte d’une « Mexicanisation »

Marseille est toujours un peu « pilote », selon la procureure et ce phénomène des intérimaires de la drogue s’est désormais propagé notamment à Lille (nord) ou dans des petites villes de France en Bretagne (nord-ouest) ou dans le Vaucluse (sud).

Actuellement, la pénurie de main d’œuvre est telle que les trafiquants recrutent aussi des migrants parfois mineurs, algériens ou nigérians, certains pensant au départ être embauchés sur des chantiers à la journée, souligne Me Loret. Comme les trafiquants utilisent tous les outils pour recruter, des réseaux sociaux aux méthodes traditionnelles (bouche-à-oreille, affichettes sur des abribus…), la police a du mal à remonter les filières.

La procureure craint « qu’on ne vive encore ici une aggravation de la situation, avec un basculement comme ce que vivent certains pays d’Amérique du Sud, une mexicanisation » – même si le nombre de morts n’est pas comparable. « C’est plus que du non-droit, je ne sais pas le qualifier. Ça me renvoie parfois à l’image du Brésil, il y a des endroits où il y a des clivages complets entre les beaux quartiers et ceux qui connaissent une extrême pauvreté, une hyper-violence », appuie la juge Laurence Bellon.

Zacharie lui s’en est sorti. Arrêté après trois jours seulement à Marseille, il a été condamné à une peine de détention à domicile chez sa mère très mobilisée. « Il a été pris précocement dans son parcours délinquant, il avait un casier vierge et il y a eu une certaine pédagogie de la peine : on lui évite le choc carcéral », estime son avocat Me Matthieu Kraif. Il a aussi interdiction de paraître ici pendant trois ans puisque visiblement, comme l’a dit le procureur avec ironie à l’audience, « le climat local ne lui réussit pas ».

*les prénoms de ces jeunes ont été modifiés pour ne pas les exposer davantage à des risques de représailles.

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