À Marseille, un rabbin et un supporter de l’OM, ensemble, contre le piège de la haine

Par Anais Duroy
26 novembre 2023 10:04 Mis à jour: 26 novembre 2023 15:42

L’un est rabbin, l’autre responsable d’un groupe de supporters du mythique club de foot de l’Olympique de Marseille. Ensemble, ils font leur possible, comme d’autres, pour que leur ville ne tombe pas dans le « piège à c** » d’une importation du conflit israélo-palestinien.

Loin du soutien unilatéral à un camp ou des polémiques sur les réseaux sociaux, ils ont, le 24 octobre, avec un imam et un prêtre, passé un message de paix au pied de la Bonne Mère, la basilique symbole de la deuxième ville de France, surplombant la Méditerranée.

Une centaine de personnes étaient présentes. « Pas beaucoup de monde mais c’est comme ça qu’on a pu maîtriser, on avait peur que quelqu’un dise une connerie ou sorte un drapeau » autre que marseillais, se félicite Rachid Zeroual, responsable des South Winners 1987, plus grand groupe de supporters de l’OM avec 7500 adhérents.

Un conflit non pas « religieux » mais « politique »

« J’ai grandi avec des juifs, des Italiens, des Corses, des Espagnols. Étant minot on n’avait pas ce souci de quelle est ta race, quelle est ta religion. On avait qu’un souci : trouver un bout de scotch et une corbeille pour jeter une boule en papier dedans », explique cet homme d’origine algérienne à la voix rocailleuse, regard perçant et barbe blanche parfaitement taillée.

« Il faut arrêter de parler, de penser au nom de Dieu », embraye le rabbin Haïm Bendao pour qui le conflit opposant Israël aux Palestiniens, qui se déroule à des milliers de kilomètres de la France, « n’est pas religieux » mais « politique ».

Sourire indécrochable, souvent en jogging, kippa accrochée au sommet du crâne, ce gamin élevé dans le grand bain multiculturel de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) exerce depuis 25 ans dans les quartiers déshérités du nord de Marseille.

Depuis l’attaque du Hamas, ils se parlent tous les jours

Depuis le 7 octobre, jour de l’attaque sans précédent lancée contre Israël par le Hamas et les bombardements massifs de l’armée israélienne qui ont suivi sur Gaza, ils se parlent tous les jours.

La division, la haine, « c’est un piège à c**. Si on tombe tous dedans, on est mort ! », lance Haïm qui assume s’inspirer du pape François, venu vanter en septembre la « coexistence pacifique » régnant à Marseille.

La cité portuaire, qui a accueilli des vagues d’exilés d’Arménie, d’Italie, du Maghreb, et qui compte aujourd’hui les communautés juive et musulmane parmi les plus importantes du pays, est « l’une des villes les plus mélangées de toute la Méditerranée. C’est une richesse et une force », rappelait récemment le maire Benoît Payan.

Les supporters ont compris sa position

Deux jours après le rassemblement à la « Bonne Mère », lors du match de Ligue Europa contre l’AEK Athènes, il n’y avait pourtant dans la tribune du stade que des drapeaux palestiniens, dont un géant.

« Quand j’ai vu ça, je leur ai dit (aux supporters) : ‘‘vous le descendez de suite’’, quand ce sont des actions individuelles, avec un drapeau sur les épaules, je veux bien, chacun a le droit de s’exprimer. Mais si on prend un mat des Winners et qu’on met un drapeau, non ! On met les deux drapeaux », israélien et palestinien, s’emporte Rachid.

Il reconnaît qu’il n’est pas éducateur – « moi j’engueule » – mais les jeunes qui avaient préparé ce drapeau géant palestinien, pensant faire plaisir au groupe, « ont compris la position ».

« Tout le monde se sent obligé de donner son avis mais quand notre trésorier a sorti la carte du monde aux jeunes au local et leur a demandé où est située la Palestine, ils ne savaient même pas », poursuit cette figure marseillaise adulée par certains, décriée par d’autres.

Le match suivant, le rabbin, supporter de foot, a répondu à sa façon et est arrivé dans le virage Sud avec un drapeau « peace » sur le dos.

Un climat « hystérique »

Mardi, le rabbin et le supporter organisent cette fois une « conférence de presse pour la fraternité », en présence de l’imam marseillais Smain Bendjilali. « Je reste convaincu avec mon cher ami et frère Haïm que la solution est dans le dialogue constructif loin des tensions ethniques et/ou politiques », abonde l’imam Alain Hassan Rajii, aumônier régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui était présent à la basilique Notre-Dame-de-la-Garde.

Ce n’est pas facile tous les jours et un autre imam confie préférer « l’invisibilité médiatique » dans un climat qu’il juge « hystérique ».

« La haine, est-ce qu’on y consent ou est-ce qu’on y oppose quelque chose ? Ce serait désolant de construire un face-à-face », analyse pour sa part Thierry Fabre, organisateur depuis 30 ans des populaires « Rencontres d’Averroès » à Marseille, où dialoguent des gens de toute la Méditerranée, dont des Israéliens et des Palestiniens.

« Il ne s’agit pas de crever séparément mais de vivre ensemble », plaide-t-il, citant Albert Camus. Bien sûr, « celui qui ne veut pas me serrer la main quand je vais à la mosquée, ça sert à rien » de dialoguer, relève Haïm Bendao mais « il y en a un sur 100 ».

La Méditerranée, juifs, musulmans et chrétiens

« Ce conflit est territorial, politique, depuis des dizaines d’années », dans un monde méditerranéen où les « interrelations entre juifs, musulmans et chrétiens » sont nombreuses et bien plus anciennes, rappelle encore Thierry Fabre. À Marseille, juifs et musulmans maghrébins ont souvent connu la même douleur de l’exil.

À l’OM d’ailleurs, le combat antifasciste et antiraciste est mené depuis des dizaines années. « Le groupe (de supporters) s’est construit sur le cosmopolitisme, ceux qui ne sont pas dans cette démarche sont exclus », confie Jules Sitruk, diplômé d’une grande école de commerce et habitué du virage Sud.

Au local des South Winners, « on fait les grillades ensemble, ils m’achètent de la viande casher, où tu trouves ça ailleurs ? », sourit Haïm.

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