Opinion
Analphabétisme et IA
Les jeunes n’écrivent plus. L’intelligence artificielle le fait pour eux.

Photo: 4Max/Shutterstock
Autrefois, le cours d’anglais reposait sur deux piliers : d’une part, la lecture de Shakespeare, Tennyson et consorts, et d’autre part, l’apprentissage de l’écriture. Les classiques, la grammaire et la ponctuation conféraient à la matière un sérieux fondé à la fois sur le contenu et sur la maîtrise des formes. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui.
Le canon littéraire traditionnel occupe une place toujours plus marginale dans la discipline, désormais centrée sur la « littératie médiatique », la pensée critique, les « textes informatifs » et d’autres thématiques éloignées de l’histoire littéraire. Ces évolutions sont venues d’en haut, faut‑il le rappeler, portées par des experts en programmes et en évaluation.
S’agissant de l’écriture, le bouleversement est plus radical encore et s’est produit en seulement quelques années. L’intelligence artificielle (IA) a tout renversé sur son passage. Elle s’est imposée dans le système éducatif avec une telle soudaineté et une telle profondeur que les enseignants s’épuisent à en gérer les conséquences au quotidien. Cette fois, ce ne sont pas les experts qui donnent le la, mais les élèves. Ils n’écrivent plus : l’IA écrit à leur place. Quelques mots‑clés, quelques clics, une ou deux retouches, et « voilà ! » le devoir est bouclé. Comment un adolescent pourrait‑il résister à une telle tentation ?
S’ils veulent « rejoindre les élèves là où ils sont », pour reprendre le slogan des écoles de pédagogie, les enseignants ne peuvent plus donner de devoirs rédigés à faire à la maison en espérant que les élèves les produisent eux‑mêmes. L’attrait est trop puissant, la procédure trop simple. C’est même plus sûr que le plagiat, puisque l’IA génère un texte unique pour chaque élève qui en fait la demande, et non un texte recopié qu’un professeur pourrait retrouver par une recherche Google en partant de tournures suspectes. De plus, l’IA produit une prose d’élève si convaincante que les enseignants n’ont ni le temps ni l’énergie de passer chaque copie au crible pour y déceler de subtils indices d’utilisation de l’IA.
C’est donc toute la pratique de l’anglais qui doit être repensée – et elle l’est déjà. Plus de rédaction hors classe, plus de longs devoirs de recherche (l’IA effectue les recherches aussi bien qu’elle rédige les phrases), plus de dissertations sur ordinateur en examen. Les copies d’examen font leur retour ! Un professeur me confiait récemment qu’il comptait organiser, en fin de semestre, des oraux individuels avec chaque étudiant (ses effectifs réduits le lui permettent). L’idée est bonne : à l’oral, il peut sonder la connaissance qu’a l’étudiant de tel passage précis de « Gatsby le Magnifique » ou d’autres œuvres au programme, et vérifier ainsi qu’il a réellement lu le livre, plutôt que de se contenter d’un résumé généré par une IA.
Malheureusement, aucune mesure prise par l’enseignant pour éviter l’IA ne peut remplacer ce qui a été perdu, à savoir la composition soutenue et indépendante, un jeune dans une chambre d’étudiant ou à la bibliothèque passant deux heures seul à verbaliser ses idées, à peaufiner ses phrases et à fluidifier ses transitions. Ces heures ont une valeur en soi, car l’écriture se développe par la pratique, et non par l’étude. C’est un exercice, pas un contenu. Lire un livre sur le style littéraire ne fera pas de vous un bon styliste. Un écrivain chevronné a passé des années à enrichir son vocabulaire, à acquérir le sens de la longueur des phrases et de la structure des paragraphes, à reconnaître quand il faut montrer et quand il faut raconter, quelle diction convient le mieux pour tel ou tel sujet, et où l’ironie et le langage figuratif peuvent être efficaces. C’est une progression laborieuse, jalonnée de nombreux essais et erreurs. Certaines fautes sont tenaces (compléments mal placés, formulations ambiguës, excès de verbes passifs et de groupes prépositionnels, etc.). Un accompagnement attentif est indispensable.
Personne n’y prend vraiment plaisir : ni l’étudiant qui reste figé devant la page blanche ou qui relit un paragraphe en sachant qu’il est mauvais, ni le professeur d’anglais, qui ressent le découragement de l’élève et s’emploie à extraire un peu d’éloquence de ce texte disloqué. Je me souviens de nombreuses séances pendant mes permanences, où nous passions en revue, phrase par phrase, un premier jet ; j’attirais l’attention de l’étudiante sur une virgule, un « Qui », un temps verbal, et je lui demandais : « Est‑ce qu’il n’y a rien qui cloche ? », avant de la laisser chercher la réponse. Je devais rester patient, elle devait se concentrer. Le temps semblait se ralentir. À la fin, elle poussait un soupir, esquissait un sourire fatigué, tandis que je pensais déjà à l’heure de l’apéritif.
Il n’existe aucun substitut à ce parcours initiatique humaniste. La plupart des gens ne peuvent pas apprendre à écrire autrement. Si l’IA les dispense de cet entraînement laborieux et peu gratifiant, leur confort augmentera, mais pas leur compétence. L’effet dépassera largement le cadre universitaire : nous glisserons vers une culture dominée par l’IA et une société à faible niveau de littératie.
Un paradoxe pourrait d’ailleurs se dessiner dans les années à venir : à mesure que l’IA assumera une part croissante des tâches de communication, les rares moments où une parole plus dense, singulière, marquante sera requise – par exemple lorsqu’un responsable politique devra prononcer un discours mobilisateur en temps de crise – mettront en lumière la valeur exceptionnelle de ceux qui auront reçu une solide formation littéraire. Message aux parents : encouragez vos enfants à tenir un journal et à y consigner chaque soir les événements de leur journée.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Mark Bauerlein est professeur émérite d'anglais à l'Emory University. Ses articles ont été publiés dans le Wall Street Journal, le Weekly Standard, le Washington Post, le TLS et le Chronicle of Higher Education.
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