ANALYSE : Pourquoi la Chine communiste a-t-elle besoin de plus de 170 diplomates au Canada ?

Selon un ancien diplomate chinois, les représentants qui ne s'acquittent pas de tâches diplomatiques acceptables devraient être expulsés

Par Omid Ghoreishi
2 juin 2023 07:35 Mis à jour: 2 juin 2023 07:35

Au Canada, les députés de l’opposition demandent pourquoi le diplomate chinois récemment expulsé du pays pour avoir menacé la famille d’un député n’a pas été renvoyé plus tôt. Depuis plusieurs années, l’agence du renseignement canadien sait que ce dernier espionne les pratiquants du Falun Gong et les Ouïghours en sol canadien.

À l’heure où sont écrites ces lignes, 177 diplomates chinois se trouvent au Canada, en comptant leurs représentants auprès de l’Organisation de l’aviation civile internationale, basée à Montréal. Les États-Unis, le plus proche allié du Canada et voisin du sud, est le deuxième pays à compter le plus de diplomates en sol canadien, avec 291 diplomates, bien devant le Japon, avec 80 diplomates.

En 2019, le nombre de postes diplomatiques du régime chinois à l’étranger a dépassé celui des États-Unis. En 2021, le Parti communiste chinois (PCC) comptait 275 ambassades, consulats, missions permanentes et autres représentations dans le monde, selon le Global Diplomacy Index du Lowy Institute. Les États-Unis en comptait 267 et le Canada 143.

Selon Dan Stanton, ancien directeur exécutif du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), il n’est pas inhabituel d’avoir une représentation aussi nombreuse de diplomates chinois si le niveau d’engagement, tel que les échanges commerciaux, le justifie.

« Ce qui m’inquiète, c’est le pourcentage de diplomates impliqués dans des activités d’ingérence étrangère, voire d’espionnage », déclare M. Stanton.

Selon Chen Yonglin, ancien haut fonctionnaire du consulat de Chine à Sydney, en Australie, qui a fait défection en 2005, l’une des principaux rôles des consulats chinois est de harceler la diaspora et de mener des activités d’ingérence dans le pays d’accueil.

« Ils sont trop nombreux et trop actifs, et disposent de budgets considérables à cette fin », déclare M. Chen à Epoch Times.

L’organisation des consulats

Outre les services consulaires tels que le traitement des visas et les services d’assistance et de protection, les ambassades et consulats chinois disposent généralement de divisions chargées des affaires politiques, de la diaspora chinoise, des affaires économiques et commerciales, de la science et de la technologie, de l’éducation et de la culture. L’ambassade dispose également d’un attaché militaire officiel.

Outre le consul général, chaque consulat compte généralement deux vice-consuls généraux. Selon M. Chen, l’un des deux est un diplomate de carrière du ministère chinois des Affaires étrangères. L’autre relève du ministère de la Sécurité d’État (MSE), l’agence de renseignement de la Chine.

Le consulat de Chine à Vancouver sur une photo d’archive. (Melodie Von/NTD)

« Ils appellent cela du contre-espionnage, la surveillance du personnel. Or, ils travaillent également à la coordination d’autres actions pour le ministère de la Sécurité d’État, comme la surveillance d’une cible particulière », explique-t-il.

Outre les attachés militaires dans les ambassades, M. Chen explique que d’autres représentants de l’Armée populaire de libération peuvent travailler dans les consulats sous une forme déguisée. Par exemple, ils peuvent être affectés au bureau des Affaires commerciales. Leur rôle pourrait être tenus secret même auprès d’autres employés du consulat. Toutefois, ils finissent généralement par savoir qui ils sont en remarquant certains indices, comme le fait d’avoir un budget en argent liquide.

Cibler les « six groupes »

La section des Affaires politiques est chargée des relations bilatérales entre la Chine et le pays d’accueil.

Bien que les relations bilatérales se discutent généralement dans la capitale du pays hôte, où se trouvent le gouvernement central et les ambassades, les consulats chinois d’autres villes ont généralement aussi cette division.

« À l’origine, les consulats avaient pour mission de délivrer des visas, de signaler les pertes de passeports, etc. Il semble donc un peu étrange que les consulats aient des responsabilités en matière d’Affaires politiques », a déclaré M. Stanton. « Je suppose que c’est ainsi qu’ils voient les choses. Ils perçoivent probablement un aspect politique pour la RPC [République populaire de Chine] pour tout contact avec une entité canadienne. »

Selon M. Chen, le bureau des Affaires politiques est également chargé de l’une des plus importantes priorités du PCC : la gestion des « six groupes ». Ce terme désigne les groupes et entités que le PCC veut éradiquer ou dominer totalement. Il s’agit notamment des pratiquants du Falun Gong, des musulmans ouïghours, des Tibétains, des militants pour la démocratie, des militants pour l’indépendance de Taïwan et pour celle de Hong Kong.

Selon un récent article du Globe and Mail citant un spécialiste en matière de sécurité nationale, le diplomate Zhao Wei, récemment expulsé par le Canada, monitorait certains de ces groupes dans la région du Grand Toronto. Il a s’agit notamment de pratiquants du Falun Gong, de militants pour le respect des droits de l’homme dans la région du Xinjiang, de militants pour la démocratie à Hong Kong et des militants pour l’indépendance du Tibet et de Taïwan.

Le 8 mai, Zhao Wei a été déclaré persona non grata pour avoir menacé la famille du député conservateur Michael Chong à Hong Kong, après que ce dernier eut parrainé une motion de la Chambre des communes en 2021 visant à déclarer que la persécution des Ouïghours par la Chine constituait un acte de génocide.

Pour cette raison, M. Chen soupçonne Zhao Wei d’être impliqué dans la division des Affaires politiques.

Opérations d’ingérence

M. Chen explique que la section des « Affaires liées à la Diaspora chinoise » est chargée de la « diplomatie non gouvernementale ». Celle-ci s’inscrit dans l’héritage de la « diplomatie du ping-pong » qui a marqué un tournant dans les relations entre les États-Unis et le PCC dans les années 1970. Elle comprend des activités de loisirs visant à promouvoir la propagande du PCC, explique-t-il.

Chen Yonglin, un ancien diplomate chinois qui a fait défection en Australie en 2005, s’exprime lors d’un rassemblement à Sydney en 2015. (Shar Adams/Epoch Times)

Cette division fait également partie du Département du travail du Front uni du PCC, explique M. Chen. « L’intention est de s’ingérer dans les affaires intérieures du Canada. »

Le Front uni est le principal outil d’ingérence du PCC à l’étranger, selon des sources citées par Sécurité publique Canada.

Selon Anne-Marie Brady, professeur de sciences politiques à l’université de Canterbury en Nouvelle-Zélande, le Front uni instrumentalise des groupes et des personnalités de la société, se voue à la gestion de l’information et à la propagande et peut également faciliter l’espionnage.

« Les responsables du Front uni du PCC et leurs agents tentent d’établir des relations avec des personnalités à l’étranger et des Chinois d’outre-mer (plus elles sont influentes, le mieux) afin d’influencer, de subvertir et, si nécessaire, de contourner les politiques des gouvernements et de promouvoir les intérêts du PCC à l’échelle mondiale », écrit Mme Brady dans un article publié en 2017.

L’un des principaux objectifs du Front uni est d’influencer la diaspora chinoise afin de promouvoir les intérêts du PCC à l’étranger.

« Les consulats et les ambassades de Chine transmettent des instructions aux organisations communautaires chinoises et aux médias en langue chinoise. Ils accueillent des délégations de haut niveau du PCC à l’étranger qui viennent rencontrer les organisations locales de la diaspora chinoise », déclare Mme Brady.

« Les responsables des diverses associations de Chinois d’outre-mer dans chaque pays sont régulièrement invités en Chine pour informer [les dirigeants du PCC] des politiques gouvernementales en vigueur. »

Éducation, culture et secrets commerciaux

Selon M. Chen, d’autres secteurs de missions diplomatiques chinoises sont également importantes pour le PCC, notamment le secteur de l’éducation, car de plus en plus d’étudiants chinois viennent au Canada.

L’un des principaux moyens par lequel les consulats exercent une mainmise sur ces derniers est par le biais de l’Association d’étudiants et de chercheurs chinois (CSSA). Cette organisation est présente dans la plupart des universités canadiennes. Par exemple, le site Web de l’Association d’étudiants et de chercheurs chinois de l’Université de Toronto indique explicitement avoir été fondée avec le soutien du consulat de Chine.

Selon M. Chen, le second objectif de la mission diplomatique visant le secteur de l’éducation concerne les Instituts Confucius du PCC, hébergés par certains établissements d’enseignement canadiens.

Il ajoute que le mission visant le secteur de la culture, sous la direction du ministère de la Culture du PCC, se charge de promouvoir la propagande du PCC. Celle visant les secteurs de la science et de la technologie veille l’évolution de la recherche, souvent dans une perspective d’espionnage technologique.

L’ingérence dans la politique canadienne

Selon M. Chen, il devrait être évident [aux yeux de tous] que de nombreux diplomates chinois ne mènent pas des activités diplomatiques légitimes et que la taille de la mission diplomatique de la Chine au Canada devrait être considérablement réduite.

« Ils n’ont pas besoin de la section des ‘Affaires liées à la Diaspora chinoise’, qui travaille avec l’organisation du Front uni, mène des activités de propagande et soutien les espions chinois. Tous les diplomates travaillant dans cette section devraient être expulsés », ajoute-t-il.

De même, le Canada devrait refuser tout substitut du diplomate expulsé Zhao Wei, puisqu’il était chargé de harceler les Chinois d’outre-mer au Canada, selon M. Chen.

Il en va de même pour des diplomates de la section des Affaires politiques dans les consulats. Même en apparence, il ne semble pas y avoir de motif légitime à leur présence, car les engagements politiques se tiennent dans la capitale du pays d’accueil. Même à Ottawa, ajoute-t-il, deux personnes de cette section devraient suffire pour mener à bien les relations bilatérales. Les autres devraient être renvoyés.

« Les Affaires politiques dans les consulats vont à l’encontre de la Convention de Vienne, car la section des services consulaires fournit déjà les services nécessaires, tout comme les sections des Affaires commerciales et de la Protection consulaire », ajoute-t-il. La Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 définit les règles du droit diplomatique, notamment le fait que les diplomates doivent respecter les lois de l’État hôte.

L’ambassade de Chine à Ottawa sur une photo d’archive. (Epoch Times)

« La section des Affaires politiques s’ingère dans la politique canadienne, par exemple en soudoyant des politiciens ou en menaçant des députés canadiens – c’est son travail », déclare M. Chen.

Selon lui, il en va de même pour les autres sections, comme celle de l’éducation, puisque leur principal objectif est de mener des opération d’interférence au Canada.

« Il n’y a pas beaucoup d’affaires gouvernementales dans le domaine de l’éducation. Leur champ d’action principal [des consulats] concerne les étudiants et les Instituts Confucius. En dehors de cela, ils n’ont rien d’autre à faire. Ils minent l’indépendance académique des universités et gèrent des réseaux d’espionnage », déclare M. Chen.

Il ajoute que le Canada devrait également expulser le vice-consul général, qui est lié au ministère de la Sécurité d’État, ainsi que d’autres diplomates ayant une formation militaire, car la Chine dispose déjà d’un attaché militaire officiel à Ottawa.

« Le nombre de diplomates chinois devrait être limité, car ils causent des problèmes. »

Purement réactive

Selon M. Chen, la diplomatie internationale du PCC est une extension de son système intérieur. Elle vise à dissimuler le fait que le régime communiste chinois n’est pas un gouvernement légitime puisqu’il n’a pas été élu par le vote populaire.

« La reconnaissance internationale est vitale pour eux. C’est pourquoi ils dépensent énormément d’argent pour leur diplomatie du dollar », explique-t-il, citant en exemple les immenses sommes qu’investit le PCC dans les pays d’Afrique.

« Leur diplomatie à l’étranger vise à mener une politique qui aide le PCC à rester au pouvoir. »

Selon la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly, en mars, le Canada a refusé un visa à un représentant chinois parce que cette personne était un « agent politique ». Elle a déclaré qu’il était plus facile d’empêcher l’entrée sur le territoire que d’expulser un diplomate au pays.

Guy Saint-Jacques, ancien ambassadeur canadien en Chine, a déclaré que le Canada avait discrètement expulsé un diplomate chinois en 2010 en raison d’allégations d’espionnage, a rapporté le Globe and Mail.

Avant cela, en 2006, Ottawa avait expulsé un diplomate pour avoir recueilli des informations sur les pratiquants du Falun Gong au Canada et incité des étudiants chinois à l’étranger à collaborer dans cette opération, avait rapporté Epoch Times à l’époque.

M. Stanton explique ne pas être surpris que le Canada n’ait pas expulsé de diplomates ces dernières années, car le pays n’a pas vraiment de politique réaliste à l’égard de la Chine.

« Ce que nous voyons, c’est une politique étrangère purement réactive qui est fragilisée par des fuites dans les médias », a-t-il déclaré.

« Peut-être que Pékin est plus effronté et plus audacieux [dans ses opérations menées au Canada] parce qu’il n’y a pas eu de conséquences concrètes à ses activités non diplomatiques. »

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