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Opinion

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Bertrand Alliot, porte-parole d’Action Écologie : « L’interdiction de l’acétamipride illustre une guerre de la France écologiste à la France créatrice de valeur »

ENTRETIEN - Le Conseil constitutionnel a censuré la réintroduction, en usage agricole et sous conditions strictes, de l’acétamipride, mesure phare de la loi Duplomb, pensée comme un geste d’apaisement à la révolte paysanne de l’an dernier. Dans une partie de la macronie, avec Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, comme à l’extrême gauche, insoumis et écologistes en tête, l’heure est aux cris de victoire. Si la quasi-totalité de la presse traditionnelle, tout comme nombre de médias dits « alternatifs », ont pris fait et cause contre ce néonicotinoïde, Bertrand Alliot, ancien membre du Conseil d’administration de la Ligue pour la protection des oiseaux et aujourd’hui porte-parole d’Action Écologie, rappelle qu’aucune preuve scientifique ne vient, à ce jour, étayer des rumeurs érigées en certitudes. Alors que les agriculteurs affûtent déjà de nouvelles mobilisations, l’ingénieur maître en gestion de l’environnement voit dans l’affrontement autour de la loi Duplomb « une guerre entre deux France » : celle, « imprégnée d’écologisme », qui vit des contraintes qu’elle impose, et celle, « créatrice de valeur », qui les subit. Et l’auteur de Comprendre l'incroyable écologie (Salvator) de redouter que cette fracture ne se solde, au bout du chemin, par un dénouement malheureux. 

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Bertrand Alliot.

Photo: DR

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Durée de lecture: 16 Min.

Epoch Times : Ce jeudi, le Conseil constitutionnel a censuré l’article le plus controversé de la loi Duplomb, qui prévoyait la réintroduction de l’acétamipride, interdit depuis 2018, en s’appuyant sur la Charte de l’environnement garantissant le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Selon vous, que symbolise cette décision ?
Bertrand Alliot : La censure de cet article de loi illustre parfaitement l’inflation normative qui gangrène la France et contre laquelle les agriculteurs se sont mobilisés dans tout le pays l’an dernier. En l’occurrence, le problème trouve son origine dans l’introduction, il y a vingt ans, de cette Charte de l’environnement annexée à notre Constitution.
Une fois encore, le législateur n’est plus l’ultime décideur, comme on le constate déjà dans d’autres domaines, notamment en matière migratoire. La censure de la réintroduction de ce produit est un déni de démocratie.
Cependant, il est tout à fait possible que l’utilisation de l’acétamipride ne soit plus censurée bientôt : il semble que l’article contesté soit déjà en cours de réécriture pour prendre en compte les remarques du Conseil constitutionnel. À mon avis, il sera de nouveau proposé devant le Parlement. À cette occasion, il pourrait y avoir des heurts, aussi bien dans l’hémicycle que dans la rue.
Sur le terrain migratoire, l’eurodéputé François-Xavier Bellamy a dénoncé un double standard du Conseil constitutionnel, après qu’il a aussi censuré, jeudi, la mesure prévoyant l’allongement de la durée de rétention des étrangers jugés dangereux : selon lui, l’instance est prompte à interdire un produit phytosanitaire pourtant autorisé ailleurs en Europe et toujours utilisable dans les foyers, mais réticent à appliquer le principe de précaution lorsqu’il s’agit de maintenir en rétention des immigrés illégaux condamnés pour meurtre ou viol et présentant un risque élevé de récidive.
Lorsque l’idéologie écologiste ne parvient pas à s’imposer par la voie démocratique, elle prolonge son emprise par d’autres biais, notamment juridiques.
Dans le cas de la loi Duplomb, après son adoption au Sénat, le texte est arrivé à l’Assemblée nationale où l’extrême gauche, écologistes et insoumis en tête, ont déposé des centaines d’amendements fantaisistes, dans le seul but de bloquer le débat et d’empêcher le vote final. Faute de pouvoir examiner l’ensemble de ces amendements, le texte a été directement envoyé en commission mixte paritaire, puis soumis au vote de l’Assemblée, qui l’a adopté à la majorité.
Sans vergogne, ces mêmes députés d’extrême gauche ont ensuite dénoncé l’absence de débat dans l’hémicycle, accusant les parlementaires favorables au texte d’être « aux ordres des lobbys agricoles ». Ils ont finalement saisi le Conseil constitutionnel qui, comme il l’avait déjà fait en censurant une loi pénalisant l’aide au séjour irrégulier au nom du « principe de fraternité », a de nouveau utilisé un principe général pour invalider un point très précis : l’autorisation d’un produit pourtant inscrite dans une loi adoptée par le Parlement.
Des internautes, à l’instar de Béatrice Rosen, ont dénoncé sur X un « piratage du pays » et « des décisions délétères pour les Français », relayant un tweet rappelant que « le PS a fait 1,78 % à la présidentielle, mais détient le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour des comptes ». Partagez-vous cette idée d’une mainmise idéologique de la gauche sur nos institutions ?
Je dirais plutôt que beaucoup d’institutions, à tous les échelons (régional, national, européen et mondial), à la faveur d’une longue période de paix et de prospérité, se sont progressivement imprégnées des thèses catastrophistes écologiques et que cela a eu pour conséquence d’introduire dans notre droit des dispositions qui rendent notre quotidien de plus en plus invivable. L’enfer administratif a été institutionnalisé et on pourrait même dire « constitutionnalisé ».
Il faut quand même réaliser que le Conseil Constitutionnel est compétent pour se positionner sur la réintroduction d’un pesticide… Manifestement, notre Constitution va très loin dans les détails… À ce stade, je crois qu’on ne peut plus réformer : il faut supprimer cette Constitution et dans le même temps tout ce qui lui est adossé (notamment la Charte de l’environnement) et écrire une VIe République. C’est la solution la plus simple. Sinon, il va falloir apprendre à vivre « anticonstitutionnellement ».
Dans la pétition réclamant l’abrogation de la loi « Duplomb », qui a recueilli 2,1 millions de signatures, on peut lire que les parlementaires voudraient « nous faire manger du poison » et que ce texte constituerait « un acte dangereux pour l’humanité tout entière ».  Sur les réseaux sociaux, la campagne s’accompagne d’images chocs, comme cette infographie affirmant que « le cancer vote à droite ». L’acétamipride est-elle réellement toxique ? 
Lorsque les écologistes affirment que l’acétamipride est nuisible pour la santé et l’environnement, et qu’ils prétendent s’appuyer sur la science, c’est trompeur : en l’état actuel des connaissances et en conditions normales d’utilisation, le produit ne semble pas produire d’effets indésirables pour la santé humaine, contrairement au tabac ou à l’alcool par exemple.
À l’inverse de ce que laisse entendre le discours public, ce produit n’est pas un « tueur d’abeilles ». De même, les accusations liant ce néonicotinoïde au cancer sont infondées : seules quelques expériences sur des rats ont évoqué une possible corrélation avec certains cancers, et uniquement après plusieurs semaines d’exposition à des doses élevées.
La loi prévoyait d’ailleurs la réintroduction de cette molécule dans un cadre strict. L’acétamipride reste, en outre, autorisé en usage agricole aux États-Unis, au Japon, au Canada, en Australie, sur les continents asiatique et sud-américain, ainsi que dans toute l’Union européenne, où son homologation a été prolongée jusqu’en 2033.
Il faut également rappeler que ce produit est toujours autorisé et largement utilisé dans les foyers, sous forme d’anti-blattes, d’anti-fourmis ou de sprays anti-puces pour animaux domestiques. En 2020, selon l’Anses, les ventes pour un usage domestique en France dépassaient celles destinées à l’agriculture, sans que cela n’ait jamais déclenché d’alerte majeure de la part des écologistes…
La réintroduction de l’acétamipride en agriculture repose donc sur une analyse coûts-bénéfices : en tenant compte de l’ensemble des impacts environnementaux, sociaux et économiques, les bénéfices apparaissent supérieurs aux coûts. Il s’agit donc d’une décision mesurée.
À la suite de la censure de la réintroduction de l’acétamipride, la Coordination rurale, en première ligne lors de la fronde paysanne de l’an dernier, envisage des actions de mobilisation. La FNSEA, syndicat concurrent, pourrait également faire partie du mouvement. De son côté, l’extrême gauche n’a cessé, tout au long du parcours législatif, de dénoncer « l’influence du lobby agricole ». Que cela vous inspire-t-il ?
Comme pour toute disposition législative, les lobbies s’organisent. La profession agricole, naturellement, est montée au créneau. Mais il faut rappeler qu’elle se retrouvait face au poids du lobby écologiste.
Ce qui est intéressant, c’est de constater quel lobby est en train de perdre les batailles. Depuis plusieurs mois, il s’agit clairement du lobby écologiste : il a accumulé beaucoup de défaites. La raison est simple : collectivement, nous ne pouvons supporter davantage de contraintes. L’organisme qui ne veut pas mourir produit des anticorps et favorise les lobbys qui semblent constituer pour lui une protection.
En 2024, le monde agricole, en proie à de vives difficultés, avait massivement exprimé sa colère aux quatre coins de la France, dénonçant notamment l’accumulation des normes et leurs lourdes conséquences financières. « Rien à péter de leur rentabilité », a récemment lancé Sandrine Rousseau, la députée écologiste connue pour avoir déclaré en 2021 qu’il vaudrait mieux accueillir en France les « potentiels terroristes » afghans afin de les « surveiller » plutôt que de les laisser dans leur pays. Les écologistes jouent-ils avec le feu ?
Les écologistes refusent de reconnaître les immenses progrès accomplis en soixante ans en matière d’environnement, y compris dans le domaine agricole. Pour eux, on ne va jamais assez loin. Je suis plutôt pessimiste : la chute de l’idéologie écologiste qui est à mon avis inévitable, risque de se faire dans la douleur, peut-être même, durant une courte période, « dans le sang et les larmes ».
Constater qu’un point aussi marginal — l’usage de l’un des derniers néonicotinoïdes autorisés dans l’UE, limité à moins de 2 % de la surface agricole utile et réservé à quelques cultures seulement — puisse déclencher un tel tumulte est stupéfiant.
A mes yeux, il existe aujourd’hui une guerre entre deux France. D’un côté, la France qui crée de la valeur et de la richesse : agriculteurs, industriels, entrepreneurs… Une France qui se voit de plus en plus entravée par des normes environnementales toujours plus contraignantes.
De l’autre, la France imprégnée d’écologisme qui vit des contraintes qu’elle impose à la première France. Il s’agit d’un cas de parasitisme : un organisme se nourrit en en affaiblissant un autre. Les ONG, les bureaux d’étude sur la biodiversité, les organismes certificateurs, les vendeurs de bilan carbone ou de panneaux solaires, les conseillers en agroécologie, et bon nombre d’administrations… vivent grâce à la règlementation existante ou trouvent leur raison d’être dans la production de nouvelles normes. L’écologie est un business florissant.
Aujourd’hui, le législateur semble avoir compris, pour le bien de l’économie et de notre capacité à créer des richesses, qu’il est nécessaire de desserrer l’étau parasitaire. Suite à la gronde des agriculteurs l’année dernière, à la contestation des ZFE ou du ZAN (Zéro Artificialisation Nette), les écologistes commencent à comprendre que la conjoncture leur est défavorable.
On parle beaucoup d’un risque de guerre civile sur les questions religieuses ou migratoires, mais on se demande si la guerre civile opposant ces deux France n’a pas déjà commencé.
De nombreux médias dits alternatifs se sont réjouis qu’une large partie de la presse relaye la rhétorique écologiste, affirmant sans précaution que l’acétamipride, peu importe la façon dont le produit est utilisé, serait nécessairement dangereux pour l’homme. France info, Le Monde, Libération, France 24… lors de la crise Covid, tous ces médias traditionnels se montraient pourtant beaucoup moins regardants lorsqu’il s’agissait d’affirmer que le confinement sauverait des millions de vies ou que la vaccination était l’unique solution. Comment expliquer ce deux poids, deux mesures dans le traitement médiatique de la loi Duplomb ?
Ces mêmes médias qui avaient alimenté la panique durant la crise du Covid surfent sur d’autres peurs profondes, ici celle du cancer. Le catastrophisme fait vendre, en particulier sur les questions de climat et de biodiversité.
L’histoire de l’écologie politique regorge d’annonces apocalyptiques démenties par les faits et le temps. Dans les années 1970, les médias relayaient les prédictions du Club de Rome annonçant la fin du pétrole et des matières premières pour l’an 2000. L’ONU prévoyait, à la même échéance, une crise mondiale de l’eau. Quant à « l’hystérie démographique » des années 1970-1980, elle annonçait que la moitié de l’humanité mourrait de faim…
Mais, je crois que la majorité d’entre nous n’est plus sensible à ces discours de peur.
Comme au temps du Covid, on constate que l’histoire du mouvement écologiste est jalonnée de prédictions et d’affirmations erronées, sinon mensongères. Comment expliquez-vous cette absence de remise en question ?
Il existe un aspect religieux dans l’écologisme contemporain. Il faut que la réalité se conforme à un dogme. Les pesticides doivent être dangereux pour l’humanité comme les évolutions climatiques doivent forcément entrainer des catastrophes.
Il est vital pour les écologistes de rester dans ce schéma car leur raison de vivre, leur reconnaissance sociale ou leurs revenus en dépendent. Ils ne peuvent remettre facilement en cause leurs présupposés car ceux-ci sont, pour eux, vitaux. Sortir d’un schéma de pensée particulier demande des efforts, du temps et de l’argent.
Seul un évènement extérieur peut les y contraindre. Aujourd’hui, cet évènement extérieur, c’est la contestation populaire issue du trop-plein de mesures écologistes qui trouvent de plus en plus de relai dans la classe politique et je dirais même dans la classe médiatique.

Comprendre l’incroyable écologie : Analyse d’un écolo-traître, Bertrand Alliot (Salvator), 20€.

 

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.