Choisir la bienveillance : « Une Larme pour une goutte d’eau »

Atteindre l'intérieur : ce que l’art traditionnel offre au cœur

Par Eric Bess
8 mars 2021 17:26 Mis à jour: 29 août 2021 02:24

Que sont les monstres ? Nous les considérons souvent comme des personnes, des créatures et des choses dangereusement différentes qui se dressent à la périphérie de nos vies.

Nous construisons des sociétés avec des normes, des règles et des lois pour améliorer nos moyens de subsistance et notre sécurité. Les monstres sont les choses qui défient et perturbent notre sentiment de sécurité et notre estime de soi. Nous pouvons en apprendre beaucoup sur nous-mêmes en fonction de notre réaction à ce type de perturbation.

Une scène dans Le Bossu de Notre-Dame de Victor Hugo présente plusieurs façons dont nous pouvons réagir aux monstres perçus dans nos vies.

Quasimodo et Esmeralda

La scène en question est celle où Quasimodo est puni pour avoir tenté d’enlever Esmeralda. Voici un résumé de la scène et de son histoire :

Un tortionnaire vient d’attacher Quasimodo au pilori sur une plateforme et de le battre. C’est sur cette même plateforme que Quasimodo, en raison de sa laideur, avait été désigné, un jour auparavant, « pape des fous » lors de la Feast of Fools (la fête des Fous ou fête des Innocents), une mascarade qui parodie la morale et le culte chrétien.

Quasimodo est la personnification d’un monstre, la personne la plus laide de Paris, une insulte au modèle de beauté du public. Il a des poils rouges à la place des cheveux, une grosse verrue sur un œil, une bosse entre les épaules, une saillie sur la poitrine et il est sourd parce qu’il dort à côté des cloches de Notre-Dame.

C’est le prêtre Claude Frollo, troublé et dangereux, qui a adopté Quasimodo lorsque le reste de la ville l’a abandonné. Quasimodo est devenu un esclave soumis à Frollo et a exécuté ses ordres même lorsque ces ordres causaient du tort à autrui.

C’est Frollo qui a ordonné à Quasimodo d’enlever Esmeralda, car Frollo était amoureux fou d’elle. Il pensait que le diable l’avait envoyée pour le tenter et il n’a pas pu résister. Esmeralda n’était pas intéressée à Frollo et a rejeté ses avances.

Frollo s’est approché de la plateforme pendant que le tortionnaire fouettait Quasimodo. Quasimodo était heureux de voir son maître et l’a appelé, mais comme Quasimodo n’avait pas réussi à enlever Esmeralda, Frollo a tourné le dos à cette pauvre créature.

Pour ajouter l’insulte à la blessure, la foule parisienne se moquait de Quasimodo battu. Quand Quasimodo a supplié pour qu’on lui donne de l’eau, la foule s’est moquée de sa soif. Mais Esmeralda, la femme qu’il avait attaquée, est montée sur la plateforme et lui a offert l’eau dont il avait désespérément besoin.

Quasimodo, tellement ému par sa gentillesse, en a presque oublié de boire. Face à ce moment de compassion, il en est tombé amoureux et a pensé à défendre son honneur. Finalement, le bourreau a libéré Quasimodo et la foule est partie.

Une Larme pour une goutte d’eau, 1903, par Luc-Olivier Merson. Huile sur toile, 1,95 m par 1,09 m. Maison de Victor Hugo (Domaine public)

La bienveillance d’Esmeralda

Une Larme pour une goutte d’eau, un tableau de Luc-Olivier Merson, illustre la scène du roman Le Bossu de Notre-Dame de Victor Hugo dans laquelle Esmeralda offre de l’eau à son agresseur, le Quasimodo battu.

En haut à droite de la composition se trouve Quasimodo, le sonneur de cloches déformé de la cathédrale Notre-Dame. Merson peint Quasimodo tel qu’il est décrit par Victor Hugo, avec une verrue sur l’œil et des poils rouges comme cheveux. Cependant, les vêtements modestes de Quasimodo et sa position contorsionnée obscurcissent sa bosse et sa saillie lorsqu’il se tourne vers Esmeralda.

Détail de Une Larme pour une goutte d’eau, 1903, par Luc-Olivier Merson. Huile sur toile. Maison de Victor Hugo (Domaine public)

La beauté d’Esmeralda contraste fortement avec la laideur de Quasimodo. Elle est couverte de bijoux et porte la robe élégante d’une danseuse gitane. Sa robe la distingue aussi de la foule et fait savoir au spectateur qu’elle est différente.

Djali, la chèvre de compagnie d’Esmeralda, à qui elle a enseigné des tours, l’accompagne sur la plateforme. Djali fait des tours pendant les spectacles gitans d’Esmeralda et représente son mode de vie bohème. Plus tard, Esmeralda sera exécutée sur cette même plateforme.

Le Quasimodo battu est attaché au pilori. Il se tourne vers Esmeralda avec un regard éperdu et reconnaissant alors qu’elle lui met sa gourde d’eau sur les lèvres.

Sous eux se trouve la foule animée qui se moque de Quasimodo. La foule encercle la plateforme où se trouvent Quasimodo et Esmeralda, nous faisant savoir qu’il s’agit d’une affaire publique d’humiliation.

Le choix de la compassion

Le peintre Merson nous présente deux façons dont les gens réagissent face au monstre Quasimodo. Comment ces deux réactions pourraient-elles nous éclairer moralement aujourd’hui ? Quelle sagesse pouvons-nous tirer du tableau de Merson ?

Tout d’abord, la foule se moque de Quasimodo parce qu’il est considéré comme un affreux monstre. Rien en ce qui concerne Quasimodo ne semble normal.

Je pense que ridiculiser et railler Quasimodo donne à la foule un faux sentiment d’estime de soi et de confiance en soi. Participer avec la foule permet même à la personne la plus laide et la plus stupide de se sentir normale par rapport à lui.

Faire ce que tout le monde fait, même si c’est mauvais, peut nous donner un sentiment d’appartenance. S’aligner avec la foule peut nous donner l’impression que nos insuffisances se dissipent. C’est là que réside le pouvoir, l’attrait de la foule.

Réagir au monstre de cette manière fait surgir le monstre qui est en nous. Nous pouvons être un monstre parmi tant d’autres qui font du mal aux autres pour se sentir en sécurité. Et, à mesure que nous devenons incapables de reconnaître la souffrance des autres, le monstre en nous grandit.

Ou bien nous pouvons prendre l’autre voie, qui est l’approche d’Esmeralda. Je pense que Merson décrit Esmeralda comme la personnification de la compassion. Est-ce pour cela qu’elle est si bien peinte par rapport aux autres ?

En tant que personnification de la compassion, Esmeralda est la plus belle et se distingue de tous les autres, car c’est la compassion, le trait qui donne à la scène sa force morale et qui fait défaut à la foule.

L’élégante robe bleue d’Esmeralda et ses parures ornées la distinguent des vêtements gris et marron de la foule. Ironiquement, la foule est habillée comme le monstre qu’elle réprimande. Merson suggère-t-il que la foule ressemble plus à un monstre qu’elle ne le pense ?

Esmeralda est non seulement habillée différemment de la foule, mais elle se comporte aussi différemment. La foule est chaotique et indisciplinée, alors qu’elle est calme, posée et semble attentionnée. Elle reconnaît la souffrance de son agresseur et choisit de l’aider.

Elle exerce sa liberté d’agir de façon moralement différente de la foule. Elle choisit d’être bienveillante.

Le contenu de notre caractère

Ce n’est pas parce que Quasimodo ressemble à un monstre qu’il en est un. Ce n’est pas l’apparence de sa forme qui détermine s’il est un monstre ou non, mais les traits de son caractère.

Les gens ont peut-être l’air normal, mais ils sont monstrueux parce qu’ils attaquent et blessent un être vivant pour se sentir bien dans leur peau. C’est le contraire de la compassion.

Cependant, Quasimodo en vient à aimer Esmeralda, la personnification de la compassion. Sa compassion a un tel impact sur lui qu’il va risquer sa vie pour défendre son honneur. Son nouvel amour pour la compassion fait de lui tout, sauf un monstre.

Il est intéressant de noter que Quasimodo et Esmeralda sont placés plus haut que la foule. Cela suggère-t-il qu’il existe des niveaux de moralité, que nous pouvons élever notre esprit si les traits de notre caractère s’alignent sur la compassion ?

Avons-nous le courage de résister et d’interroger la foule lorsque ses actions ne servent qu’à nuire ?

Sommes-nous prêts à affronter les monstres qui se cachent dans notre esprit pour que les traits de notre caractère soient tout sauf monstrueux ? Sommes-nous capables de modifier la vie des autres par des actes de bienveillance ? Sommes-nous prêts à aimer la bienveillance et à défendre son honneur ?

Les arts traditionnels contiennent souvent des représentations et des symboles spirituels dont la signification peut être perdue pour nos esprits modernes. Dans notre série « Atteindre l’intérieur : ce que l’art traditionnel offre au cœur », nous interprétons les arts visuels d’une manière qui peut être moralement perspicace pour nous aujourd’hui. Nous ne prétendons pas fournir des réponses absolues aux questions auxquelles les générations ont été confrontées, mais nous espérons que nos questions inspireront un voyage de réflexion dans le but de devenir des êtres humains plus authentiques, plus compatissants et plus courageux.

Eric Bess est artiste figuratif en exercice et candidat au doctorat à l’Institut d’études doctorales en arts visuels (IDSVA).

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