Comment l’architecture gothique a perdu son image prestigieuse

Par Michal Bleibtreu Neeman
19 novembre 2018 18:21 Mis à jour: 1 avril 2021 18:32

Si vous recherchez des bâtiments anciens que les sombres seigneurs et les loups garous sont tenus de fréquenter, ne manquez pas l’extraordinaire architecture gothique de la Grande-Bretagne. De Strawberry Hill à Londres avec ses couloirs sinueux et ses sommets éloquents, à ses abbayes en ruines et à ses cathédrales telles que St. Andrews et Jedburgh, la noirceur semble s’épanouir mieux que partout ailleurs dans ces lieux – un décors idéal pour une fête d’Halloween.

Ce que l’on ignore souvent, c’est que ce style a connu deux périodes distinctes de gloire, avec une longue période d’interruption entre les deux. Et ce n’est pas seulement à cause de leurs hautes flèches, de leurs couloirs sans fin et de leurs gargouilles que l’on a associé ces structures à des forces surnaturelles. Les histoires qui ont circulé au cours du temps ont participé à forger la sombre réputation qu’on leur connaît.

La façade ouest de la cathédrale de Salisbury.(CC BY-SA 4.0)

 

Le gothique était à son apogée dans la Grande-Bretagne médiévale et sous les Tudor. Des exemples célèbres incluent la cathédrale de Salisbury dans le sud de l’Angleterre, le château de Caernarfon au pays de Galles, le château de Melrose et le château de Brodie en Écosse. Le style était utilisé par les églises, les édifices de l’État et les universités, notamment Oxford et Cambridge. À cette époque ce n’était certainement pas associé à l’horrifique, mais plutôt aux dangers potentiels du péché et du purgatoire, ou aux rigueurs du monde universitaire.

Le gothique a perdu de sa réputation au 17e siècle et a été remplacé par le classicisme au style arrondi et rationalisé. Importé du continent et inspiré de la Grèce et de la Rome antiques, ce nouveau style a pris de l’importance dans les œuvres publiques et privées londoniennes telles que Banqueting House à Whitehall et Queen’s House à Greenwich.

Le classicisme a continué à se répandre au 18e siècle, tandis que le gothique était considéré comme barbare. Il a été délibérément lié aux Goths par des critiques favorables à l’architecture grecque et romaine. Parmi ces derniers se trouvaient les artistes de la Renaissance, comme Raphaël et Vasari, des intellectuels de l’époque des rois George tels que John Evelyn et des architectes comme Isaac Ware. (Ware introduira plus tard certains éléments gothiques dans son travail.) Ces illustres personnages ont souvent clamé que, lorsque les Goths ont envahi et saccagé Rome au e siècle, ils ont détruit l’architecture classique authentique et introduit à sa place un style grossier et arriéré, le gothique.

Dans la première moitié du XVIIIe siècle en particulier, quasiment tous les grands architectes ont promu le classicisme. En 1759 le ministre et écrivain écossais Alexander Gerard l’exprime ainsi:

La profusion d’ornements, conférés aux pièces, dans les structures gothiques, peut plaire à celui qui n’a pas acquis un élargissement d’esprit… où le raffinement manque, le goût doit être grossier et vulgaire.

Pire encore à cette époque, le gothique était associé aux catholiques. Le catholicisme dans les années 1700 était considéré avec suspicion et préoccupation, en partie grâce aux soulèvements jacobites. Tous deux étaient considérés comme une menace pour l’ordre hanovrien et l’ordre classique, sans compter que les grandes abbayes médiévales épargnées de la destruction pendant la Réforme avaient été mises au service de l’église protestante.

Porteurs de flambeau

Le gothique n’a cependant pas été totalement écarté. L’écrivain et historien Horace Walpole, le fils cadet du Premier ministre du Royaume-Uni, Sir Robert, en était passionné. En 1748, il réaménage Strawberry Hill, une petite maison caractéristique du XVIIe siècle, en un somptueux château gothique. Cette villa reste peut-être le plus important exemple du renouveau gothique du XIXe siècle.

 

Portrait de Horace Walpole, vers 1741, Rosalba Carriera (Domaine public)

 

Les choix de Walpole étaient fondés sur un amour pour l’architecture et la généalogie médiévales. Il a présenté son projet comme la réalisation du château de ses ancêtres, peignant leurs blasons sur les murs de l’arsenal de la maison, par exemple.

 

La maison de Horace Walpole à Twickenham, Strawberry Hill, peu après sa restauration en 2012. (CC BY-SA 3.0)

 

Les sombres associations gothiques ont entretemps trouvé un autre débouché sous son autre forme notable en Grande-Bretagne georgienne, le roman gothique. Horace Walpole était à nouveau un pionnier.

«Le château d’Otrante» (1764) parle d’inceste, de brutalité et de tromperie et s’inscrit dans ce que nous ne pouvons interpréter que comme une structure gothique. D’Ann Radcliffe à Bram Stoker, les auteurs de cette période ont également repéré des scènes terrifiantes et des rencontres horribles dans et autour de ces bâtiments.

La forme est devenue si populaire qu’une lettre anonyme publiée dans The Spirit of the Public Revue de 1797 proposait une «formule» satirique pour écrire un roman gothique. Il met en évidence la centralité des structures gothiques dans le genre:

Prenez – Un vieux château dont la moitié est en ruine.
Une longue galerie, avec beaucoup de portes, certaines secrètes. Trois cadavres assassinés, tout frais.
Autant de squelettes, dans les coffres.
Une vieille femme pendue par le cou; avec sa gorge tranchée.
Criminels et assassins autant qu’il en faut.
Des bruits, des chuchotements et des gémissements.

Le palais de Westminster à Londres, où se réunit le Parlement du Royaume-Uni, a été détruit par un incendie et reconstruit dans le style néo-gothique de 1840 à 1876. (Domaine public)

Le deuxième retour

Au XIXe siècle, le gothique fait son retour stylistique. Au milieu de la période georgienne, des antiquaires ont étudié les œuvres gothiques et les ont traitées comme faisant partie du patrimoine architectural britannique.

Au moment où le palais de Westminster a été presque complètement détruit par un incendie en 1834, la mode était déjà revenue. L’exigence pour la construction d’un nouveau bâtiment était que celui-ci devait être «gothique ou élisabéthain». Il devait préserver «ces vénérables et magnifiques vestiges de l’antiquité [gothique], le cloître et la chapelle de la crypte de St. Stephen».

Un partisan a soutenu:

Le gothique est éminemment anglais à tous égards… C’est l’architecture de notre histoire et de notre littérature. Nos rois ont tenu leur cour dans des structures gothiques.

Les opposants à ce retour, tels que le scientifique et penseur W.R. Hamilton, ont estimé que cette renaissance « pourrait bien nous renvoyer au Moyen Âge », mais ils ont été ignorés pendant les décennies qui ont suivi. Le renouveau gothique va de pair avec l’époque victorienne et sa fixation sur la mort et la religion. Nous pouvons encore voir cela dans les monuments érigés en l’honneur du Prince Albert à Londres et de Sir Walter Scott à Édimbourg, en Écosse.

Le Scott Monument à Edimbourg, en Écosse, en l’honneur de l’auteur écossais Sir Walter Scott. (CC BY-SA 3.0)

 

Lorsque le gothique est tombé en disgrâce une seconde fois à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, c’était à cause de l’usage de nouveaux matériaux tels que le verre et l’acier, et de nouvelles priorités telles que la fonctionnalité. Les suggestions barbares gothiques et « non-british » ont été laissées au passé. Les tourelles sinistres et les arcades gémissantes ont été reléguées à la fonction de décors pour des films de vampires, même si ces structures glorieuses garderont toujours une place de choix dans le patrimoine britannique.

Peter Lindfield est un chercheur à Manchester Metropolitan University, en Angleterre. Cet article a été publié à l’origine par The Conversation.

Version anglaise: How Gothic Architecture Lost Its Lofty Image

 

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