Crise politique au Sénégal: première contestation de grande ampleur, un manifestant tué

Par Vincent Solacroup
10 février 2024 11:25 Mis à jour: 10 février 2024 11:30

Le Sénégal s’enfonce dans la crise depuis le report de la présidentielle par le Président Macky Sall. Au cours de la répression des manifestations un étudiant a été tué.

« Coup d’État constitutionnel »

Le Président Macky Sall a décrété samedi dernier le report de 10 mois de la présidentielle initialement prévu le 25 février. Ce report a ouvert une grave crise politique au Sénégal et plongé le pays dans une période d’incertitude. Les Sénégalais ont largement partagé leur indignation sur les réseaux sociaux. L’opposition crie au « coup d’État constitutionnel ». Elle soupçonne une manigance pour éviter la défaite du candidat du camp présidentiel, voire pour maintenir le Président Sall à la tête du pays encore plusieurs années. Un collectif de 14 candidats de l’opposition a déposé dans l’après-midi un recours devant la Cour suprême.

La première contestation d’ampleur

Les tentatives de manifestations depuis l’annonce du report ont été réprimées et des dizaines de personnes interpellées. Des dizaines de personnes ont été tuées et des centaines arrêtées depuis 2021 lors de différents épisodes de contestation.

Cette mobilisation sur tout le territoire sénégalais est la première contestation d’ampleur. Des manifestations ont eu lieu vendredi à Dakar ainsi que  dans plusieurs villes du pays, notamment à Saint-Louis, dans le nord du Sénégal, où un étudiant en deuxième année de licence de géographie, Alpha Yoro Tounkara, a été tué.

« Il était non seulement un brillant étudiant, mais aussi un camarade aimé et respecté. Sa présence chaleureuse et son enthousiasme contagieux manqueront à tous ceux qui ont eu la chance de le connaître », écrit Cheikh Ahmadou Bamba Diouf, président du club de géographie de l’université Gaston Berger, où le jeune homme étudiait. Sa mort a été confirmée à l’AFP par un employé de l’hôpital régional. Aucun bilan n’a pour l’heure été communiqué par les autorités.

À Dakar, la police a fait un usage abondant de gaz lacrymogènes pour disperser les centaines de personnes qui cherchaient à se rassembler aux abords de la place de la Nation au cours d’une journée test sur le rapport de force entre le pouvoir, la société civile et l’opposition.

Un manifestant jette des pierres lors d’affrontements avec la police en marge d’une manifestation contre le report à la dernière minute des élections présidentielles à Dakar, le 9 février 2024. (Photo GUY PETERSON/AFP via Getty Images)

Dans la capitale, l’autoroute et des axes importants ont été bloqués. Tous les accès à la place de la Nation ont été fermés par les autorités. Des manifestants ont riposté en lançant des pierres et en érigeant des barricades avec des objets de fortune – des planches et des pierres – et en incendiant des pneus.

Reporters sans Frontières s’est « indigné » dans un message sur X du ciblage d’au moins cinq journalistes par les policiers lors des manifestations à Dakar. Une journaliste du site Seneweb a été brutalement interpellée et a été hospitalisée suite à un malaise, selon l’ONG. Un autre journaliste du journal Enquête a été frappé à la mâchoire, et des gaz lacrymogènes ont notamment visé le siège de la télévision privée Walf TV, dont la licence a récemment été retirée par les autorités.

« Les Sénégalais doivent s’indigner, et plus seulement sur les réseaux sociaux », a déclaré à l’AFP l’un des candidats à la présidentielle, Thierno Alassane Sall.

« Personne n’a le droit de regarder la société en train d’être détruite »

Dans la commune de Nioro du Rip, à quelque 250 km à l’est de Dakar, une manifestation d’environ 200 personnes a également été dispersée par la police, a constaté un journaliste de l’AFP.

À la mosquée Masjidounnour de Dakar, pour la grande prière musulmane du vendredi, l’imam Ahmed Dame Ndiaye s’est insurgé contre la situation politique. « Même le président peut faire des erreurs et dans ce cas c’est à nous de lui dire la vérité », a-t-il estimé, ajoutant que « personne n’a le droit de regarder la société en train d’être détruite ».

Dans la matinée, les professeurs ont donné le ton avec des débrayages dans les écoles. Au lycée Blaise Diagne de Dakar, des centaines d’étudiants ont quitté leurs cours à 10h, à l’instar de Seynabou Ba, 18 ans, qui dit « ne plus avoir d’espoir » pour la démocratie dans son pays. « C’est juste le début d’un combat. Si le gouvernement s’entête, nous serons obligés de mener d’autres actions », a déclaré Assane Sene, un professeur d’histoire-géographie syndiqué de cet établissement.

Des manifestants crient des slogans et ramassent des barils et des tables à brûler lors d’affrontements avec la police. (Photo GUY PETERSON/AFP via Getty Images)

Le collectif Aar Sunu Election (« Protégeons notre élection »), qui prévoit une autre manifestation mardi a insisté sur sa volonté de protester pacifiquement. Une douzaine de candidats opposés au changement de calendrier, sur les 20 retenus par le Conseil constitutionnel, ont exprimé leur souhait d’une convergence avec la société civile.

Le président Sall a décrété samedi dernier le report de la présidentielle, trois semaines seulement avant l’échéance, en pleine bagarre politique sur les candidatures retenues ou écartées pour le scrutin. L’Assemblée nationale a approuvé lundi un ajournement au 15 décembre, avec les voix du camp présidentiel et des partisans d’un candidat recalé et sous la protection des gendarmes.

Elle a aussi voté le maintien de M. Sall au pouvoir jusqu’à la prise de fonctions de son successeur, vraisemblablement début 2025. Le deuxième mandat de M. Sall expirait officiellement le 2 avril. Après avoir entretenu le doute pendant des mois, il a répété à différentes reprises, et encore mercredi soir, l’engagement pris en 2023 de ne pas se représenter.

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