Déserts médicaux : la contrainte à l’installation, un casus belli pour les médecins libéraux

Par Germain de Lupiac
8 mai 2025 16:20 Mis à jour: 8 mai 2025 18:35

Partout sur le territoire, les Français ont de plus en plus de mal à accéder aux soins de premier recours, à savoir ceux prodigués par les médecins généralistes, les spécialistes en accès direct, les pharmaciens, infirmiers, dentistes, kinésithérapeutes, orthophonistes ou psychologues, souligne un rapport de la Cour des Comptes de 2024.

Les difficultés actuelles d’accès aux soins sont liées pour partie au numerus clausus, une politique de quota dans la formation de médecins lancée dans les années 1970 qui a connu son pic en 1993, quand la France n’avait plus que 3500 étudiants en 2e année de médecine dans ses facultés. Le quota a été desserré progressivement à la fin des années 1990, puis supprimé à l’initiative d’Emmanuel Macron, afin de pouvoir former plus de médecins sur le territoire. Mais cette suppression n’a pas eu les effets désirés, les jeunes médecins restant dans les grandes villes et délaissant le reste du territoire.

Selon le baromètre IPSOS 2024 de la Fédération hospitalière de France (FHF), « le temps d’accès aux services de soins a augmenté de manière significative en cinq ans ». La différence est la plus marquante lorsque l’étude compare les trajets réels en zone rurale et en milieu urbain. Un habitant des villes se rend chez l’ORL en 33 minutes, un rural roule 57 minutes pour consulter.

Dans une enquête d’avril 2024, la Fondation Jean Jaurès a cartographié cette distance aux praticiens. Elle est plus marquée « dans la ‘diagonale du vide’, cet espace d’une largeur d’environ 200 kilomètres glissant de la Meuse à la Creuse, qui se poursuit de façon plus diffuse jusqu’aux Pyrénées », constate l’étude.

La lutte contre les déserts médicaux fait partie des priorités du Premier ministre, qui s’est fait coiffer au poteau par une proposition transpartisane à l’Assemblée voulant rendre obligatoire la répartition des médecins sur tout le territoire, ce qui a de quoi refroidir la vocation de la profession.

La réalité des déserts médicaux

L’accessibilité « aux médecins généralistes se dégrade entre 2022 et 2023 », en raison de « la baisse du nombre » des praticiens libéraux conjuguée à « la croissance de la population », a noté fin 2024 la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees).

Les déserts médicaux sont cartographiés, avec une mention spéciale à la région Centre-Val de Loire. C’est la densité médicale la plus faible (263,8 médecins pour 100.000 habitants) relevée en mars par le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). Le département d’Eure-et-Loir y est ainsi passé de 117,3 médecins généralistes pour 100.000 habitants en 2010 à 69,8 en 2025.

C’est en Centre-Val de Loire qu’on trouve le plus de personnes sans médecin traitant : 16 % selon l’UFC-Que Choisir fin 2024, 25 % selon la région la semaine passée. Conséquence de la désertification médicale : au niveau national, en 2024, 35 % des sondés par l’UFC-Que Choisir ont « renoncé à des soins faute de rendez-vous », contre 27 % en 2023.

Les kilomètres à parcourir pour une consultation dessinent une frontière, entre ceux qui peuvent se déplacer, en ont les moyens, et les autres. L’étude de l’UFC-Que Choisir montre en outre que plus de 80 % des sondés en régions Grand Est et en Pays de la Loire « ont attendu plus d’un mois pour un rendez-vous chez un spécialiste ».

Face à ces problèmes, 86 %  des Français interrogés par la Fédération hospitalière de France prônent une « répartition plus équitable des médecins sur le territoire, quitte à leur imposer leur lieu d’exercice les premières années ». Même écho pour l’UFC-Que Choisir, avec 93 % des sondés « favorables à un encadrement de l’installation ».

Le plan de François Bayrou contre les déserts médicaux

Comment lutter contre les déserts médicaux ? Le gouvernement a dévoilé un plan fin avril, avec au cœur du débat la brûlante question de la liberté d’installation des médecins.

L’accessibilité « aux médecins généralistes se dégrade entre 2022 et 2023 », en raison de « la baisse du nombre » des praticiens libéraux conjuguée à « la croissance de la population », a noté fin 2024 la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees).

Le 1er avril, devant le Conseil économique, social et environnemental, M. Bayrou s’était montré favorable à une « régulation » de l’installation des médecins pour lutter contre les déserts médicaux.

Le gouvernement voulait imposer jusqu’à deux jours par mois de temps de consultation aux médecins dans les zones prioritaires du territoire, mesure phare d’un plan de lutte contre les déserts médicaux, a communiqué une source gouvernementale.

Ce « principe de solidarité » du corps médical était présenté par l’exécutif comme une alternative à la « fin de la liberté d’installation » des médecins, mesure induite dans une proposition de loi transpartisane dont l’article phare a été adopté contre l’avis du gouvernement début avril par l’Assemblée nationale, avant son adoption début mai.

Une proposition de loi transpartisane plus sévère

François Bayrou entendait adresser « un message de confiance à l’ensemble de soignants ». « L’idée est de ne pas privilégier les solutions de contrainte à l’installation », avait-on expliqué de même source gouvernementale.

Mais le 7 mai, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture un texte pour réguler l’installation des médecins afin de lutter contre les « déserts médicaux », porté par un groupe transpartisan de plus de 250 députés, contre l’avis du gouvernement et de nombreux médecins, quand le gouvernement Barnier préconisait également un engagement volontaire.

Ce groupe, allant de LFI à près d’un tiers du groupe LR, a été lancé en 2022 par le député socialiste Guillaume Garot avec pour mot d’ordre « lorsque les déserts médicaux avancent, c’est la République qui recule ».

Ce texte n’en reste pas moins inflammable pour la profession. Avant de s’installer, les médecins libéraux ou salariés devraient solliciter l’aval de l’Agence régionale de santé. Le médecin serait de droit dans une zone manquant de soignants, mais dans les territoires mieux pourvus, il ne pourrait s’installer que lorsqu’un autre s’en va.

La fronde des médecins libéraux, étudiants et internes en médecine

« Ce n’est pas la liberté d’installation qui met en péril l’accès aux soins » mais « la pénurie structurelle de médecins [et le] manque d’attractivité du secteur libéral », selon un communiqué du syndicat Jeunes Médecins, publié le 5 mai.

Le ministre de la Santé et ancien cardiologue Yannick Neuder (LR), tout en saluant le travail du groupe transpartisan après le vote, a rappelé sa position contre la mesure. « Si j’avais pensé que c’était le bon traitement, le bon remède à la situation, je l’aurais soutenu », a-t-il déclaré dans l’hémicycle.

Son gouvernement avec son plan anti-déserts médicaux propose, lui, de former davantage de soignants et considère qu’il faut plutôt supprimer le numerus clausus.

« Il ne faut pas que ce soit l’idée de contrainte, d’obligation », déplore aussi Agnès Giannotti, présidente de la Fédération française des médecins généralistes (MG France), majoritaire chez les libéraux.

Le fond fait aussi tiquer. « On est un peu surpris parce que c’est toujours raisonner comme s’il y avait beaucoup de médecins et qu’ils n’étaient pas installés là où il faut. Mais, en fait, il n’y a pas assez de médecins », tance Patricia Lefébure, présidente de la Fédération des médecins de France (FMF).

Le plan Bayrou est « très faible », juge pour sa part Philippe Cuq, coprésident de l’Union Avenir Spé Le Bloc (syndicat des spécialités médicales et médico-chirurgicales). Pour lui, le spectre d’analyse doit être plus large : « En plein milieu de la Lozère, il y a 2000 personnes. Certes, il faut un médecin, mais il n’y a pas de Poste, il n’y a pas de boulanger, il n’y a rien. Vous comprenez ce que je veux dire ? »

Agnès Giannotti se montre aussi préoccupée par l’aspect logistique, « dans la réalisation des choses, parce qu’on ne va pas aller faire ça au bar PMU du coin ». « Donc il faut un lieu adapté et des conditions adaptées », insiste la présidente de MG France.

Il faut que les « collectivités territoriales, les communes, puissent mettre à disposition un local, où on puisse effectuer une consultation, un accueil, un secrétariat, et puis le minimum : une chaise, un bureau, un ordinateur, un accès Internet, une table d’examen médical, voilà, on ne demande pas la lune », précise Franck Devulder, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF).

Le Sénat pourrait temporiser

Adopté à l’Assemblée, le texte doit poursuivre sa navette au Sénat en trouvant de la place dans le calendrier, probablement à partir de l’automne.

Le Sénat doit également étudier sa propre proposition de loi contre les pénuries de médecins dans les territoires, qui partage la même philosophie que l’exécutif. Il rechigne à opter pour une régulation coercitive et propose que dans les zones les mieux pourvues en praticiens, l’installation des généralistes serait conditionnée à leur exercice en parallèle à temps partiel dans une zone en déficit de soignants.

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