Emmanuel Macron «s’est jeté lui-même dans le piège chinois», analyse un spécialiste de la Chine

Par Laïla Hachimi et Laetitia Rodrigues
12 avril 2023 16:03 Mis à jour: 12 avril 2023 17:40

Pierre-Antoine Donnet, ancien rédacteur en chef central de l’Agence France-Presse, est un spécialiste de l’Asie. Il est actuellement journaliste pour le site d’information et d’analyse Asialyst. Il a également écrit une quinzaine de livres sur la Chine dont Chine le grand prédateur (éditions de l’Aube, août 2021) et il a participé à l’ouvrage collectif Le dossier chinois, portrait d’un pays au bord de l’abîme (éditions du Cherche-Midi, octobre 2022). 

Au lendemain de la visite du président Emmanuel Macron dans l’empire du milieu et alors que les propos qu’il a tenus à la fin de sa visite sur le sujet brûlant de Taïwan ont secoué les deux côtés de l’Atlantique, nous avons interrogé Pierre-Antoine Donnet sur le bilan à tirer de cette visite.

Epoch Times : Pourquoi le président français a-t-il choisi ce moment précis, la semaine dernière, pour se rendre en Chine ?

Pierre-Antoine Donnet: Il faut d’abord situer le contexte. Depuis son arrivée à l’Élysée, le président Emmanuel Macron a toujours eu pour ambition de visiter la Chine de façon régulière. Il n’avait pas pu le faire depuis le début de la pandémie, c’est-à-dire depuis fin 2019 pour des raisons évidentes. Et ensuite, il avait donc planifié cette visite qui a eu lieu la semaine dernière. Ce programme avait été déjà mis au point il y a un certain temps. Quand le chancelier allemand Schultz est allé à Pékin bien avant lui, déjà, des questions s’étaient posées : pourquoi aller à Pékin dans la situation actuelle ? Il y est allé. À sa suite, il y a également eu le Premier ministre espagnol.

Et donc là, c’était au tour d’Emmanuel Macron. Alors, il y allait avec pour ambition prioritaire d’arriver à convaincre son homologue chinois Xi Jinping, de faire usage de ses liens privilégiés avec Vladimir Poutine —les deux se traitent depuis maintenant bien longtemps comme les meilleurs amis du monde— pour arriver à le convaincre de mettre fin à cette guerre d’agression horrible en Ukraine qui a démarré l’an dernier, le 24 février. Ça, c’était vraiment la priorité numéro un. Il y avait d’autres aspects, évidemment, comme à chaque visite présidentielle a fortiori, dans une visite d’État comme c’était le cas, il y avait aussi des objectifs commerciaux.

S’agissant de cette priorité d’essayer de convaincre Xi Jinping de se mobiliser pour faire en sorte que Poutine accepte l’idée de mettre fin à la guerre, je dois dire que le résultat est pratiquement zéro dans la mesure où il n’y a eu aucun engagement précis côté chinois. Et des phrases, ma foi, qui n’engagent à rien, qui avaient déjà été maintes fois exprimées à Pékin sur le fait que la Chine a pour objectif la paix dans le monde, vraiment une litanie de de litotes bien connues dans le narratif officiel du Parti communiste chinois. Il n’est pas allé au-delà. Et si vous voulez, on a vu une mise en scène et je dirais en fait des images d’un président français qui était tout sourire, qui, au sortir du premier entretien, le lendemain de son arrivée, avec Xi Jinping, s’est adressé à la presse. Ce n’était pas une conférence de presse, il n’y avait pas de questions. Et en compagnie de Xi Jinping, le voilà qui, tout sourire, se tourne régulièrement vers Xi Jinping en disant : «Je sais pouvoir compter sur vous».

Déjà de dire : «Je sais pouvoir compter sur vous», pour moi, c’était un peu péremptoire parce qu’à vrai dire, l’agenda de Xi Jinping n’est pas du tout celui du président français Macron. Il ne l’a pas été, il ne l’est pas aujourd’hui, il ne le sera pas demain. Alors pourquoi dire comme ça : «Je sais». Je trouve que c’est un peu hasardeux de la part d’un président de la République française. Ensuite, Xi Jinping a pris la parole, et alors là, il a une gestuelle complètement différente, parce que, non seulement il n’a pas eu un seul regard vers Emmanuel Macron, mais il avait une stature un peu impériale, comme c’est souvent le cas chez lui, pour essayer de symboliser la toute puissance de la Chine aujourd’hui.

Une toute puissance dont il faut bien sûr modérer le propos parce que cette Chine communiste aujourd’hui fait face à une multitude de défis très graves, que ce soit sur le plan économique, démographique ou même social. Et puis aussi diplomatique parce qu’en face de la Chine, au fur et à mesure des mois et des années qui passent, on voit bien une coalition qui est en train de se dessiner et de se fortifier jour après jour, entre bien sûr les États-Unis —cela, ce n’est pas vraiment nouveau— mais à ses côtés, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et même un peu la Nouvelle-Zélande, qui ont décidé de faire front.

Alors, cet intermède terminé, on l’a vu ensuite accompagné de la présidente de la Commission européenne, Madame von der Leyen, qui, elle, avait déjà eu, avant de partir, un discours d’une fermeté totale vis-à-vis de la Chine. Elle avait notamment déclaré officiellement devant les caméras que nous, les Européens, nous voyons très bien le dessein de la Chine qui est de redessiner un ordre mondial nouveau dont elle serait le centre. Donc elle est partie là-bas sans aucune illusion. On voyait déjà une sorte de dichotomie entre un discours de fermeté de celle qui est quand même la présidente de la Commission européenne, et puis un discours accommodant du président Macron.

La partie la plus contestable des propos d’Emmanuel Macron est venue tout à la fin de son séjour, quand il était à Canton où il a été vu devant les caméras en train de boire le thé de façon très détendue avec Xi Jinping dans une résidence de grand luxe entourée d’un espace un peu idyllique et où, du côté chinois, on voulait bien montrer qu’il y avait d’abord la volonté d’accueillir le président Macron avec tous les honneurs dus à son rang et surtout d’une visite d’État, mais aussi ce qui n’était pas dit, et ça, on l’a vu après, le dessein de Pékin, du Parti communiste qui n’est pas nouveau. Il est d’une part de semer la division entre les pays européens dans leur politique à l’égard de la Chine. Et puis, un autre dessein non avoué mais très clair, c’est de semer la zizanie entre l’Union européenne et les États Unis.

Encore une fois, Madame von der Leyen ne s’était pas trompée. Mais à la suite de ces prises de vues, Macron a pris son avion présidentiel. Il a quitté Canton et à peu près au même instant, la Chine s’embarquait dans une série non pas de manœuvres, mais d’exercices militaires pour démontrer qu’elle avait la capacité d’entourer la totalité du territoire taïwanais. Et ça, elle l’a à peu près montré. Mais aussi, dans son avion présidentiel, le même Emmanuel Macron a fait quelques déclarations assez stupéfiantes et qui, vraiment, ont laissé des traces aussi bien au sein de l’Union européenne que chez ceux, pourtant, qu’il nomme ses alliés, dont tout particulièrement les États-Unis, quand il a déclaré que l’Union européenne n’a aucun intérêt à prendre part à ces tensions entre les États-Unis et la Chine, en particulier sur Taïwan, dont elle doit rester à l’écart.

Il a de nouveau répété son grand dessein, qui est une troisième voie où l’Union européenne affirmerait son indépendance et sa puissance. Jusqu’à dire que —et là, c’était quand même une critique assez ouverte des États-Unis— que l’Union européenne courait le risque de devenir un vassal des États-Unis. Il l’a dit comme cela de façon explicite. Et ces propos ont considérablement choqué. Ils ont choqué en France, bien sûr, parce qu’il y a eu toute une série de réactions stupéfaites et même parfois qui marquent un grand désarroi, sinon même une colère face à des propos qui sont pour le moins aventureux, hasardeux. Parce qu’autant il n’y a pas eu de critique de la Chine dans ses propos, à aucun moment, autant là il désignait les États-Unis comme étant en quelque sorte, pas un adversaire mais en tout cas une puissance dont il fallait vraiment se méfier pour ne pas devenir son vassal. Puis, les réactions ont continué à l’étranger.

Aux États-Unis, l’administration Biden est très prudente pour le moment. Donc, le chef de la commission de la sécurité nationale, M. Kirby, n’a rien dit de vraiment critique. Mais en revanche, un certain nombre d’élus du Congrès américain ne se sont pas privés de trouver ces propos pour le moins arrogants dans la mesure où critiquer les États-Unis, c’est bien beau, mais les États-Unis ont accordé à l’Ukraine une aide militaire qui est de l’ordre de 37 milliards de dollars. Et sans cette aide militaire, aujourd’hui, l’Ukraine serait russe. C’est comme ça. Je veux dire, c’est un élément factuel avéré. Donc pour le moins, il y a un manque de gratitude évident. Ensuite, je pense que ces propos-là sont également de nature à conforter tous ceux qui, aux États-Unis, au Japon, en Corée du Sud, en Australie depuis déjà très longtemps, se méfient de la France en disant : ce pays se dit un allié, mais il n’est pas digne de confiance.

Doit-on en conclure qu’Emmanuel Macron est en train de tomber dans un piège du PCC ?

Là je crois que c’est caractérisé, il s’est jeté lui-même dans le piège chinois, vraiment. Il aurait dû quand même comprendre, avant de partir, toutes les manœuvres qui allaient avoir lieu. Bon, il s’est trouvé piégé, voilà. Alors aujourd’hui, ce qu’on voit aujourd’hui même, on voit un effort de l’Élysée d’essayer de limiter les dégâts. C’est-à-dire qu’il y a une communication qui est organisée auprès d’un certain nombre de parlementaires par exemple, et d’autres personnalités politiques pour essayer de faire en sorte de corriger le tir. Mais les dégâts sont là et malheureusement, ces dégâts sont, pour ma part, en partie irréversibles.

Comment expliquer cette volonté d’Emmanuel Macron de faire cavalier seul ?

J’y vois, moi, une grande erreur. Ça, c’est tout à fait patent. Une erreur tactique, mais plus grave, une erreur stratégique parce qu’il s’est posé, lui, en personnalité qui parle au nom de l’Union européenne. Il n’avait pas le droit de le faire. Ce n’est pas à lui de définir ce que sera la politique européenne à l’égard de la Chine, loin de là. C’est aux 27 pays membres de l’Union européenne de définir ensemble quelle sera cette politique. Je trouve chez le président Macron une tendance à jouer cavalier seul. Et même au final, on voit bien qu’il n’a écouté personne, qu’il a pris sa décision finalement lui-même tout seul, et qu’il s’est engagé dans une voie sans issue.

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’exprime lors d’une conférence de presse après une réunion avec Xi Jinping et Emmanuel Macron, à la délégation de l’UE en Chine à Pékin, le 6 avril 2023. (Photo : JADE GAO/AFP via Getty Images)

Cette position d’Emmanuel Macron est de plus en plus claire et elle inquiète sûrement de nombreux Français qui sont épris de liberté et qui sont opposés au contrôle social. Quand on sait ce qui se passe en Chine, quel danger ce positionnement pourrait représenter pour la France?

Une chose est très claire. Un : là, vraiment, les dernières décennies le prouvent, le Parti communiste chinois respecte les forts et méprise les faibles. Ça, c’est le premier des constats. Le deuxième : refuser de s’engager sur le dossier de Taïwan, c’est en quelque sorte donner un blanc seing à ce que pourra faire la Chine vis à vis de Taïwan, c’est à dire lui ouvrir les portes en disant : «Rassurez vous, vous ferez ce que vous voudrez, nous mêmes, on ne fera rien». Il n’y a rien de plus dommageable parce qu’encore une fois, il parle au nom de l’Union européenne, alors que c’est en son nom, en son nom propre, qu’il va le dire. Et même en son nom propre, il engage l’image de la France sur un sujet qui est quand même un des sujets centraux aujourd’hui de la géopolitique du monde. Donc la portée de ses propos est extrêmement grave. Et si vous voulez donner un blanc seing à la Chine à l’égard de Taïwan, c’est redoutable parce que finalement, c’est lui donner crédit de faire ce qu’elle veut avec l’espoir complètement désavoué, de convaincre Xi Jinping de parler à Poutine pour cesser la guerre en Ukraine. Là aussi, il n’est arrivé à rien. Donc le bilan de cette visite, pour moi, est à 95 % négatif.

Propos recueillis par Laetitia Rodrigues, NTD

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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