« En direct des espèces » : les libellules géantes du Paléozoïque sont-elles encore parmi nous ?

29 août 2018 18:37 Mis à jour: 30 août 2018 05:19

Nous poursuivons avec cet article une collaboration avec les chercheurs de l’ISYEB (Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité, Muséum national d’Histoire naturelle, Sorbonne Universités). Ils proposent une chronique scientifique de la biodiversité : « En direct des espèces ». Objectif : comprendre l’intérêt de décrire de nouvelles espèces et de cataloguer le vivant.

Des insectes longs comme un bras humain ? Rassurez-vous il ne s’agit pas d’une nouvelle invasion venue d’ailleurs mais d’un retour dans le passé, en pleine Ère primaire : le temps des insectes géants. Le peuple des insectes qui y vivait alors devait être terrorisé par les libellules géantes du Carbonifère et du Permien, véritables équivalents, pour ces époques, d’un T_rex ailé ! Petit voyage dans le temps à la recherche des insectes, déjà acteurs majeurs des écosystèmes.

Meganeura monyi, star des collections du Muséum

La photo en ouverture de cet article est une reconstitution en 3D grandeur nature d’un spécimen unique au monde : Meganeura monyi, une libellule géante qui vivait il y a 300 millions d’années dans les immenses forêts équatoriales recouvrant, à l’époque, le centre de la France. Elle mesurait presque 40 cm de long et atteignait 70 cm d’envergure. C’est l’un des plus grands insectes connus. Afin de mieux représenter ces fossiles emblématiques, la Galerie de Paléontologie du MNHN va bientôt présenter Meganeura monyi en 3D, associée à son fossile.

Au Carbonifère (de -360 à -299 millions d’années, ou Ma), d’autres insectes étaient aussi de très grande taille : des blattes (Dictyoptères) et des Paléodictyoptères, un ordre aujourd’hui éteint. Comment expliquer ce gigantisme ? On a pointé la teneur élevée de l’oxygène de l’air (le double de la teneur actuelle, soit près de 40 %) pendant l’Ère primaire, ce qui aurait favorisé la physiologie du vol, mais on souligne aujourd’hui le rôle de facteurs écologiques liés à l’absence de prédateurs volants qui expliqueraient ces tailles importantes. Une combinaison des deux phénomènes pourrait être envisagée.

Pendant plusieurs millions d’années, au Carbonifère, d’importantes quantités de débris végétaux se sont accumulées dans de faibles profondeurs d’eau. Leur enfouissement à l’abri de l’air avec les sédiments qui les contenaient a participé à la formation de couches de charbons très fossilifères. C’est dans ce matériau que l’on a découvert Meganeura. Cette libellule venue du fond des temps est l’emblème de Commentry, dans l’Allier, l’ancienne ville minière où elle a été trouvée à la fin du XIXe siècle. Le fossile a été décrit et nommé par Charles Brongniart en 1885. Elle est restée longtemps emblématique des insectes géants de l’Ère primaire en étant le plus grand insecte connu jusqu’à la découverte de Meganeuridae du Permien américain au milieu du XXe siècle, qui ne sont plus grands que de quelques centimètres.

Des libellules, « faucons » du Paléozoïque

En ré-étudiant l’un des fossiles des collections du Muséum, nous nous sommes aperçus que nous pouvions aller plus loin dans l’interprétation de la morphologie des ces organismes. Cette recherche a été publiée dans la revue « Nature Scientific Reports » le 14 août 2018.

Fossile de Meganeurites gracilipes. (MNHM, Author provided)

En effet en comparant avec la morphologie des libellules actuelles, qui sépare deux grands types de libellules, celles qui chassent à poste (perchées) et celles qui chassent en vol (comme des faucons), nous pouvons attribuer ce fossile à la catégorie des chasseurs en vol. En effet des yeux de grande taille et jointifs, avec une vision à près de 360°, une vision vers le haut et le bas, des pattes solides et épineuses pour se saisir des proies, sont les caractéristiques des libellules « faucons » (hawker).

Tête de la libellule Gynacantha sp. (Guyane), un exemple de libellule « faucon »
R. Garrouste. (Author provided)

Ces insectes géants de plus de 300 Ma devaient donc être de redoutables chasseurs dans le ciel du paléozoïque où ils étaient les plus grands prédateurs jusqu’à la fin du Permien, quand les premiers reptiles planeurs ou volateurs sont apparus. Cette observation complète notre vision des écosystèmes de cette période où la conquête de l’espace aérien a permis à des lignées évolutives importantes de se mettre en place. La grande crise Permien-Trias (vers 255 Ma), majeure pour toute la biodiversité, à vu la disparition de ces grandes libellules et des autres insectes et arthropodes géants qui peuplaient les écosystèmes terrestres et aquatiques pendant l’Ère primaire.

Des insectes XXL

La question qui demeure concerne l’existence possible d’insectes géants de nos jours. Certains subsistent toujours, tous dans les régions tropicales : des coléoptères de plus de 18 cm de long, des papillons de 20 cm d’envergure, et des phasmes (en forme de grosse brindille) de 50 cm de long. Mais, malgré ces grandes tailles, y compris du corps, aucun ne possède une envergure ou une taille corporelle semblable aux plus grands insectes du Paléozoïque. La plus grande libellule actuelle ne dépasse pas 20 cm d’envergure avec un corps filiforme.

Ce gigantisme constaté par les paléontologues a longtemps occulté l’existence de plus petits insectes aux périodes anciennes. Peut-être même, on s’est empêché de les chercher… Parce que l’on croyait qu’il n’existait pas ! Ce n’est que récemment que notre équipe a mis en évidence ces petits insectes. Cela est venu modifier la vision peut-être un peu simplifiée que nous avions des écosystèmes de cette période. Écosystèmes qui vont très rapidement se diversifier dès la fin de l’Ère primaire et qui vont voir l’explosion des insectes, surtout avec l’arrivée des « plantes à fleurs » pendant le Mesozoîque (ou Ère secondaire). Pas d’inquiétude, donc, les insectes géants ne sont plus parmi nous ! Mais est-ce vraiment la taille qui compte ?

Romain Garrouste, Chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205 MNHN-CNRS-UPMC-EPHE), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités et André Nel, Professeur au MNHN, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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