En pleine crise de l’immobilier, Bruno Le Maire renonce à assouplir les règles d’octroi de crédit

Par Michel Pham
27 septembre 2023 20:46 Mis à jour: 27 septembre 2023 20:46

C’est officiel. Le Haut conseil de stabilité financière (HCSF) et son président Bruno Le Maire ont décidé de ne pas ajuster les conditions actuelles de crédit immobilier. Une décision qui déçoit les acteurs de l’immobilier notamment les courtiers. Beaucoup d’entre eux évoquent avec inquiétude une crise de l’immobilier.

L’immobilier est-il en crise ? Pour Philippe Trainar, professeur au Conservatoire des arts et métiers (CNAM) et membre du Cercle des économistes, « nous ne sommes (…) qu’au début de la crise immobilière », « dont l’ampleur pourrait dépasser celle de la fin des années 1980 et du début des années 1990 ». Les signes annonciateurs d’une telle crise sont multiples en France. Le volume des transactions de logement qui « diminue depuis la mi-2022 et, avec lui, les prix des logements ». Par ailleurs, « la construction neuve est orientée à la baisse et la litanie des indicateurs immobiliers qui chutent est longue », constate l’économiste.

En particulier, le nombre de crédits immobiliers – un des indicateurs clés du secteur – a constamment chuté pour atteindre en juillet dernier son plus bas niveau (10,1 milliards d’euros) depuis avril 2016, soit près de deux fois moins qu’en juillet 2022 (22,1 milliards d’euros), selon la Banque de France.

Face à la chute du nombre d’emprunts immobiliers accordés, une réunion du HCSF s’est tenue mardi dernier autour du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire pour décider d’un éventuel ajustement des conditions de crédit immobilier : Actuellement, pour lutter contre le surendettement, les banques n’ont pas le droit de prêter de l’argent si les mensualités dépassent 35% des revenus, ni pour une durée supérieure à 25 ans. Elles peuvent déroger à ces critères dans 20% des cas, à condition que cela concerne en priorité des résidences principales et vise, dans près d’un tiers des cas, des primo-accédants.

« Il n’y a personne intellectuellement qui peut cautionner et trouver logique que l’on garde en 2023, période avec des taux historiquement hauts et des transactions historiquement basses, les mêmes conditions de crédit qu’en 2019, quand les taux étaient historiquement bas et le volume de transactions historiquement haut », s’agace auprès de l’AFP Bérengère Dubus, secrétaire générale de l’UIC, principal syndicat de courtiers en crédit immobilier dont l’activité est directement liée au nombre de transactions.

Fortement préoccupés par la chute du nombre de transactions, banques, courtiers et acteurs du secteur immobilier bataillent depuis des mois plus ou moins frontalement contre ces conditions de crédit, en pointant du doigt la Banque de France, son gouverneur François Villeroy de Galhau étant l’un des principaux avocats du maintien des règles existantes. Plusieurs présidents de commissions de l’Assemblée ainsi que le rapporteur général du budget Jean-René Cazenave ont récemment accentué la pression en plaidant, dans un courrier adressé à Bercy, pour desserrer les contraintes. Selon Sacha Houlié, député Renaissance de la Vienne, Bruno Le Maire avait dit « étudier cette hypothèse » – celle d’un assouplissement des conditions de crédit immobilier.

Cependant, Bruno Le Maire et les autorités financières du HCSF ont finalement renoncé à assouplir les règles actuelles d’octroi de crédit après leur réunion de mardi. Car selon eux, les flexibilités existantes n’étaient pas complètement utilisées par les banques.

« L’ensemble des établissements n’utilisent pas pleinement les flexibilités qu’il a prévues et assouplies lors de sa réunion de juin », peut-on lire dans le communiqué publié à l’issue de la réunion qui s’est tenue ce mardi. « Les banques disposent donc de marges pour accroître davantage leur offre de crédit, tout en respectant [les critères actuellement en vigueur] », affirme le HCSF.

« Douche froide pour tous les acteurs de l’immobilier »

Cette décision du HCSF – présidé par Bruno Le Maire – est une véritable « douche froide pour tous les acteurs de l’immobilier, notamment les courtiers », selon La Tribune. Le journal cite des professionnels du courtage immobilier « très en colère face au déni de réalité », à l’instar de Madame Dubus, secrétaire générale de l’UIC. Critiquant « une décision incompréhensible », elle explique que la marge de flexibilité ne peut pas fonctionner car entre les délais pour accorder un crédit et les dizaines de milliers de conseillers bancaires, les établissements ne peuvent pas respecter une règle tout en y dérogeant, en veillant de ne pas dépasser les 20%. Un constat partagé par Caroline Arnould, directrice générale du courtier Cafpi qui ajoute que « nous avons des dossiers de prêts bloqués à cause des règles du HCSF car le renchérissement des coûts du crédit amène beaucoup de ménages au-dessus des 35% de taux d’endettement ».

Dans la réalité, « les banques sont plus prudentes que ce que le HSCF veut », souligne dans Le Figaro Sandrine Allonier, porte-parole de Vousfinancer. « Avant, une banque acceptait de cofinancer un programme de logements neufs, à partir du moment où on avait déjà commercialisé 30 à 35 % des produits mis à la vente. Aujourd’hui, c’est 40 à 50 % », constate Mathieu Massot, directeur général du groupe immobilier FDI de la région montpelliéraine. Résultat, « les ménages s’autocensurent et reportent leurs projets. Pourtant, leur apport est souvent très élevé (plus de 100.000 euros en moyenne en Ile-de-France et 70.000 euros ailleurs) », selon Ludovic Huzieux, fondateur d’Artemis Courtage.

Cécile Roquelaure, directrice des études d’Empruntis estime même que « des ajustements sur les critères d’octroi n’auraient pas changé la face du monde car les taux sont à plus de 4 % ». Partageant cet avis, Sandrine Allonier, porte-parole de la plate-forme Vous Financer, indique que l’assouplissement des règles de crédit immobilier ne serait « pas la solution miracle », car pour elle l’immobilier est en crise : « Aujourd’hui, la crise du logement est asymptomatique, on ne la voit pas. »

« Une crise très sérieuse de l’immobilier »

Pour autant, le professeur Philippe Trainar a vu venir « cette crise » de l’immobilier, qui est « très sérieuse » pour « trois raisons principales ». D’abord, il s’agit là d’« une chute synchrone des marchés immobiliers dans le monde » – la première depuis la fin de la Seconde Guerre selon lui.

Ensuite, « toujours pour la première fois depuis l’après-guerre, nous sommes confrontés (…) à un choc sectoriel d’une ampleur jusqu’ici inconnue », et qui affectent non seulement « tous les segments du marché immobilier : logement, immobilier commercial et industriel, et infrastructures publiques » ; mais aussi « l’ensemble de l’économie », déjà mise à mal par le « choc de taux d’intérêt ».  Et finalement, l’économiste pointe du doigt « un alourdissement inhabituel de la régulation du secteur ».

« La droite comme la gauche ont contribué à cet alourdissement, à peu près dans tous les pays, comme en France, pour des raisons tant écologiques que corporatistes, prudentielles et sociales. » Ce qui conduit « un peu partout dans le monde à des pénuries inquiétantes de logements qui frappent particulièrement les jeunes », dénonce Philippe Trainar sur Les Échos, avant de tirer la sonnette d’alarme : « Nous ne sommes donc probablement, qu’au début de la crise immobilière qui vient. Celle-ci a toute chance d’être d’une violence rare et son issue dépendra tout autant du cours à venir de la politique monétaire que des assouplissements qui pourront être introduits dans la régulation du secteur immobilier. »

Mais cela sera sans assouplissement en matière des règles qui encadrent le crédit immobilier, au moins jusqu’à la nouvelle réunion du HCSF. Ce dernier déclare rester ouvert à « d’éventuels nouveaux ajustements techniques à même d’adapter la mesure au nouveau contexte économique et financier». Il « poursuivra ses échanges avec les établissements de crédit afin d’identifier toute contrainte pratique à la bonne mise en œuvre de cette flexibilité ».

« Certes, tout ce qui participe à la fluidité du marché est une bonne initiative, mais il ne faudrait pas qu’elle arrive trop tard », avertit Pascal Boulanger, président de la Fédération des promoteurs immobiliers. Car « la crise est là (…) L’année prochaine, si rien est fait, nous perdrons 150 000 emplois. C’est maintenant qu’il faut mettre des solutions en place. »

l’AFP a contribué à cet article.

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