Eric Naulleau : « 1984 de George Orwell sonne comme un avertissement contre des tyrannies qui vont sévir dans un horizon très proche »

Par Etienne Fauchaire
22 février 2024 17:16 Mis à jour: 15 avril 2024 12:53

ENTRETIEN — La décision du Conseil d’État sommant l’Arcom de classer les chroniqueurs de la chaîne CNews en fonction de leur supposée appartenance idéologique en indigne plus d’un. Eric Naulleau en fait partie. Dans cet entretien, l’écrivain, rappelant sa filiation à la gauche laïque, sociale, républicaine et antitotalitaire, fustige les dérives d’un « petit cercle médiatico-intellectuel » incapable d’argumenter autrement que par l’étiquetage à l’extrême droite et de défendre son magistère autrement que par la censure. Une méthode inspirée par le communisme, rappelle-t-il. L’occasion pour lui de souligner, à l’heure où un président de la République en exercice a accordé pour la première fois de l’histoire française un entretien à L’Humanité, que les alliances d’une certaine gauche avec les pires dictatures de l’histoire bénéficient encore de la part de cette même « caste » d’une bienveillance, voire d’une complaisance.

Epoch Times : Le Conseil d’État a ordonné à l’Arcom de surveiller davantage la chaîne CNews. Que révèle cette décision sur l’état de la liberté d’expression en France selon vous ?

Eric Naulleau : Une atteinte inquiétante contre la liberté d’expression en général, mais plus spécifiquement celle incarnée par CNews et les médias appartenant au groupe Bolloré. Ce qui est tragicomique dans cette affaire, c’est que cette initiative émane de Reporters sans frontières, une organisation dont la vocation première consiste pourtant à défendre la liberté d’expression dans les régions du monde où elle est étouffée. Or, dans ce cas précis, cette mission est pervertie pour la restreindre et ficher politiquement tous les acteurs d’une chaîne en particulier.

On nous assure que la décision du Conseil d’État affectera l’ensemble des médias. C’est possible. Toutefois, à l’origine, elle vise exclusivement CNews. Il est essentiel de rappeler ce point, car on cherche à occulter ce péché originel.

Quoi qu’il en soit, la situation est claire : une petite caste médiatico-intellectuelle, qui est complètement déconnectée des aspirations du peuple français et se croit investie du monopole de la vérité et du bien, a décidé de réprimer toute voix discordante. Pourquoi tolérer des opinions divergentes lorsque l’on prétend posséder la vérité ?  Il s’agit ni plus ni moins d’une forme de terrorisme intellectuel à l’œuvre dans un pays comme la France. Personnellement, je suis profondément consterné par cet épisode, et inquiet : je pensais que 1984 était une œuvre du passé, un roman de George Orwell dénonçant des tyrannies révolues.

Je réalise maintenant qu’il faut lire ce livre comme un avertissement contre des tyrannies qui vont sévir dans un horizon très proche, puisque la remise en question de la licence de diffusion accordée à CNews est imminente.

Chez France Inter, les personnalités de droite sont rarement invitées. Chez CNews, les personnalités de gauche sont invitées mais refusent souvent d’y aller. Comment analysez-vous cet argument de la juridiction qui met en avant la nécessité de revoir le pluralisme de la chaîne ?

Dans le roman d’Orwell, la haine, c’est l’amour, et la guerre, c’est la paix. Chez ces gens qui auraient pu peupler l’imagination d’Orwell, la pluralité est en réalité l’absence de pluralité, et l’absence de pluralité est présentée comme de la pluralité. Pour ma part, dans les faits, je débats librement sur CNews et je ne suis jamais invité sur France inter.

Tout ce que l’on pourrait légitimement reprocher à France Inter, avec sa ligne idéologique clairement définie, gauchisme, voire extrême gauchisme, est balayé d’un revers de main. Pourquoi ? Encore une fois, parce qu’ils se considèrent comme détenteurs de la vérité et du bien, et désignent CNews comme le problème, alors même que cette chaîne respecte rigoureusement le pluralisme.

Je me demande d’ailleurs comment ils pourraient prouver le contraire. Car cela nécessiterait de déterminer, contre l’avis des personnes concernées, leur affiliation politique. En ce qui me concerne, où me classeraient-ils ? Je vous le dis : si on me pose la question, je me place à gauche : une gauche républicaine, laïque, sociale et antitotalitaire. Vont-ils prétendre que je me trompe et que je suis d’extrême droite ? Et c’est pourtant ainsi qu’ils agiront avec tous les chroniqueurs de CNews. C’est tout simplement absurde. D’autant plus que tout cela découle d’une étude vieille de deux ans et réalisée par un sociologue revendiquant ouvertement son appartenance à l’extrême gauche, François Jost. Ce dernier a passé quinze jours à observer les programmes de CNews pour conclure que tout le monde devrait se déterminer par rapport à BFMTV, à France Inter et au Monde.

Il admet donc lui-même l’existence de médias de référence sur lesquels il faudrait s’aligner. Mais quelle est cette conception, sinon celle qui prévalait à l’époque de la Pravda soviétique ? La Pravda était le média de référence auquel tous les autres médias soviétiques devaient se conformer. Si vous étiez en accord avec la Pravda, c’était bien. Et si vous ne l’étiez pas, c’est que vous étiez un déviant, un fasciste.

Tous ceux qui ne souscrivent pas à la doctrine officielle, que votre collègue Mathieu Bock-Côté appelle le « système diversitaire », sont étiquetés à l’extrême droite, « extrême droitisés », pour reprendre ses termes. Selon lui, cela démontre que la France est encore influencée par l’héritage du communisme, dont l’une des techniques consistait à assimiler toute opposition à du fascisme. Comment analysez-vous ce recours à des méthodes directement inspirées par le soviétisme ?

Ce phénomène remonte loin. J’ai moi-même observé à maintes reprises, écrit et exprimé que tous ceux qui se revendiquaient de la gauche mais ne suivaient pas la ligne officielle de l’époque, c’est-à-dire la gauche pro-soviétique, étaient étiquetés comme étant d’extrême droite ou fascistes. Cela a été le cas pour Orwell, que j’ai mentionné, ainsi que pour Camus, Kravchenko, Simon Leys et bien d’autres. Il suffit de parcourir l’histoire du XXᵉ siècle et du début du XXIᵉ siècle pour constater que tous ceux qui ne se conformaient pas à la doxa de gauche, d’une certaine gauche bien sûr, qui n’est pas la mienne, étaient effectivement traités de fascistes.

Plus fondamentalement, je crois que psychologiquement et idéologiquement, ces individus issus de la nouvelle gauche portent en eux une idéologie totalitaire. J’ai côtoyé des milieux de droite et de gauche et j’ai observé que dans les milieux de droite, on accepte le débat avec le camp d’en face, la contradiction, la confrontation des idées. Ce n’est pas le cas dans les milieux de gauche pour une raison simple : quiconque n’est pas d’accord avec eux est immédiatement qualifié de « fasciste ». Et « on ne débat pas avec les fascistes ». Nous en sommes là, à ces syllogismes simplistes.

Ce stade d’intolérance est tel que ce n’est même pas sur les ondes de CNews, mais sur celles de France Inter, que le philosophe autoproclamé Geoffroy de Lagasnerie a plaidé pour l’interdiction des opinions contraires à la sienne. Et je suis convaincu que cette prise de position, hyperbolique et presque caricaturale, reflète la pensée dominante au sein de ce petit cercle médiatico-intellectuel qui se sent menacé, conscient que le peuple n’est plus de son côté.

À l’instigation du think tank Terra Nova, ils ont dissous le peuple pour en trouver un autre de rechange. Maintenant, ils cherchent à faire taire les médias appréciés et plébiscités par ce peuple. Voir un jour des médias populaires risquer la censure, c’est une régression que je n’aurais jamais imaginée vivre.

Le 19 février, Emmanuel Macron a accordé une interview à L’Humanité, la première d’un président de la République en exercice au journal communiste en cent vingt ans d’histoire.  À cette occasion, il en a profité pour évoquer sa doctrine par rapport aux « extrêmes » et sa vision du combat contre ce qu’il nomme « l’extrême droite ». Pour le chef de l’État, seulement quelques cas individuels au sein de la France insoumise sont ancrés dans l’extrême, à la différence du Rassemblement national, qui le serait structurellement. Comment tout d’abord analyser le fait qu’Emmanuel Macron accepte de parler à un média qui a soutenu Staline et un totalitarisme ayant causé des millions de morts ? Et ensuite, comment interprétez-vous cette volonté de ramener le RN à ses origines tout en écartant la question des origines de L’Humanité, que d’aucuns n’hésiteraient pas à classer dans le camp des « extrêmes » ?

Sur le principe, je n’ai aucune objection à ce que le président de la République accorde un entretien à L’Humanité. Non seulement cela ne me pose-t-il aucun problème, mais je suis en faveur d’un soutien à ce journal, qui n’est pas seulement dans le rouge idéologiquement, mais aussi financièrement. Je l’achète donc volontiers, non pas parce que j’adhère à sa ligne éditoriale, cela va de soi, mais parce que je crois que son existence est nécessaire pour la diversité et la pluralité de l’expression en France.

Cela étant dit, comment se fait-il que presque personne ne trouve un problème au fait que ce journal revendique une idéologie responsable de centaines de millions de morts à travers l’histoire ? Pourquoi L’Humanité bénéficie-t-il d’une forme de sauf-conduit alors que ce journal se revendique d’un communisme qui s’est allié avec Hitler pendant la première partie de la Seconde Guerre mondiale ? Le pacte Molotov-Ribbentrop est pourtant un fait, sciemment écarté par la gauche.

La gauche a aussi défendu le stalinisme, le pol-potisme, le maoïsme. Ces dernières années, Jean-Luc Mélenchon a même soutenu à plusieurs reprises le poutinisme. Les alliances avec les dictatures sont relativisées. Autant le dire : cette bienveillance, pour ne pas dire cette complicité avec le pire, est stupéfiante.

Sur le fond de l’entretien, le chef de l’État, après avoir affirmé quelque temps plus tôt que le Rassemblement national faisait partie de l’arc républicain, vient maintenant dire exactement le contraire. Une nouvelle fois, Macron fait du macronisme, c’est-à-dire qu’il dit tout et son contraire. Si le Rassemblement national a des origines indéniablement extrêmes, ce parti n’est plus le Front national d’autrefois. On ne peut pas affirmer que Marine Le Pen soit la digne fille de son père sur le plan intellectuel et idéologique. Elle a considérablement évolué. Il est difficile d’imaginer Marine Le Pen, qui appartient à une génération différente, faire des jeux de mots sur les fours crématoires ou affirmer que les chambres à gaz sont un « point de détail de l’histoire ».

Cependant, il est plus commode pour ses adversaires politiques de prétendre le contraire. Derrière cela, il y a une stratégie électorale macroniste visant à désigner Marine Le Pen comme l’ennemie numéro un, dans l’espoir de la voir arriver au second tour de la présidentielle et de la battre à nouveau. La ficelle est tellement évidente que je ne comprends pas que certains tombent encore dans le panneau.

Sur le compte de la France insoumise, Emmanuel Macron ne se trompe pas : il feint de se tromper. Il s’agit bel et bien d’un parti qui a quitté le champ républicain, tout simplement parce que c’est un parti de l’étranger porteur d’une idéologie étrangère : l’islamo-gauchisme, qui souhaite la destruction de la République et de la France telle que beaucoup d’entre nous l’aiment. À mes yeux, les insoumis ne sont d’ailleurs pas seulement en dehors de l’arc républicain, ils sont même sortis de l’arc français, l’arc national.

Mais au fond, ces querelles relèvent de la politicaillerie de bas étage, très éloignée des véritables enjeux, à savoir la survie existentielle de la France, et ressemblent à des disputes d’ivrognes sur le Titanic. Le bateau coule, et ils sont en train de s’engueuler entre poivrots. C’est un spectacle absolument navrant et indigne de ce qui se passe en France et des dangers qui guettent notre pays.

Alors que la classe politique française a condamné l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, La France insoumise s’est démarquée par des propos bien différents. En ne condamnant pas cette action terroriste, Jean-Luc Mélenchon avait justement été accusé d’être « sorti de l’arc républicain ».

Le 7 octobre a été une sorte de révélation, ou plutôt de confirmation, préoccupante mais pas inattendue. Est apparu au grand jour ce qui macérait dans l’ombre depuis des dizaines d’années à mesure que l’extrême gauche a progressivement pris une place centrale dans la vie politique : la manifestation publique d’un profond antisémitisme et de son hostilité marquée envers Israël.

Cette tendance s’accompagne d’un autre phénomène, à la fois idéologique et électoraliste : on observe que, dans la pensée ultragauchiste, le prolétaire a été remplacé par le musulman. Désormais, la figure du « damné de la terre », la grande victime, est associée au musulman. Même dans des situations où le musulman tient le rôle de bourreau, comme c’est le cas dans le conflit entre le Hamas et Israël avec le pogrom du 7 octobre, la France insoumise lui attribue un statut de résistant et de victime. Cette indulgence persiste même à l’égard de terroristes qui éventrent des femmes enceintes ou décapitent des nourrissons. Ensuite, il convient absolument pour l’extrême gauche de caresser dans le sens du poil de la barbe un électorat dont on espère que l’appoint suffira à faire accéder Jean-Luc Mélenchon au second tour de la présidentielle de 2027.

Telle est cette stratégie électoraliste affreusement cynique qui s’entremêle avec des motifs idéologiques profondément enracinés.

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