Il était une fois: images de fées de l’époque victorienne

Par Michelle Plastrik
10 août 2023 19:25 Mis à jour: 10 août 2023 19:25

La fascination pour les fées et leurs contes folkloriques a une longue et riche histoire, en particulier en Grande-Bretagne.

À l’époque victorienne, les images de fées sont devenues un genre artistique à part entière. Cet engouement pour les fées, qui a débuté au milieu du XIXe siècle, a été en grande partie alimenté par des changements de la société. Face aux progrès scientifiques et à l’industrialisation, l’intérêt des gens pour un monde spirituel, en plus du monde naturel, s’est accru.

Les sources de ces peintures, illustrations et aquarelles proviennent des légendes celtiques, d’un regain d’intérêt pour les romans médiévaux et des pièces de théâtre de William Shakespeare, poète et dramaturge le plus célèbre d’Angleterre, en particulier A Midsummer Night’s Dream / Songe d’une nuit d’été.

Certains artistes de l’époque victorienne n’ont réalisé que quelques œuvres mettant en scène des fées, mais d’autres se sont spécialisés presque exclusivement dans ce genre. Lors d’une récente exposition à la Tate Britain sur les fées dans l’art d’il y a 250 ans jusqu’à aujourd’hui, le musée décrit des exemples où « des lutins en goguette se vêtent de mousse, de pétales de fleurs et d’ailes d’insectes et s’amusent au clair de lune, où un crapaud peut être un siège, ou une luciole une lampe ».

Ce sujet fantastique se prête à la création d’œuvres d’art colorées, mystérieuses, théâtrales et remplies de la nature.

A Midsummer Night’s Dream / Le songe d’une nuit d’été

Les représentations professionnelles du Songe d’une nuit d’été étaient incroyablement populaires dans l’Angleterre du XIXe siècle. Il s’agit de l’une des plus grandes comédies de Shakespeare, qui aborde à plusieurs niveaux les thèmes de l’amour, du mariage, de l’ordre, du désordre, de l’apparence et de la réalité. Dans cette histoire, quatre jeunes Athéniens – Hermia, Lysandre, Démétrius et Héléna – s’enfuient dans une forêt au milieu des préparatifs du mariage du duc d’Athènes.

Alors qu’ils se trouvent dans la forêt, leur chemin croise celui du pays des fées. Obéron, le roi des fées, et sa reine, Titania, sont arrivés avec leur suite pour le mariage. Les royaux se disputent et Puck, le serviteur féerique d’Obéron, est chargé de jouer un tour de magie à Titania. Une erreur d’identité entraîne par inadvertance les humains athéniens dans l’intrigue. À la fin de l’histoire, la magie est inversée et tous les couples se réconcilient.

Hermia et Lysandre, « Le songe d’une nuit d’été », 1870, par John Simmons. Aquarelle rehaussée de gouache sur papier marouflé sur toile ; 91,4 cm par 73,6 cm. Collection privée. (Domaine public)

À la fin de sa carrière, l’artiste John Simmons (1823-1876), connu pour ses portraits, a créé une série d’œuvres inspirées de la pièce de Shakespeare. Ces œuvres se distinguent des autres œuvres d’art de Songe d’une nuit d’été par la juxtaposition de détails réalistes et d’éléments imaginatifs.

Dans son aquarelle Hermia et Lysandre, « Le songe d’une nuit d’été », les amants interdits en fuite sont représentés perdus dans les bois, ce qui correspond à l’acte 2, scène 2 de la pièce. C’est la nuit et ils décident d’aller dormir, ignorant les fées et autres créatures enchantées qui rôdent autour d’eux. Lysandre prend le doigt d’Hermia d’une main et touche de l’autre la mousse du sol de la forêt.

Dans la pièce, il déclare romantiquement : « Le même gazon nous servira d’oreiller à tous deux ; / Un cœur, un seul lit ; deux âmes, une seule foi. » Plus tard, dans la pièce, lorsque Lysandre se réveille, il tombe amoureux d’Hélèna, l’amie d’Hermia, à la suite de l’intervention malicieuse de Puck. Simmons laisse entendre qu’Hélèna est peut-être déjà sur les lieux, représentée par une silhouette ombrageuse au loin, à la droite d’Hermia. Puck est peut-être parmi les fées aux pieds du couple ou la figure à peine visible au centre gauche.

Détail des fées de Hermia et Lysandre, « Le songe d’une nuit d’été », 1870, par John Simmons.

Hermia et Lysandre, Le songe d’une nuit d’été est truffé de représentations de fées diverses et détaillées de manière réaliste, ce qui reflète la formation de l’artiste en matière de peinture miniature.

L’œuvre a été vendue aux enchères en 2012, et le catalogue de Sotheby’s indique que « Simmons crée une civilisation entière de différentes ‘espèces’ de fées : certaines volent avec des ailes de mousse, d’autres chevauchent des chars mus par des souris ou des chauves-souris en cuir, avec des corps pâles et atténués qui brillent au clair de lune ». Le catalogue indique que l’observation attentive de ces détails minutieusement rendus s’apparente à une observation au microscope. Il s’agit d’une analogie pertinente, car certaines personnes à l’époque victorienne croyaient que les fées étaient réelles et partaient en « expéditions scientifiques » pour en recueillir les preuves.

Dans Hermia et Lysandre, « Le songe d’une nuit d’été », Simmons utilise magistralement l’aquarelle pour créer des zones floues et étranges de couleurs saturées. La gouache, des pigments d’aquarelle opaques épaissis avec une substance semblable à de la colle, est utilisée pour créer les formes de la composition. L’œuvre est exécutée avec une clarté incroyable et une finition souple.

Spirit of the night / L’esprit de la nuit

L’esprit de la nuit, 1879, par John Atkinson Grimshaw. Huile sur toile ; 82,5 cm par 121,9 cm. Collection privée. (Domaine public)

Un certain nombre de grands tableaux de fées de l’époque victorienne s’inspiraient d’autres sources que la pièce de Shakespeare. John Atkinson Grimshaw (1836-1893) n’a produit que quelques toiles de fées, qui étaient avant tout le véhicule de son étude des effets de la lumière qu’il a menée tout au long de sa vie. Spirit of the night / L’esprit de la nuit est un excellent exemple de son intérêt pour l’iridescence, qu’il a explorée à travers des expériences avec des prismes et leur lumière colorée.

Dans ce tableau, la fée, dont l’actrice Agnes Leefe a servi de modèle – elle a posé pour de nombreuses œuvres de l’artiste -, porte un voile transparent. La description du catalogue de la vente de Christie’s 2019 pour ce tableau indique que la fée « plane au-dessus d’un village au bord de la mer sous un ciel éclairé par la lune, la lumière argentée se reflétant sur la mer, sa peau est translucide et scintille de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel sur ses ailes opalescentes ». C’est le village brumeux aux couleurs automnales qui semble irréel, tandis que la fée esquissée a une présence lourde malgré son vol aérien.

Dans le webinaire L’École, School of Jewelry Arts « Precious Fairy: From Fantasy to Reality / Fée précieuse : De la fantaisie à la réalité », la conférencière Estelle Icart note que la fée voltigeant dans ce tableau semble planer au-dessus d’une zone de brouillard de pollution. Cela évoque l’industrialisation rapide de l’époque. Grimshaw a d’ailleurs réalisé une série distincte de peintures des quais de Liverpool. Cependant, ce tableau est également plein de lumière magique, qui émane directement de la fée qui a un halo fait de rayons de lumière. On a l’impression que la lumière de la lune qui se reflète dans l’eau provient de sa baguette.

Le tableau s’inspire d’une œuvre littéraire, non pas de Shakespeare, mais du poème To Night du poète romantique Percy Bysshe Shelley. À l’origine, une étiquette attachée au tableau comportait une citation du poème de Shelley :

Enveloppe ta forme dans un manteau gris
Étoilé !
Aveugle avec tes cheveux les yeux du jour ;
Embrasse-la jusqu’à ce qu’elle soit fatiguée.
Puis émerveille-toi à travers la ville, la mer et la terre,
Touchant tout de ta baguette opiacée…
Viens, longtemps cherché !

Portraits surnaturels

Prenez le beau visage d’une femme, et suspendez-le délicatement, avec des papillons, des fleurs et des bijoux, de manière à ce que votre fée soit parée des plus belles choses, 19e siècle, par Sophie Gengembre Anderson. Huile sur toile. Collection privée. (Domaine public)

Selon Inezita Gay-Eckel dans le webinaire L’École, la couleur verte a longtemps été associée à des attributions à la fois positives, comme le printemps, la forêt, la chance, la santé, et négatives, comme les serpents, le poison, les dragons, le mal. L’historien médiéviste Michel Pastoureau, dans son livre Vert : Histoire d’une couleur, écrit que le vert a longtemps été la couleur des êtres surnaturels, en particulier des fées. Cette coloration symbolique remonte aux manuscrits enluminés.

Le vert est utilisé de manière saisissante dans le tableau de Sophie Gengembre Anderson intitulé Prenez le beau visage d’une femme et suspendez-le délicatement, avec des papillons, des fleurs et des bijoux, de manière à ce que votre fée soit parée des plus belles choses. Anderson (1823-1903) s’est spécialisée dans les portraits charmants et tendres d’enfants, en particulier de fillettes. L’exploration sentimentale de l’enfance dans l’art est devenue populaire à l’époque victorienne. À l’occasion, l’artiste a peint des fillettes sous les traits de fées, dont ce tableau est un exemple frappant.

La jeune fille est représentée avec une couronne de papillons aux couleurs vives et des ailes de fée. Mme Icart, dans le webinaire L’École, décrit la jeune fille/fée comme une princesse celte aux cheveux roux, une peau claire et une couronne. La pochette verte qu’elle serre, décorée d’un treillis doré et de perles, pourrait contenir ses bijoux. Une autre théorie veut que sa couleur verte indique qu’elle pourrait contenir une potion magique. Cependant, avec son visage angélique, il semble probable qu’il s’agisse d’une « bonne fée », ce qui suggère que la potion n’est pas un poison.

Dans son ouvrage Fairies in Victorian Art, qui fait autorité en la matière, Christopher Wood écrit : « Les gens de l’époque victorienne voulaient désespérément croire aux fées, car elles représentaient pour eux l’un des moyens d’échapper à l’intolérable réalité d’une époque peu romantique, matérialiste et scientifique. »

En regardant ces images de fées créatives, artistiques et envoûtantes, on est transporté du monde banal à l’atmosphère romantique du surnaturel. Ces images de l’époque victorienne, qui continuent d’envoûter même à l’époque moderne, ont été portées à l’attention d’une nouvelle génération par le biais de livres, d’expositions et de ventes aux enchères.

Le songe d’une nuit d’été, 1851-1914, par Edward Robert Hughes. Aquarelle et gouache ; 114,3 cm par 76,2 cm. (Domaine public)
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