La gauche restera-t-elle dans les cordes en 2023 ?

Par Christophe Sente, Chercheur en sciences politiques
9 janvier 2023 19:55 Mis à jour: 9 janvier 2023 19:55

Le congrès du Parti socialiste français (PS) prévu le 10 janvier est particulièrement attendu. C’est non seulement l’avenir de son président qui est en débat, mais aussi celui de la Nupes. Tout comme en Italie, la gauche française est en difficulté et ce sont des forces libérales et conservatrices qui dominent le jeu.

Les difficultés que la gauche rencontre en France pourraient être analysées comme une succession de vicissitudes spécifiques à une famille politique. Il s’agirait d’une erreur de perspective. C’est à l’échelle de la démocratie représentative que se déploie la crise. Conformément à une étymologie grecque, le terme « crise » ne doit pas seulement suggérer une issue fatale. Il renvoie aussi à l’idée du choix et à l’importance de se distinguer.

Tous les partis sont confrontés à des enjeux nouveaux, sinon inédits. Les identités et les structures partisanes remontent le plus souvent au siècle dernier, quand ce n’est pas au précédent. Dès lors, une exigence de redéfinition et de restructuration rapides s’impose à ces associations pour assurer la représentation du corps social. En cas d’échec collectif du personnel politique, le retour d’une expression anarchique et chaotique de revendications peut déstabiliser les nations, comme c’est le cas dans certains pays d’Amérique latine. Elles renvoient alors celles-ci à un « état de nature 2.0 » défini par le règne de la loi du marché et de la violence des expressions individuelles qu’Internet ne suffit pas à canaliser.

Aux États-Unis, la recherche par les partis d’un  cours nouveau  est jusqu’à présent efficacement internalisée par les Républicains et les Démocrates. Le succès du renouvellement régulier de leurs orientations programmatiques et de leurs choix stratégiques assure une continuité à une alternance démocratique, et ce à l’échelle d’un continent.

La longueur d’avance des droites européennes

Le résultat est plus contrasté en Europe où, comme en France, cette recherche d’un cours nouveau revêt l’aspect d’une course à l’innovation, mortelle pour les plus faibles.

À l’intérieur de cette compétition, les formations rangées à droite de l’échiquier détiennent une longueur d’avance sur des gauches fragilisées par un attachement à des revendications historiques. L’Italie en offre une illustration plus claire encore que la France. Son actualité, de la fondation du mouvement Forza Italia jusqu’à la constitution du gouvernement de Georgia Meloni, est la démonstration de l’inventivité d’une droite qui survit à l’épuisement du conservatisme chrétien et à l’estompement du libéralisme thatchérien.

La première clé du succès des droites italiennes est une capacité de renouvellement des structures et des discours. Alors que la gauche n’en finit pas d’essayer d’installer le Partito Democratico dans une position dominante sur la base de stratégies unitaires hasardeuses, la droite a connu une prolifération de start-ups. De Berlusconi à Meloni, celles-ci en ont accrédité le statut d’alternative, en particulier après l’échec de figures technocratiques consensuelles telles que Mario Draghi.

La deuxième est la capacité d’attirer un électorat populaire à partir de promesses sociales et régionalistes, éventuellement augmentées par une posture critique à l’égard de l’État-nation ou de l’Union européenne sur la question de l’immigration. L’actualité de 2022 montre que c’est un mouvement issu, comme en France, d’une rénovation de l’extrême-droite qui a réussi à capter une part importante de l’électorat populaire. Elle révèle également que cette représentation, un temps assurée par Berlusconi et Salvini, est sans doute fragile.

La troisième est une capacité à participer à ou à construire des coalitions. Elles peuvent être des associations pragmatiques incluant des partis aux orientations contradictoires (gouvernements de Draghi, Conte ou Letta) ou le produit du rassemblement d’une droite plurielle (gouvernement actuel).

Les convulsions de la gauche française

Le prisme italien permet de faire émerger les fondamentaux la situation française. D’abord, comme en Italie, l’aggiornamento de la gauche française n’a pas dépassé le stade d’une réforme fragile des organisations. La création d’un cartel qui a survécu au cap des élections législatives, la Nupes, constitue une innovation qui a contribué à rendre une visibilité à la gauche. Elle n’en assure pas plus l’unité que l’Olivier hier en Italie.

D’une part, la Nupes, dont l’avenir est l’un des enjeux du congrès du PS en janvier 2023, ne regroupe ni toute la gauche radicale ni les forces socialistes favorables à Emmanuel Macron. D’autre part, ses composantes ne s’entendent pas sur la portée de leur alliance, en particulier sur les questions internationales. Enfin, la France Insoumise (LFI) est partagée sur ses orientations et il n’est pas certain que l’éviction de personnalités dirigeantes en décembre dernier ait clarifié le choix entre au moins deux options. La première est une tentative de rassemblement d’un peuple national sur la base d’un programme laïc, social et républicain. La seconde, un pari sur « l’intersectionnalité des luttes » et la représentation des groupes susceptibles de s’estimer discriminés ou oppressés au sein de la société contemporaine.

Autre difficulté majeure pour la gauche française : la Nupes est loin d’avoir regagné le vote des classes populaires progressivement perdu par le Parti socialiste et capté par le Rassemblement national.

Enfin, et c’est là le plus important, les partis de gauche rassemblés par la Nupes sont incapables d’un dialogue constructif avec le gouvernement d’Elisabeth Borne. Un rapprochement est peu crédible tant que PS et LFI conserveront une posture idéologique sur le dossier des retraites et que le gouvernement ne donnera pas à sa politique européenne une coloration plus sociale. Il pourrait par exemple afficher un soutien massif au secteur de l’économie sociale et solidaire dont l’UE fait désormais un axe de sa politique industrielle. Faute d’un tel dialogue, les partis de la Nupes risquent de demeurer prisonniers des limites d’un capital électoral modeste. Celui-ci ne leur permet d’exister que dans les médias ou au Parlement, dans le cadre de convergences ad hoc avec le Rassemblement national à l’occasion de votes de censure.

Autrement dit, en France comme en Italie, les forces de droite sont maîtresses du jeu.

2023 : changement ou continuité ?

Si l’avantage est détenu par les partis de droite, leur position n’est pas encore consolidée. Ils n’ont encore réussi ni à fidéliser un électorat, ni à adopter un programme qui leur assure une identité stable à une échelle nationale ou européenne. Ce laboratoire du renouvellement des droites qu’est l’Italie rend aussi compte de l’instabilité des solutions élaborées : celles-ci oscillent entre conservatisme culturel, libéralisme et défense d’un projet social national.

Un remontée de la gauche serait-elle alors envisageable en 2023 ?

Pour ce qui est de la France, les partis politiques de gauche sont généralement apparus plus capables de convulsions que d’innovations majeures en 2022. À moins de démontrer une autre capacité d’initiative et d’alliance, la gauche française traditionnelle incarnée par le PS, le mouvement écologiste et même la France Insoumise restera dans les cordes en 2023. Elle ne pourra occuper que l’espace que lui laisseront à droite, Eric Ciotti et Jordan Bardella et, au centre, Emmanuel Macron, voire Edouard Philippe.The Conversation

Christophe Sente, Chercheur en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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