Pourquoi les gens puissants devraient-ils cultiver la compassion

Si nous voulons apporter des changements positifs dans le monde, nous devons harmoniser la recherche du pouvoir avec nos instincts de compassion.

14 mai 2019 19:25 Mis à jour: 10 octobre 2019 17:05

Lorsque nous pensons à des gens puissants de l’histoire, nous pensons souvent à des exemples négatifs comme Hitler, Mussolini ou Staline. L’idée que le pouvoir est mauvais peut se résumer par le dicton : « Le pouvoir corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument. »

Mais le pouvoir a aussi un côté positif, surtout lorsqu’il est exercé au service de l’humanité. Pensez à Martin Luther King Jr. ou au Mahatma Gandhi. Bien que ces deux hommes se soient servis de leur pouvoir personnel, ils l’ont dirigé d’une certaine manière pour faire avancer des causes humanitaires. Et ils le firent avec beaucoup d’amour.

Comment pouvons-nous, nous aussi, trouver notre pouvoir tout en restant bienveillants et compatissants ? C’est le sujet du nouveau livre Power and Care, un recueil de conversations entre plusieurs éminents chercheurs et le Dalaï Lama. Ce livre plaide en faveur de l’intégration de la compassion et du pouvoir vertueux dans la vie quotidienne et de l’utilisation judicieuse du pouvoir afin de résoudre les problèmes du monde.

Ces conversations ont eu lieu à l’origine à la résidence du Dalaï Lama à Dharamsala, en Inde, où les scientifiques se réunissent régulièrement depuis 1987 pour discuter des résultats de leurs recherches et trouver des points communs avec le bouddhisme. Comme d’autres livres issus de ces conversations, Power and Care peut être un peu difficile à lire, car il s’agit littéralement d’une version éditée de dialogues sans narration linéaire. Néanmoins, les présentateurs, dont les primatologues Sarah Blaffer Hrdy et Frans de Waal ainsi que la neuroscientifique Tania Singer, nous aident à comprendre cette recherche sur le pouvoir et la façon de l’exercer pour une vie et un monde meilleurs.

Le bon pouvoir et le mauvais

Dans le livre, une chercheuse vedette, la psychologue Alexandra Freund, explique la double nature du pouvoir fondée sur la science du pouvoir. D’une part, le fait d’avoir le pouvoir peut diminuer notre capacité d’adopter le point de vue d’autrui et diminuer notre compassion. Cela peut nous amener à traiter les autres comme des objets et à ne les considérer que comme un moyen de nous faire du bien.

D’autre part, le fait d’avoir du pouvoir nous rend moins angoissés dans les situations sociales et plus résilients si nous sommes rejetés. Cela peut aussi nous rendre plus à l’écoute des autres – si nous avons une nature aimable et serviable en premier lieu – et nous permettre de nous sentir plus authentiques, nous attirer des amis et, bien sûr, avoir de l’influence.

Nous n’avons donc pas besoin de renoncer complètement au pouvoir, dit la Dr. Freund. « Le but n’est pas de s’éloigner du pouvoir, mais plutôt de saisir le pouvoir que nous portons en nous et dans les postes que nous occupons, pour l’utiliser afin de créer un monde plus altruiste et plus compatissant. »

Selon Richard Schwarz, psychiatre à Harvard, l’idée de garder l’équilibre entre notre pouvoir et la prise en compte des autres est importante, car même avoir de la considération envers les autres peut devenir extrême. Les gens peuvent être submergés par une trop grande attention vouée vers l’extérieur, ou même développer une attitude de victimisation s’ils ne savent pas se défendre eux-mêmes. Il cite une étude portant sur des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde, dont une grande partie étaient des femmes catholiques irlandaises qui ont été élevées de façon désintéressée. Une fois qu’ils ont appris à mieux prendre soin d’eux-mêmes, ils ont pu trouver un meilleur équilibre dans leur vie et leur douleur a diminué.

Selon l’économiste Dennis Snower, si nous équilibrons le pouvoir et l’attention qu’on porte aux autres, nous n’avons pas à choisir entre aider les autres et nous aider nous-mêmes. Nous sommes plus susceptibles d’être altruistes et de ne pas faire les choses pour les autres seulement lorsqu’elles nous sont bénéfiques. Il soutient que le désir de prendre soin des autres est encore plus puissant que d’autres choses qui pourraient influencer nos décisions d’aider ou de coopérer avec les autres, comme la façon dont nous sommes élevés ou nos calculs rationnels.

Qu’est-ce qui augmente l’altruisme et la compassion ?

Nous pouvons renforcer notre volonté de nous préoccuper – et de prendre des mesures pour résoudre des problèmes comme la faim dans le monde ou le statut contesté des réfugiés, explique M. Snower – en passant du temps parmi des personnes qui vivent dans des circonstances très difficiles, en apprenant de leurs perspectives et en renforçant notre sentiment d’humanité commune.

Le fait d’être bienveillant « nous permet de bénéficier du fait d’aider les autres, même lorsqu’ils résident au-delà de nos frontières nationales, culturelles et religieuses », indique-t-il.

Les recherches en neurosciences de la Dr Singer et de son équipe à l’Institut Max Planck en Allemagne nous éclairent également sur la façon de nourrir nos instincts de compassion. Ils ont mené des études longitudinales pour comparer les effets de différentes pratiques de pleine conscience axées sur la présence et l’attention, la compassion et les soins, ainsi que la prise de perspective.

L’une de leurs conclusions suggère que les pratiques visant spécifiquement à accroître la compassion – comme la méditation d’amour bienveillant et la pratique de méditation en partenariat – augmentent le plus l’altruisme. Après avoir suivi ces pratiques, les participants ont non seulement ressenti davantage de compassion en voyant d’autres personnes souffrir, mais des changements dans le cerveau liés à une empathie et une compassion accrues se sont manifestés.

« Ce comportement altruiste a émergé plus fortement de la qualité de l’ouverture du cœur », remarque la Dr Singer.

Cependant, elle mentionne aussi que les gens ont plus de difficulté à accéder aux sentiments de compassion qu’à apprendre la présence, ce que presque tout le monde dans son étude a été capable de faire. Cela peut surprendre, mais pas pour le Dalaï Lama. Dans la pensée bouddhiste, la présence et l’ouverture d’esprit sont des conditions préalables au développement d’une plus grande compassion, explique-t-il, parce qu’elles nous permettent de mieux préserver notre tranquillité d’esprit, d’être moins attachés aux résultats et de mieux comprendre la valeur de tous les gens.

Les dirigeants d’organisations qui tentent d’équilibrer le pouvoir et la considération des autres pour semer la paix ou transformer les lieux de travail en lieux plus attentionnés et compatissants, ont également des idées sur ces questions. Par exemple, Jody Williams décrit le travail de PeaceJam, qui réunit des lauréats du prix Nobel de la paix et des jeunes afin d’inspirer l’activisme pour un changement positif. Frédéric Laloux parle d’une organisation d’infirmières à domicile, Buurtzorg, fondée par des infirmières fatiguées d’être obligées de donner des soins de qualité inférieure pour faire économiser de l’argent à leurs employeurs. Une fois qu’elles ont tiré parti de leur sentiment d’appartenance, de leur but et de leur pouvoir partagé, les infirmières ont réorganisé leurs services afin de mieux communiquer avec les patients, d’accroître leur bien-être tout en réduisant les coûts des soins de santé.

Bien que le livre ne convienne pas à tout le monde, ceux qui s’intéressent à la façon dont les principes bouddhistes et la science de la compassion et du pouvoir se chevauchent – ou à ce qu’un chef spirituel pourrait apporter à la pensée scientifique – le trouveront divertissant à lire. Le livre donne au moins quelques idées sur la façon dont nous pourrions trouver un moyen d’équilibrer le pouvoir et la considération envers les autres, pour le bien de l’humanité.

« Le temps est venu de ne plus avoir le sens de la compétition, mais d’harmoniser, de travailler ensemble et de partager les uns avec les autres – d’avoir de la compassion », a déclaré le Dalaï Lama. « C’est ce dont nous avons besoin pour notre propre survie. »

Jill Suttie, qui détient un doctorat en psychologie, est rédactrice en chef de la revue Greater Good’s et collabore fréquemment à la revue Healthline. Cet article a paru à l’origine sur Greater Good, le magazine en ligne du Greater Good Science Center de l’Université de Californie à Berkeley.

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