Guerre des infrastructures : le GPS face à la menace croissante de la Chine

Par Simon Veazey
20 juillet 2020 21:02 Mis à jour: 20 juillet 2020 21:02

Bouclant leur orbite autour de la terre toutes les 11 heures et 58 minutes, les satellites GPS sont les horloges atomiques qui synchronisent les rouages électroniques de la civilisation, permettant de pomper le pétrole dans les oléoducs, de faire circuler l’argent aux distributeurs automatiques et de fixer les missiles de croisière sur leur cible.

Longtemps considérés comme un talon d’Achille potentiel, les systèmes de navigation et de positionnement par satellite sont des pièces de plus en plus importantes dans les enjeux géostratégiques avec la Russie, et plus encore avec la Chine.

Pendant des décennies, les systèmes GPS américain et GNSS russe, lancés pendant la guerre froide, ont été les seuls systèmes véritablement mondiaux.

Le 23 juin, cela a changé lorsque le dernier satellite du système chinois BeiDou est entré en orbite. L’UE doit également achever cette année son propre système concurrent, Galileo.

BeiDou renforcera considérablement la portée des infrastructures de l’initiative phare de la Chine en matière de politique étrangère, « la Ceinture et la Route ». Comme d’autres systèmes de navigation, BeiDou fournit la boussole et la carte numériques pour le système de ciblage militaire de l’Armée populaire de libération (APL).

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Parallèlement, le GPS américain, de plus en plus vulnérable aux brouillages et aux attaques physiques, a besoin d’être mis à niveau.

Une semaine seulement après l’achèvement de BeiDou, la commission des services armés du Sénat américain a proposé une loi qui remplacerait le système GPS américain dans les trois prochaines années. Cette proposition fait écho aux inquiétudes de la communauté de la Défense, qui craint que la mise à niveau prévue du GPS – GPS III -, résistant aux brouillages, ne suffise pas à protéger le système contre les menaces croissantes.

Une question de temps

« BeiDou pose des défis à la fois militaires et politico-commerciaux aux États-Unis », a déclaré Rick Fisher, chercheur principal au Centre international d’évaluation et de stratégie, à Epoch Times par courrier électronique. « Le système BeiDou, qui vient d’être achevé, sera un élément clé de la future projection mondiale de l’APL, car il permettra également de cibler avec précision une grande variété d’armes conventionnelles et nucléaires. Contrairement au GPS, BeiDou dispose d’une capacité de communication secondaire par messagerie texte, ce qui facilite l’organisation des forces de l’APL à proximité et loin de la Chine. »

Mais en plus de la construction de BeiDou, l’APL a développé le pouvoir d’aveugler, de désorienter et même de détruire le système GPS des États-Unis.

Selon Rick Fisher, « l’APL comprend que le système satellitaire militaire américain est un multiplicateur de force crucial ; attaquer des satellites de communication et de navigation dégradera la dissuasion nucléaire américaine et diminuera considérablement la capacité américaine à projeter une force pour s’opposer à une agression chinoise, telle qu’une attaque contre Taïwan ».

La dernière fusée Delta II GPS décolle de la base aérienne de Cape Canaveral et du site de lancement SLC-17A le 17 août 2009 à Cape Canaveral, en Floride. (Matt Stroshane/Getty Images)

Selon Dean Cheng, chercheur principal à la Heritage Foundation, il est important de noter que le GPS n’est pas à proprement parler un système de navigation, mais un système de chronométrage.

« Nous avons tendance à dire que si vous pouvez vous amuser avec le GPS, alors les missiles s’égareront, les pétroliers finiront par foncer sur la statue de la Liberté et les avions de ligne s’écraseront sur le sol. Et tout cela est peut-être vrai. Mais la fonction de chronométrage est importante, car elle touche bien plus que la navigation », a déclaré M. Cheng à Epoch Times

« Tant de pièces d’infrastructure – production d’électricité, lignes électriques sur des milliers de kilomètres, stations de pompage – utilisent en fait le signal de synchronisation pour s’assurer que tout fonctionne bien. »

Le meilleur exemple, selon M. Cheng, est celui des oléoducs et des gazoducs. Pour éviter les ondes de pression, les nombreuses pompes-relais dans un pipeline doivent agir de manière asynchrone. Pour ce faire, elles captent les signaux de synchronisation émis par les satellites GPS, dont chacun possède une horloge atomique à bord.

Même les opérations boursières automatisées prennent des signaux de synchronisation du GPS.

Les lasers et les armes robotisées

L’APL est bien consciente de la dépendance au GPS, explique M. Cheng. « Si je peux interférer avec votre signal GPS, je peux non seulement faire rediriger vos missiles, etc. mais je pourrais aussi vous imposer des coûts stratégiques dans votre pays sans que je ne lance jamais un seul ICBM (missile balistique intercontinental). »

L’idéologie militaire de l’APL comprend la dégradation et l’attaque du système GPS américain en temps de paix comme en temps de guerre, a déclaré le Dr Robert J. Bunker, professeur adjoint de recherche à l’Institut d’études stratégiques de l’U.S. Army War College, à Epoch Times par courrier électronique.

« Cela comprend le remplacement du GPS par le système BeiDou (BDS) par certains États utilisateurs actuels pour des raisons économiques et politiques, le développement de capacités de ciblage en temps de guerre et de dégradation du système, et le développement de scénarios concernant les capacités potentielles de première frappe contre tous les dispositifs C4ISR américains basés dans l’espace qui incluent le GPS ».

Le C4ISR désigne le commandement, le contrôle, les communications, les ordinateurs, le renseignement, la surveillance et la reconnaissance : tout, des satellites d’espionnage aux satellites de commandement militaire.

En d’autres termes, l’APL est en train de mettre en place un scénario de lutte armée qui implique la suppression de l’infrastructure satellitaire.

En plus des explosifs, selon le Dr Robert J. Bunker, les satellites peuvent être physiquement ciblés par des faisceaux d’énergie tels qu’un laser à haute puissance. Leurs circuits électroniques peuvent également être grillés par une impulsion électromagnétique provenant d’un dispositif nucléaire, ou plus vraisemblablement d’un dispositif précis émettant des micro-ondes ou d’une sorte de mine magnétique. Les attaques peuvent également provenir de « satellites mobiles d’inspection en orbite équipés d’armes robotisées et d’autres éléments armés », a-t-il déclaré.

La Chine aurait testé en 2012 son intercepteur antisatellite DN-2, basé au sol et capable de fonctionner en orbite terrestre moyenne, dit M. Fisher, « il est donc probable qu’elle ait eu la capacité d’attaquer les satellites GPS de manière cinétique depuis le milieu de la dernière décennie ».

Le 5 mai 2020, une fusée Longue Marche 5B décolle du site de lancement de Wenchang sur l’île de Hainan, dans le sud de la Chine. (STR/AFP via Getty Images)

« Lorsque la Chine commencera à construire sa première station spatiale en 2021, elle utilisera une structure modulaire similaire à l’ancienne station spatiale soviétique MIR. Cela signifie que la Chine pourra, si elle le souhaite, installer des ‘modules de combat’ armés qui seront très probablement capables d’attaquer le GPS et la plupart des autres satellites.« 

Comme des petits hommes verts

Il n’est pas facile de cibler physiquement le système GPS depuis le sol, explique M. Cheng. Il y a une certaine redondance dans le système, et la plupart des plus de 30 satellites à un moment donné ne sont pas au-dessus de la Chine. Ainsi, abattre des satellites aurait un impact immédiat limité, mais pourrait à terme détruire le système.

Une autre option consiste à cibler physiquement les systèmes au sol qui fournissent les mises à jour et le support, ce qui entraînerait une dégradation progressive du système.

Mais M. Cheng a souligné que les cyber-attaques étaient une possibilité clé.

« Si je pouvais, par exemple, introduire quelque chose qui provoquerait l’arrêt de tout le réseau, ce serait parfait, n’est-ce pas ? Je ne tue rien, je n’endommage rien, je coupe juste tous les satellites. Ou je pourrais éventuellement essayer d’infecter les satellites avec quelque chose qui gâcherait le signal de synchronisation. »

Une autre forme d’attaque électronique est le brouillage. « Je pourrais brouiller sur terre l’endroit où le signal est reçu, ou je pourrais mettre quelque chose en orbite et essayer de brouiller le signal depuis l’espace. »

Le brouillage peut cependant être détecté et localisé grâce à son signal électromagnétique.

Des méthodes comme le brouillage et les cyber-attaques par GPS conviennent également au mode de fonctionnement de prédilection de l’APL, qui consiste à lutter dans l’ombre géopolitique plutôt qu’à mener une guerre ouverte.

Tout comme le président russe Poutine a saisi la Crimée et certaines parties de l’Ukraine avec ses « petits hommes verts » sans déclencher de réaction de l’Occident, le Parti communiste chinois (PCC) s’est appuyé sur des moyens de guerre irréguliers pour avancer vers ses objectifs stratégiques, comme l’utilisation de bateaux de pêche militarisés pour se disputer les avantages et la construction d’îles artificielles dans les eaux contestées.

Le GPS deviendrait l’un des outils du kit de l’APL pour manœuvrer à leur avantage dans divers scénarios au-dessus et en dessous du seuil de conflit, dit M. Cheng.

« Si je mets un brouilleur, disons, sur les îles Spratlys, qu’est-ce que j’aurai fait ? J’aurai rendu un peu plus difficile l’installation d’une bombe JDAM ou d’une autre arme sur une piste d’atterrissage des Spratlys. Est-ce que c’est la guerre… ? Et si je ne fais rien d’autre… ? Ce n’est même pas un danger pour le trafic civil, n’est-ce pas ? »

« Et si j’efface la plus grande partie de la mer de Chine méridionale ? C’est un peu plus dangereux. C’est un gros risque. Mais encore une fois, est-ce que c’est la même chose que de lancer des missiles à Manille ? Non. [Pékin] ferait une chose pareille ? Très probablement, car ils parlent aussi de dissuasion spatiale, c’est-à-dire d’utiliser des actions dans l’espace pour contraindre leurs adversaires potentiels. »

Une fusée Delta 2 de l’US Air Force est lancée depuis l’aire 17A de la base aérienne de Cape Canaveral en Floride le 7 octobre 1999. La fusée Delta à trois étages transportait le troisième satellite de positionnement global NAVSTAR en orbite pour remplacer un satellite vieillissant du réseau GPS de l’armée de l’air. (Bruce Weaver/AFP via Getty Images)

Préserver le Parti à tout prix

Ensuite, il y a l’avantage du déni, dit M. Cheng.

« L’espace lui-même est un environnement très, très dangereux, avec beaucoup de radiations, des températures extrêmes – les systèmes ne fonctionnent pas. Il est donc difficile de savoir si un satellite est mort parce que quelqu’un l’a attaqué, ou parce que quelqu’un a fait une cyber-attaque, ou parce qu’un rayon cosmique l’a frappé dans le mauvais sens, ou encore parce qu’il y avait une petite météorite. Et bien sûr, vous ne pouvez pas simplement aller sur place et vérifier. »

Cette ambiguïté peut être manipulée pour obtenir un avantage stratégique, a déclaré M. Cheng.

Mais il a ajouté qu’une attaque par GPS ne se produirait pas de manière isolée, et qu’elle se produirait probablement en même temps que d’autres actions militaires, économiques et diplomatiques.

Par exemple, il a dit que certains satellites pourraient mystérieusement se déconnecter au moment où le PCC arrêterait des dissidents à Hong Kong et tirerait des missiles au milieu de la mer de Chine méridionale.

Grey Autry, expert de l’espace et co-auteur de Death by China (mort par la Chine), met en garde contre la menace que représentent les programmes spatiaux chinois depuis deux décennies. Selon lui, au cours des deux ou trois dernières années, la communauté de la Défense a pris conscience de la menace.

« Ils étaient tellement occupés par l’extrémisme islamique et les préoccupations en Asie, en Austrasie et au Moyen-Orient qu’ils ne pouvaient pas voir ce que la Chine faisait », a déclaré Grey Autry à Epoch Times. « Mais maintenant, il ne fait aucun doute que c’est l’ennemi public n° 1. »

Comme M. Cheng, Grey Autry dit que la menace du GPS ne peut pas être considérée isolément.

« Tout ce qui concerne la Chine doit être considéré comme une vision stratégique large et systémique. Trop souvent, les États-Unis ont réagi en examinant tactiquement des questions individuelles comme l’attaque du système GPS et en cherchant à savoir comment y remédier. Alors vous êtes comme le petit Hollandais qui met son doigt dans le barrage. »

Grey Autry met en garde contre le fait de supposer que le PCC est un acteur rationnel comme les nations démocratiques.

« Le fait que les Chinois visent manifestement le système de géolocalisation devrait faire réfléchir le monde entier. Ils se préparent à le supprimer », a-t-il déclaré. « Le rôle du gouvernement chinois n’est pas d’assurer la prospérité et le bonheur de sa population, comme c’est le rôle du gouvernement américain. Le rôle du gouvernement chinois est de s’assurer du maintien du Parti communiste à tout prix, et le peuple et l’économie sont un outil pour atteindre cet objectif. »

« De sorte que s’ils décident que c’est le meilleur choix et qu’il se trouve que cela coûte des vies, des emplois, ou une baisse du niveau de vie en Chine, ils le feront certainement. Nous l’avons vu à maintes reprises. »

L’avenir est petit

Grey Autry note que le système GPS a été développé à l’origine par l’armée américaine, mais qu’il a ensuite été adapté pour être utilisé dans le monde entier à des fins civiles, ce qui a ainsi révolutionné la navigation.

« Il est important de comprendre que c’était littéralement un cadeau des États-Unis au monde entier qui n’a pas la reconnaissance qu’il mérite », dit-il. « Mais c’est vieux. Il y a donc beaucoup plus de choses que nous pourrions faire pour rendre le système plus résistant et plus viable. »

Il a déclaré qu’il pense qu’une future mise à jour aura un cryptage plus fort, ce qui rendra le spoofing plus difficile. Le spoofing consiste à imiter un signal satellite afin de brouiller les calculs de positionnement.

« La capacité à pénétrer dans les structures et à créer des obstructions naturelles pourrait également être améliorée. »

Mais l’augmentation du nombre de satellites dans le système pourrait être une solution clé, dit Grey Autry.

M. Bunker et M. Fisher sont d’accord.

M. Bunker fait référence à l’amélioration de la technologie des mini-satellites modulaires appelés « cube sats », qui ne font que 10 cm de diamètre.

Une fusée porteuse Longue Marche-3B transportant les 24e et 25e satellites de navigation Beidou décolle du centre de lancement de satellites de Xichang, en Chine, le 5 novembre 2017. La Chine a lancé les deux satellites Beidou de troisième génération dans le but de soutenir son réseau mondial de navigation et de positionnement. (Wang Yulei/China News Service/VCG via Getty Images)

« J’aimerais voir un système GPS plus robuste et plus moderne, qui soit beaucoup plus distribué et basé sur un réseau, qui repose sur un grand nombre de petits satellites – y compris des centaines de satellites cubiques moins chers à mesure que la technologie devient disponible – à des fins de prise de relai, de renforcement et de capacité de survie », a-t-il déclaré.

M. Fisher estime également que la miniaturisation pourrait être la clé du succès. « L’armée américaine a déjà fait beaucoup de travail en appliquant la technologie du gyroscope laser pour effectuer la navigation dans des environnements où le GPS est refusé. Réduire cette capacité à de très petites micropuces offrirait un moyen potentiellement peu coûteux de compenser le refus du GPS de nombreuses plateformes. »

En attendant, le PCC va déployer l’accès au système BeiDou dans le cadre de son initiative de la Ceinture et la Route, explique M. Cheng, en fermant l’accès à d’autres nations sur l’orbite de la Chine.

En effet, toute infrastructure reposant sur la synchronisation des fonctions de navigation par satellite sera équipée d’un kit dépendant du système BeiDou.

« Si je construis un pipeline dans le cadre de l’initiative de la Ceinture et la Route au Kazakhstan, ces stations de pompage sont reliées à BeiDou et non à un GPS », a déclaré M. Cheng. « Si le Kazakhstan veut ensuite dire au revoir à la Chine, la Chine peut dire ‘Ok, bonne chance’. Je vais éteindre votre GPU, vos récepteurs bêta, et bonne chance pour trouver comment obtenir un signal différent parce que vous ne m’avez pas payé pour faire ça. »

En outre, pour toute nation achetant le futur kit militaire de la Chine, comme des missiles, des missiles de croisière, ceux-ci seront également liés à son système BeiDou.

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