Hildegarde de Bingen : visionnaire en harmonie

Avec ses visions célestes, cette abbesse a répandu un message de beauté et de joie

Par Andrew Benson Brown
11 février 2023 19:27 Mis à jour: 6 mai 2023 12:15

Des moines bouddhistes et jaïns aux mystiques soufis, toutes les religions reconnaissent des traits communs de sainteté.

L’abnégation, la patience, l’humilité et la douceur sont quelques-unes des caractéristiques qui viennent à l’esprit. Au Moyen-Âge, la civilisation européenne a incarné cet idéal dans le statut qu’elle accordait aux membres des disciplines monastiques. Dans l’esprit médiéval, les moines et les nonnes remplissaient un objectif extrêmement pratique : accomplir des œuvres de charité et prier pour l’humanité.

L’un des plus grands de ces personnages est Hildegarde de Bingen. Ses écrits, de façon surprenante, n’adhèrent pas à la dichotomie stéréotypée qui oppose l’ascète profond, mais austère, à l’hédoniste joyeux et superficiel. Pour elle, la vie n’était pas seulement une épreuve d’endurance, mais une source de beauté et de joie.

Vers 1151, Hildegarde a publié son premier livre, « Scivias », ou « Connaître le chemin ». Rédigé sur une période de 10 ans, il comprend la description et l’interprétation de 26 visions sur la Création, la Rédemption et la Sanctification. (Domaine public)

Née prophétesse

Hildegarde est née en 1098 à Bermersheim, en Allemagne, et était la plus jeune de 10 enfants. Dès son plus jeune âge, elle a été sujette à des visions vives et émotionnellement intenses. Comme elle l’observera plus tard, Dieu les avaient « imprimées » dans son âme dans le ventre de sa mère. À l’âge de 3 ans, elle a vu « une grande lumière ». Sa première vision articulée est apparue à l’âge de 5 ans, lorsqu’elle a prédit le moment précis de la naissance d’un veau et sa couleur. Si certaines de ces visions étaient agréables, comme des châteaux incrustés de bijoux, beaucoup d’entre elles étaient bizarres et même horribles : des bêtes crachant du feu ou des femmes enceintes portant des hommes adultes dans leur ventre.

Hildegarde était une enfant chétive qui est devenue une adulte à la santé fragile. Sa faible constitution a été considérée comme une preuve supplémentaire de sa forte nature spirituelle. À l’âge de 8 ans, ses parents l’ont envoyée au monastère de Disibodenberg. Elle y vécut avec une anachorète nommée Jutta et y passa une grande partie de son temps à lire des livres de bibliothèque.

Le monastère attira d’autres nonnes, devint un couvent et finit par élire Hildegarde comme abbesse après la mort de Jutta. Tout au long de sa vie, les gens étaient naturellement rebutés par ses visions troublantes, si bien qu’elle commença à ne plus en parler. Mais après être devenue abbesse, elle a commencé à les mettre par écrit. Vers 1151, elle a publié son premier livre, « Scivias », ou « Connaître le chemin », avec la bénédiction du pape Eugène III. Rédigé sur une période de 10 ans, il comprend la description et l’interprétation de 26 visions sur la Création, la Rédemption et la Sanctification.

Hildegarde est reconnue comme voyante. Elle a écrit d’autres livres de sagesse et de médecine populaire, a composé de la musique, a parcouru l’Allemagne pour donner des sermons et a conseillé les hauts responsables de l’Église et de l’État. Elle a attiré de nombreux adeptes et a fondé sa propre abbaye, à Rupertsberg. Lorsque celle-ci devint trop grande, elle en fonda une autre à Eibingen. Construite en 1165, cette dernière structure existe encore aujourd’hui.

La richesse de l’âme

Le monastère de Disibodenberg, situé sur un site entre deux rivières, bénéficiait d’une végétation abondante. Aujourd’hui encore, ses ruines dégagent l’ambiance d’un lieu saint et paisible. Il a inspiré un concept central qui imprègne tous les écrits d’Hildegarde : « viriditas ». Ce terme signifie littéralement « verdure » et a souvent été traduit par « humidité ». Cependant, ce mot a plutôt une connotation de luxuriance qui donne la vie. Hildegarde l’a utilisé pour décrire le souffle divin dans toutes les bonnes choses, grandes et petites. Les saints incarnent la viriditas, tandis que les moines et les nonnes paresseux en sont dépourvus. C’est à la fois la source de la vertu et un objectif que les novices doivent atteindre.

« L’âme est la force vitale du corps », écrit-elle, « tout comme l’humidité [viriditas] est la force vitale d’une plante. L’humidité permet à la plante de croître et d’être féconde ; ainsi, l’âme permet au corps de se comporter comme il se doit et d’être vertueux » (« Livre des œuvres divines », 4.21).

Hildegarde ne considérait pas le monde matériel comme un simple voile de larmes ou un berceau de tentation, mais comme un lieu magnifique où l’homme et la nature existent en équilibre. Elle nous enjoint d’utiliser toutes nos facultés (âme, corps, émotions et esprit) pour apprécier la Création : « Vous comprenez si peu ce qui vous entoure parce que vous n’utilisez pas ce qui est en vous » (« Scivias », 1.2.29). Elle pensait que la sagesse donnait aux gens la liberté morale de cultiver de bonnes habitudes et de s’épanouir dans un but plus élevé : « Bien qu’il soit de petite taille, l’être humain est puissant en esprit. Tant que ses pieds sont sur terre, sa tête peut atteindre de grandes hauteurs spirituelles » (« Physica« , 761).

La science rencontre la foi

Les spécialistes modernes ont diagnostiqué chez Hildegarde diverses affections médicales pour expliquer ses visions. Le célèbre neurologue, Oliver Sacks, a peut-être fait l’identification la plus convaincante dans son livre « Migraine« .

Il a fait référence à un manuscrit de « Scivias » écrit vers la fin de la vie d’Hildegarde, dans lequel ses visions étranges sont accompagnées d’illustrations tout aussi étranges. Il a observé que les dessins basés sur les descriptions d’Hildegarde (des figures rayonnant de lumière sur des lignes concentriques et ondulées) sont très similaires à un type de migraine qui se manifeste par des lumières vives sur un fond sombre. L’expérience d’Hildegarde de la chute d’étoiles dans la mer, qu’elle interprétait de manière allégorique pour représenter la chute des anges rebelles du ciel, est littéralement, selon les mots du Dr. Sack, « une pluie de phosphènes en transit à travers le champ visuel, leur passage étant suivi d’un scotome négatif ».

Mais une telle rationalisation rejette-t-elle l’origine divine des visions d’Hildegarde ? Le Dr. Sacks répond par la négative. Sa maladie a changé le cours de sa vie et lui a donné « l’inspiration extatique » pour diriger, conseiller, guérir les autres et être une force du bien dans le monde. Malgré leurs origines physiologiques, ses expériences mystiques étaient authentiques et leurs effets étaient réels. La leçon à tirer est que la science et la foi, loin d’être incompatibles, en fait, s’interpénètrent.

Courage et canonisation

Tout au long de sa vie, Hildegarde a fait preuve de courage moral en s’opposant aux autorités qui voulaient contrôler son statut de visionnaire pour leurs propres intérêts. Lorsque l’abbaye de Disibodenberg s’est enrichie grâce à un afflux de dons dû à la présence d’Hildegarde, l’abbé a d’abord refusé de la laisser partir avec ses religieuses pour en fonder une nouvelle (en d’autres termes, il manquait de « viriditas »). Lorsqu’elle persiste dans son ambition, il incite ses moines à susciter l’hostilité de la population locale. Accusée de folie et de falsification de ses visions, Hildegarde tomba malade dans son lit. Elle ne bougea, ni ne parla pendant des semaines. Finalement, l’abbé, craignant qu’elle ne meure, accède à sa demande et sa santé se rétablit.

En d’autres occasions, elle a réglé des conflits avec des moines autoritaires en faisant appel au pape. Finalement, elle a acquis l’indépendance nécessaire pour diriger ses moniales avec un minimum de surveillance. Son exemple moral et ses réalisations lui ont valu une admiration durable, et en 2012, la « Sibylle du Rhin » a été nommée docteur de l’Église, l’un des 37 théologiens estimés à recevoir ce titre. Les chercheurs spirituels continuent de trouver un encouragement dans son mélange des domaines matériel et immatériel.

Dans son livre « Causes et remèdes », Hildegarde écrit : « Lorsque les éléments dont le monde fonctionnent en harmonie, le sol est sain, les arbres donnent des fruits abondants, les champs donnent des récoltes abondantes, et tous sont heureux. Mais si les éléments ne fonctionnent pas en harmonie, alors le monde devient malade. Il en va de même pour les êtres humains. »

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