Immigration : « Il faut quitter la Convention européenne des droits de l’homme », soutient Pierre-Marie Sève

Par David Vives
19 janvier 2024 20:40 Mis à jour: 2 février 2024 15:46

Malgré son vote par le Parlement en décembre, la loi immigration continue de susciter l’indignation à droite comme à gauche.  Malgré une législation longue de 27 points s’attaquant à la distribution de prestations sociales, la restriction de régularisations des sans-papiers, le durcissement du droit du sol, Pierre-Marie Sève, président de l’Institut pour la Justice, en est persuadé : dans le grand ordre des choses — des textes européens —, la loi française n’aura qu’un impact limité. Exemples en main, il explique pourquoi la France devrait désormais suivre d’autres exemples européens pour juguler l’immigration illégale.

Epoch Times : Quelle analyse portez-vous sur la loi immigration votée en décembre, faut-il y voir une amélioration en matière de contrôle de l’immigration ?

Alors, le problème, c’est que l’immigration aujourd’hui est un thème extrêmement important pour tous les Français, mais la législation sur l’immigration est extrêmement technique. Il ne s’agit pas seulement de droit français, la loi immigration n’est qu’une toute petite partie du problème.

Vous avez, par exemple, la législation européenne, la Convention européenne des droits de l’homme, sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a une incidence immense sur l’immigration, notamment l’immigration illégale. La Cour de justice de l’Union européenne aussi, qui est un tribunal d’un autre ordre juridique, vous avez l’ordre juridique français, l’ordre juridique de la Convention européenne des droits de l’homme, l’ordre juridique du droit de l’Union européenne. Tous ces ordres juridiques sont différents. Ils sont en concurrence sans que jamais personne, aucune autorité, n’ait clarifié qui a quelle juridiction sur quoi. Ce qui fait que dans les faits, tout le monde a juridiction sur tout, et l’on a des décisions qui parfois entrent en contradiction. Et malheureusement, celle qui l’emporte sur tout le reste, c’est la Convention européenne des droits de l’homme, c’est la Cour de justice de l’Union européenne.

Et ces deux tribunaux ont décidé, avec le temps, d’intervenir dans tous les sujets, dans tous les pans de la société. Ils ne respectent absolument pas le principe de bonne hiérarchisation, de chaque autorité qui opèrent à leur niveau.

Non, le projet de loi immigration ne réglera pas les problèmes liés à l’immigration, qui sont des problèmes d’ordre culturel, d’ordre éducatif et d’ordre sécuritaire

On a donc une législation dans tout, y compris dans l’immigration, y compris dans le droit pénal. Et au passage, pendant très longtemps, le droit pénal était l’un des seuls droits où l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme n’intervenaient pas ou en tout cas très peu. Et au fur et à mesure du temps, on peut le voir d’année en année, de décision en décision. Chaque année où vous faites le bilan des décisions qui ont été prises, c’est une nouvelle édiction de ces cours dans la loi française et de chaque pays de l’Union européenne. Et de la Convention européenne dans l’homme qui s’étend au-delà de l’Union européenne. Donc c’est un sujet extrêmement technique.

Malheureusement, la loi dont il est question ne peut avoir qu’un petit impact sur l’ensemble de la législation qui concerne l’immigration. Et donc on ne peut absolument pas penser que ce projet de loi d’immigration va régler le problème de l’immigration, des problèmes qui sont extrêmement larges et que les Français voudraient voir réglés depuis longtemps. Ce qu’il faudrait réellement, c’est une révolution juridique, une révolution judiciaire, puisqu’il faudrait revenir sur toute cette construction européenne, pouvoir en tout cas la réformer en l’état actuel des choses. Donc c’est un très vaste problème. Non, le projet de loi immigration ne réglera pas les problèmes liés à l’immigration, qui sont des problèmes d’ordre culturel, d’ordre éducatif et d’ordre sécuritaire, bien entendu.

Donc non, nous sommes encore bien loin du compte, même si c’est une avancée et que toute avancée est bonne à prendre.

Gérald Darmanin avait juré que la France n’accueillerait pas un seul migrant de Lampedusa, avant de finalement se rétracter, suivant la recommandation de l’UE faite aux États de prendre à leur charge ces migrants. Faut-il croire que nos dirigeants ont le choix de l’immigration arrivant sur le sol français ?

En fait, la France, le gouvernement français n’est pas maître de ces décisions concernant l’immigration en l’état actuel des choses. Maintenant, la légitimité dans les États occidentaux, c’est le peuple. Ce sont les citoyens qui votent et le gouvernement français est le seul, sur le sol français, à avoir cette légitimité-là. Le président de la République a été élu, et donc, à ce titre, il a toutes les clés en mains et toute légitimité pour se défaire des éventuels carcans européens. Il a les mains entièrement libres, la légitimité démocratique pour le faire, pour se libérer de ces carcans-là. Et à mon avis, il ne peut donc pas fuir ses responsabilités.

Gérald Darmanin avait dit, par exemple : « Nous allons être condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme, mais peu importe, nous ne respecterons pas leur décision’’. À mon avis, c’est une erreur dans ce sens qu’il ne s’agit que d’une demi-bonne action. Il faut prendre les choses à bras à le corps, il faut quitter la Convention européenne des droits de l’homme, pour la rejoindre à nouveau avec des réserves d’interprétation qui permettraient de ne pas respecter certaines parties. C’est ce qu’a fait, par exemple, le Danemark.

Cela fonctionnerait. Mais Gérald Darmanin, plutôt que de dire « On quitte, puis l’on revient », il dit : « On reste, mais on ne va pas respecter les textes européens ». Eh bien si, on va les respecter. 

Pierre-Marie Sève, président du think tank Institut pour la Justice. (David Vives/NTD NEWS)

En l’occurrence, voici un exemple : la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour avoir expulsé un homme en Ouzbékistan. Un homme qui, visiblement, traînait des casseroles.

Nous vivons une forme de justice médiatique à deux vitesses. Les médias font partie de la justice quand ils jettent l’opprobre ou choisissent d’encenser une personne plutôt qu’une autre.

Que s’est il passé ? Un mois plus tard, le Conseil d’État a dit au gouvernement : « Vous devez respecter cette décision de la Cour européenne des droits de l’homme’’. Il a donc désavoué Gérald Darmanin et a dit au gouvernement : « Vous êtes obligé d’aller le chercher sous astreinte, je crois, 300 euros par jour’’. Le séjour irrégulier paie plutôt bien pour le contrevenant : 300 euros par jour. Cette personne à tout intérêt a rester en Ouzbékistan le plus longtemps possible et a faire en sorte de ne pas être retrouvé par les autorités françaises pour être amené en France.

L’Institut pour la Justice opère une veille des décisions de justice au niveau national. Vous dénoncez aujourd’hui une justice française à deux vitesses. Qu’avez vous observé qui justifie cette conclusion ?

Ce sont des cas concrets. Un exemple qui me vient tout de suite en tête, c’est l’affaire d’Axelle Dorier, une jeune fille qui fêtait son anniversaire, 23 ans, à Lyon, et qui a été traînée sur 800 mètres, qui a vu son corps être pulvérisé sous la voiture pendant 800 mètres, pendant qu’elle était vivante. C’est donc absolument abominable. J’invite à lire les rapports du médecin légiste qui sont sur Internet. Ils sont absolument abominables.

La personne responsable de cela, qui encourait 12 ans de prison, a dit le lendemain du procès : « On est ravi, puisque dès l’année prochaine, on va pouvoir demander un aménagement de peine pour sortir de prison dans 3 ou 4 ans’’. Cela me pose un très gros problème. C’est cela, la justice complètement laxiste.

Mais d’un autre côté, la justice peut être très sévère. C’était le cas lors du confinement : une dame de 75 ans, atteinte de la maladie d’Alzheimer, s’est trompée de date sur son attestation de sortie. Les gendarmes lui ont adressé une amende. Et lorsque la fille de cette dame conteste l’amende en disant : « Ma mère a Alzheimer », le tribunal dit non, l’amende va rester. Et en plus elle est majorée, parce que depuis le temps, vous n’avez pas payé, vous allez devoir payer 300 euros. Là, on n’est pas du tout dans le laxisme.

Il y a encore trop d’exemples. À Nantes, un homme qui a traîné un policier sur plusieurs dizaines de mètres a été condamné à 35 heures de travail d’intérêt général. Cela paraît complètement hallucinant. J’ai le sentiment que moi, quand j’oublie de régler mon parcmètre dans Paris, je me fais bien plus punir par l’État français qu’un Koweïtien, dans une autre affaire, qui a frappé des policiers dans la rue, puis à nouveau au commissariat, et s’en sort avec 300 euros de sursis.

Objectivement, l’État français m’a plus puni que cet homme qui a frappé des policiers. Cela me pose un sérieux problème. C’est vraiment une justice à deux vitesses. Je pense que c’est la définition même de l’injustice, et l’injustice est très marquée dans la société. Ce sont les injustices qui font couver les révolutions. Je rappelle, la révolution française, la révolution russe, ce sont des catégories de la population qui ont l’impression de donner beaucoup plus qu’elles ne reçoivent et à un moment, la marmite devient pleine et elle déborde. Je ne souhaite à personne une révolution, une révolution au sens propre dans le sang et par les armes. Je pense qu’il faut même à tout prix l’éviter. C’est pour cela que l’on essaie de régler ces problèmes-là en réformant, en réformant en profondeur, parce qu’au point où l’on en est, il faut réformer la justice en profondeur, par la loi. 

Au sujet des violences que l’on rencontre aujourd’hui en France, certains médias choisissent de ne pas couvrir certains faits. On l’a récemment vu à Crépol, où un jeune homme de 16 ans s’est fait assassiner durant un bal local…

En l’occurrence, nous vivons une forme de justice médiatique à deux vitesses. Les médias font partie de la justice quand ils jettent l’opprobre ou choisissent d’encenser une personne plutôt qu’une autre. Les médias ont leur comportement, ils sanctionnent, c’est aussi une manière de régulation sociale.

Effectivement, on l’a vu, des médias dits de gauche tels que France Info, etc. ont choisi de ne pas couvrir l’affaire de Crépol alors qu’elle a légitimement soulevé l’indignation de la France entière.

Selon moi, c’est clairement un biais idéologique, un agenda idéologique et politique. Certains médias, comme France Info, ont un biais. Récemment, je me suis penché sur l’affaire d’une jeune fille qui s’appelle Claire, qui a été violée par un migrant sous obligation de quitter le territoire depuis déjà presque 3 ans. Il avait par ailleurs déjà été incarcéré, mais depuis remis en liberté. Cela a fait un peu le tour des médias. Et là encore, France Info ne veut pas en parler, même pas une brève.

C’est un biais idéologique. Après, les médias ont toujours eu des biais idéologiques. Moi, je les appelle à être le plus objectif possible. En l’occurrence, quand cela concerne France Info, quand c’est payé par les impôts de tous les Français, cela commence à poser des problèmes. Justement, un service public devrait être absolument représentatif, le plus possible, des différentes opinions exprimées par la population française.

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