Opinion
« La dématérialisation des procurations ouvre la porte à un risque systémique de fraude électorale » : Me Arnaud Durand
ENTRETIEN - Passé presque inaperçu, un décret entré en vigueur le 3 novembre ouvre la voie aux procurations électorales 100 % dématérialisées, réalisables en quelques clics via l’application France Identité. Une rupture majeure pour l’avocat Arnaud Durand, qui estime que cette mesure fait sauter un garde-fou démocratique essentiel : la vérification humaine du consentement en commissariat. À ses yeux, ce nouveau dispositif crée une zone grise propice à des fraudes à grande échelle.

L'avocat Arnaud Durand.
Photo: DR
Epoch Times : En vertu d’un décret passé relativement inaperçu le 3 novembre, il n’est désormais plus obligatoire de faire valider une procuration au commissariat ou à la gendarmerie pour autoriser quelqu’un à voter à sa place. Il est désormais possible d’établir une procuration directement via l’application France Identité, qui permet déjà de stocker plusieurs documents administratifs, comme le permis de conduire ou la carte d’identité numérique. Pourquoi estimez-vous que cette mesure fait peser un risque sur la sincérité des scrutins électoraux ?
Me Arnaud Durand : Ce décret, qui sera applicable à l’ensemble des scrutins à venir, qu’ils soient municipaux, législatifs ou présidentiels, peut se lire de deux manières. La première lecture, officielle, promeut la participation électorale en simplifiant les démarches. Sur le papier, faciliter l’exercice du droit de vote est un objectif parfaitement légitime et conforme à l’idée que la démocratie doit encourager l’engagement citoyen.
La seconde lecture soulève un risque démocratique réel. Si l’intention avait été uniquement de favoriser la participation, la dématérialisation des procédures aurait dû être assortie de garanties de sécurité renforcées. Or, ce décret supprime un élément central du dispositif du régime de procuration : la vérification humaine de l’existence physique de l’électeur, ainsi que de son consentement à faire exercer son droit de vote par un tiers.
L’exigence de venir physiquement faire valider sa procuration n’était pas une simple formalité bureaucratique. Lorsque vous présentiez votre formulaire ou le numéro généré en ligne, l’officier de police judiciaire constatait de facto votre volonté : que votre démarche se faisait librement et sans aucune contrainte.
Jusqu’ici, ce contrôle constituait un garde-fou indispensable, protégeant le processus contre les pressions, manipulations ou détournements. Un dispositif reposant sur un principe fondamental : dans une démocratie, le vote s’exerce en personne. Le vote par procuration reste une exception, strictement encadrée afin de garantir la sincérité du scrutin. C’est un transfert exceptionnel d’un droit civique, le droit de vote, qui demeure le bien le plus précieux de chaque citoyen en démocratie.
Les défenseurs de cette mesure soulignent qu’il faut disposer d’une identité numérique préalablement certifiée en mairie pour établir une procuration, ce qui garantit, selon eux, une authentification réelle et donc une vérification « dans le monde physique ».
Le nouveau dispositif impose de distinguer deux étapes. La première concerne la création de l’identité numérique. Pour obtenir une identité numérique France Identité, il faut toujours se rendre physiquement en mairie, où un agent vérifie que la personne existe et correspond à ses documents officiels. À ce stade, la validation reste donc ancrée dans le monde réel.
Le problème se pose ensuite. Une fois l’identité numérique installée, rien ne permet de garantir que la personne qui utilise l’appareil est bien son véritable titulaire. Au mieux, un code à six chiffres… Un militant, un proche, un aidant, ou tout autre tiers ayant accès au téléphone d’une personne âgée ou vulnérable pourra utiliser cette identité pour établir une procuration à son insu.
Avant le décret, ce risque était limité par l’obligation de se présenter physiquement dans un poste de police ou de gendarmerie. Cette étape constituait une garantie démocratique essentielle. Or, c’est précisément cette vérification humaine du consentement qui disparaît avec le nouveau dispositif.
Vous avez lancé une pétition pour vous opposer à ce nouveau dispositif. En quoi consiste-t-elle ?
La pétition « AuNomDuVote » vise à défendre la sincérité du scrutin en adressant un ultimatum juridique aux autorités. Elle demande l’adoption de garanties concrètes sur la fiabilité des procurations ainsi que la mise en place de mécanismes permettant de vérifier, a posteriori, leur usage effectif. Faute de quoi, des actions en justice pourront être engagées pour obtenir en justice l’annulation du décret ou d’élections à venir.
À supposer que le gouvernement refuse catégoriquement de revenir sur la dématérialisation de l’établissement des procurations, existe-t-il malgré tout, selon vous, un moyen d’en renforcer la fiabilité ?
Une solution simple et efficace existe si, comme l’a affirmé récemment le Premier Ministre Lecornu, le gouvernement souhaite réellement « restaurer la démocratie représentative ». Il suffirait d’adopter un second décret venant compléter le premier, modifiant quelques articles du code électoral afin de distinguer matériellement et comptablement les votes par procuration.
Cette mesure est concrète, peu coûteuse et d’une mise en œuvre rapide : il suffirait de prévoir des enveloppes d’une couleur différente pour les votes effectués par procuration. Le vote par procuration, rappelons-le encore, est une exception au principe fondamental de l’exercice du droit de vote en personne. Aujourd’hui, le gouvernement cherche à étendre le plus possible les cas de procuration, alors qu’elle devrait rester un dispositif inhabituel et strictement encadré. Le droit de vote s’exerce normalement en personne, physiquement, par l’électeur lui-même.
Dans ce dispositif, le déroulement au bureau de vote resterait simple : l’électeur muni d’une procuration recevrait son enveloppe personnelle comme d’habitude, mais recevrait également une enveloppe de couleur différente pour exercer le vote délégué par la ou les personnes qui l’ont mandaté. Ces enveloppes seraient déposées dans la même urne, mais lors du dépouillement, on distinguerait clairement les deux catégories : les enveloppes classiques, correspondant aux votes en personne, et les enveloppes spécifiques, correspondant aux procurations.
Ainsi, au moment de publier les résultats, deux décomptes distincts seraient disponibles : un pour les votes directs, un pour les votes par procuration, avant leur addition pour produire le résultat final. Cette transparence permettrait de détecter toute fraude massive. Si un parti, qu’il s’agisse du parti au pouvoir ou d’une autre formation, obtenait soudainement des scores grossièrement disproportionnés dans la seule catégorie des votes par procuration, cela devrait entraîner l’annulation du scrutin en raison d’une atteinte évidente à la sincérité du scrutin.
Instaurer cette garantie, au coût quasi nul et ne nécessitant aucun bouleversement logistique, offrirait au gouvernement un moyen simple de garantir que la réforme n’a pas pour but de faciliter des manipulations électorales, mais uniquement de simplifier le recours à la procuration. Sans cette précaution, la suspicion subsiste : le système actuel ouvre la porte à une fraude massive potentielle, sans aucun mécanisme de détection efficace.
Évoquer l’éventualité d’une fraude électorale ou questionner l’intégrité d’un scrutin expose souvent à des accusations de complotisme, comme l’ont illustré les débats médiatiques autour de la présidentielle américaine de 2020. Selon vous, un risque de fraude électorale significative par le biais des procurations existe-t-il en France, et doit-il être pris davantage au sérieux ?
Le risque dont il est question ici n’a rien de théorique. La fraude à la procuration a déjà été reconnue et sanctionnée à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel. Plus largement, le risque de fraude électorale constitue un phénomène bien documenté : plus de 4500 décisions du Conseil abordent ces questions. Il ne s’agit donc pas d’un problème réservé aux « républiques bananières », mais d’un enjeu concret et éprouvé dans toute démocratie.
À l’approche de chaque élection, une tension se crée naturellement. Tous les candidats, et surtout les appareils politiques qui les soutiennent, ne sont pas toujours « légalistes ». L’actualité judiciaire récente montre que certains n’hésitent pas à contourner les règles lorsque l’enjeu électoral est élevé. La suppression de la vérification du consentement pour les procurations ouvre précisément une brèche dans laquelle un acteur peu scrupuleux pourrait s’engouffrer.
Quels événements dans l’actualité vous ont conduit à envisager la possibilité d’un risque de fraude électorale ?
Le cas de l’association « A voté » lors des dernières législatives au moment de la dissolution de l’Assemblée nationale illustre de manière presque caricaturale les dérives possibles. Présentée comme un collectif apolitique soucieux de lutter contre l’abstention, elle a lancé le site « Plan Procu », dont l’apparition avait immédiatement suscité des interrogations. Les reportages montrant ses militants laissaient entrevoir une homogénéité frappante dans les profils : on aurait cru reconnaître les équipes habituées à piloter les campagnes d’Emmanuel Macron.
Et pour cause, ces soupçons ont rapidement été confirmés. Le site, promu sur X par la porte-parole du ministère de l’Intérieur, avait été déposé par Titouan Galopin, qui n’est autre que l’architecte du site internet d’Emmanuel Macron en 2017. Plusieurs médias ont ensuite révélé que des membres du conseil d’administration de l’association avaient travaillé pour La République en marche : Flore Blondel-Goupil, Dorian Dreuil… Difficile, dans ces conditions, de garantir avec certitude la neutralité du dispositif.
« Plan Procu » se présentait comme un simple service de mise en relation entre mandants et mandataires. Mais en réalité, il s’agissait d’une plateforme privée, extrêmement peu sécurisée, hébergée aux États‑Unis, dont les interactions entre mandant et mandataire de procuration de vote reposaient sur… un simple échange d’emails. Or confier une procuration touche à l’un des actes les plus personnels de la vie démocratique. Normalement, on délègue son vote à un proche, dans un cadre relationnel de confiance. Ici, on incitait les citoyens à confier leur intention de vote à un inconnu, via un intermédiaire opaque et dépourvu de toute garantie institutionnelle.
L’inquiétude a redoublé lorsque des préfets ont promu ce système faussement apolitique sur leurs comptes officiels. Beaucoup de citoyens ont ainsi pu croire qu’il s’agissait d’un outil neutre alors qu’il était conçu par des cadres proches de la majorité présidentielle. On comprend alors le trouble : comment être certain que la procuration confiée à un « électeur lambda » n’a pas été orientée vers un militant ? Comment vérifier que l’échange par email n’a pas été intercepté, usurpé, ou que les consignes reçues par le mandataire correspondaient bien à la volonté réelle du mandant ?
Le scénario inverse est tout aussi problématique. Dans un système reposant uniquement sur l’email, l’outil le plus facile à pirater, rien n’empêchait qu’une personne se faisant passer pour le mandant envoie de fausses instructions de vote au porteur légitime. Ni que des mandants pensent confier leur vote à un individu, alors qu’un tiers interposé répondait à sa place. Cette opacité rendait impossible de garantir que les procurations étaient exécutées fidèlement.
En réalité, un site de ce type offrait un terrain idéal pour ce que l’on pourrait appeler un « blanchiment de procurations ». Étrangement, lorsque la presse a révélé le profil des individus derrière cette ONG, la plateforme a affirmé être « débordée » et a cessé d’accueillir de nouvelles demandes, un argument étonnant pour une association dont la vocation affichée était pourtant de maximiser la participation électorale. Elle a néanmoins reconnu avoir traité des dizaines de milliers de procurations, un volume amplement suffisant pour influencer un scrutin législatif où quelques dizaines ou centaines de voix suffisent à faire basculer certaines circonscriptions.
Si un acteur politique avait voulu détourner le système, le mécanisme aurait été simple : créer des mandants fictifs via de fausses adresses email, générer des procurations irrégulières, puis utiliser la plateforme pour les répartir entre de véritables porteurs de bonne foi. Ces porteurs légitimes auraient ensuite exécuté fidèlement des votes illégaux sans jamais se douter de rien. La plateforme, en facilitant ces mises en relation, aurait permis de transformer des procurations frauduleuses en procurations exécutées dans un cadre légal.
Et c’est précisément ce qui relie ce précédent au débat actuel. En supprimant la vérification humaine du consentement grâce à la dématérialisation totale, le nouveau dispositif crée les conditions techniques d’une industrialisation de ces détournements. Un militant aguerri, un opérateur politique, voire un dirigeant de parti, pourrait potentiellement générer des procurations sans consentement réel et les blanchir en les redistribuant à des porteurs honnêtes. Un tel procédé pourrait influencer des scrutins sans laisser de trace exploitable.
D’où l’importance cruciale de la solution que je propose : distinguer physiquement, par une enveloppe de couleur différente, les votes par procuration et les décompter séparément. Cette mesure simple et peu coûteuse permettrait de rendre détectable tout emballement suspect des procurations et de neutraliser le risque systémique créé par la disparition du contrôle humain sur le consentement.
Le mouvement des « Jeunes en Marche », anciennement « Jeunes avec Macron », traverse actuellement une crise interne. La cellule investigation de Radio France a révélé, le 18 novembre, que l’élection de son nouveau président, Louis Roquebert, proche de Gabriel Attal, est contestée en raison de forts soupçons de fraude électorale. Quel est votre point de vue sur cette affaire ?
Au-delà de l’affaire « Plan Procu », ce scrutin en ligne organisé en juillet dernier est un autre exemple qui permet d’illustrer les risques très concrets liés à la libéralisation du vote. Alors que l’organisation revendique près de 27 000 adhérents, seuls 2637 votants ont effectivement participé à l’élection de leur nouveau président.
Ce qui a interpellé la candidate battue, Nolwenn Pelven, c’est l’évolution en direct des résultats. Le scrutin semblait se dérouler normalement, puis un « rattrapage » massif serait intervenu en fin de vote, avec un bond de plus de 600 voix en faveur du vainqueur. Ce basculement brutal a immédiatement suscité des doutes sur la sincérité du vote. D’autant que, selon les soutiens de la candidate, les « Jeunes en Marche » ne compteraient même pas 2637 militants réellement actifs, encore moins 27 000 adhérents, et que les soutiens de Pelven affirment qu’il avaient une connaissance fine des rapports de force internes avant l’élection. Ils rappellent aussi qu’adhérer au mouvement ne requiert ni cotisation ni pièce d’identité, une procédure suffisamment laxiste pour permettre, selon eux, tous les tripatouillages nécessaires pour gonfler artificiellement les effectifs au moment des élections internes.
Face à ces soupçons, la candidate a sollicité la consultation de la liste des votants. Il lui aura fallu six semaines de négociations pour obtenir un accord, assorti de conditions particulièrement restrictives imposées par la commission électorale, présidée par Ambroise Méjean, ancien président des JEM : une seule personne autorisée à consulter la liste, sur papier, dans les locaux du QG de Renaissance, sous surveillance constante, sans possibilité de prendre la moindre note. Nolwenn Pelven a estimé ces conditions inacceptables.
Cette mise en scène d’une « transparence » sous cloche rappelle ce que certains avaient déjà observé au niveau européen, lorsque la Commission européenne avait consenti à laisser des eurodéputés consulter les contrats d’achat de vaccins Covid, mais uniquement dans une salle dédiée, sans photos autorisées, et avec de larges passages caviardés…
L’affaire a pris une tournure encore plus troublante lorsque Franceinfo s’y est intéressée. À ses questions, le président de la commission électorale a invoqué le RGPD pour expliquer l’impossibilité de confier la liste des adresses mail des votants au camp battu. Franceinfo a alors proposé une alternative simple : consulter eux-mêmes la liste. Réponse d’Ambroise Méjean : la liste aurait été… supprimée. Motif avancé : « le respect du RGPD ». Problème : la loi impose aux associations de conserver au minimum cinq ans tous les documents relatifs à leur fonctionnement, y compris les listes d’émargement des élections internes, car ces documents prouvent l’existence d’un droit, d’une décision ou la régularité d’un scrutin.
Cet épisode montre de manière éclatante que la question de la sincérité du scrutin, a fortiori pour des enjeux locaux voire nationaux, n’a rien d’abstrait ni de théorique et que le gouvernement, s’il est pour la sincérité électorale, n’a manifestement aucune raison sérieuse de s’opposer à un décompte séparé des voix obtenues par procuration grâce à de simples enveloppes de couleur différente.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Etienne Fauchaire est un journaliste d'Epoch Times basé à Paris, spécialisé dans la politique française et les relations franco-américaines.
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