La distorsion du marché de l’acier sape la confiance dans les institutions internationales censées réguler le commerce mondial

Par Germain de Lupiac
11 juin 2025 13:08 Mis à jour: 11 juin 2025 20:11

L’acier, colonne vertébrale de l’économie mondiale, est en crise. La décision de l’administration Trump de doubler à 50 % les droits de douane sur l’acier et l’aluminium importés aux États-Unis, a jeté une nouvelle ombre sur ce marché stratégique.

Mais la véritable menace vient de l’excédent d’acier chinois, vendu à prix cassé sur les marchés, largement subventionné par le Parti communiste chinois (PCC) et qui « fausse » le marché mondial et freine les investissements de décarbonation de la sidérurgie, selon un rapport de l’OCDE.

La planète a produit 1,84 milliard de tonnes d’acier brut l’an passé (-0,9 % par rapport à 2023), dont plus de la moitié (1 milliard de tonnes) vient de Chine, premier sidérurgiste mondial, selon le dernier bilan de l’association World Steel portant sur 71 pays représentant 98 % de la production mondiale.

Au même moment en Europe, le deuxième producteur mondial ArcelorMittal a du mal à financer ses investissements et le sidérurgiste allemand ThyssenKrupp est en voie de démantèlement avec des milliers de suppressions d’emplois.

Le Vieux Continent est pris en étau entre cette concurrence déloyale chinoise, les mesures américaines pour s’en protéger et la décarbonation de sa sidérurgie qu’il veut s’imposer à ses industries.

Le vieil acier au cœur d’une bataille commerciale mondiale

Utilisé dans nos ponts, nos immeubles, nos voitures et même nos énergies renouvelables, ce « vieux métal » reste fondamental pour l’humanité dans la plupart de ses activités.

Le dernier rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), « Perspectives de l’acier 2025« , publié le 27 mai 2025, en dresse un tableau alarmant : surcapacités, distorsions de marché, pressions environnementales et incertitudes économiques.

Les États-Unis sont le quatrième producteur mondial, avec 79,5 millions de tonnes (-2,4 %) et le deuxième importateur mondial, avec 26,4 millions de tonnes importées en 2023, derrière l’Union européenne (39,2 millions), alors que la majorité de l’acier vient de Chine ou de sidérurgistes chinois installés en Asie du sud-est, qui inondent les marchés, et dont on soupçonne le régime chinois de subventionner massivement la production.

Une industrie asphyxiée par la surproduction

Le rapport de l’OCDE met en lumière un problème structurel majeur : les surcapacités mondiales de production d’acier. Alors que la demande mondiale stagne, les projets d’expansion de capacités continuent de proliférer, notamment en Asie et au Moyen-Orient.

Selon le rapport, ces surcapacités viennent des subventions massives accordées par certains pays, principalement la Chine, mais aussi l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) et la zone MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord).

Ces pratiques maintiennent en vie des usines qui, dans un marché équitable, auraient fermé leurs portes. Résultat : une offre excédentaire qui tire les prix vers le bas et menace les emplois dans les régions où la concurrence est loyale.

Le rapport est un « coup de semonce » pour le secteur au niveau mondial, estime Jerry Sheehan, directeur de l’OCDE pour les sciences, la technologie et l’innovation. Car la croissance de la demande mondiale d’acier, prévue à « moins de 1 % » par an, « ne suit pas » l’accroissement prévu des capacités de production qui, elles, devraient bondir de 6,7 % entre 2025 et 2027, nourries par les subventions, selon les projections de l’organisation.

La chute des prix qui s’ensuit place beaucoup d’industriels face à « des défis sans précédent » selon le rapport. Les usines tournent à vide, les stocks s’accumulent et les marges s’effondrent.

La Chine accusée de « fausser » le marché mondial de l’acier

Au cœur du problème : les taux de subvention de l’acier en Chine (en pourcentage des recettes des entreprises), jusqu’à 10 fois supérieurs à la moyenne de ceux des autres économies, selon le rapport, alors que les exportations d’acier de la Chine, premier producteur mondial d’acier, « ont plus que doublé depuis 2020 ».

Les exportations de la Chine vers les marchés tiers « s’envolent », et c’est ainsi que l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est « accroissent à leur tour leurs exportations, en particulier vers les pays de l’OCDE, parce que leurs marchés nationaux sont saturés avec l’excédent d’acier », ajoute le rapport.

Cette situation génère une multiplication des « recours commerciaux ». En 2024, « 81 enquêtes anti-dumping concernant des produits sidérurgiques ont été ouvertes par 19 États dans le monde » (contre 16 procédures engagées par cinq pays en 2023). « Près de 80 % des procès ont été intentés contre des producteurs asiatiques, la Chine comptant à elle seule pour plus du tiers du total », selon l’OCDE.

La désindustrialisation française et européenne en question

En Europe, des usines historiques, comme celles de l’Allemand Thyssenkrupp ou ArcelorMittal en France, luttent pour survivre face à cette concurrence déloyale. Des milliers d’ouvriers risquent de perdre leur emploi, tandis que des régions entières, dépendantes de l’industrie sidérurgique, s’enfoncent dans l’incertitude.

« Le marché a été divisé par deux » a expliqué le président d’ArcelorMittal France, Alain Le Grix de la Salle, devant les sénateurs fin mai pour expliquer la crise existentielle des producteurs d’acier en Europe, le sidérurgiste se disant victime de la « désindustrialisation française ».

Alain Le Grix de la Salle y a expliqué l’enchevêtrement des crises qui prennent en étau la production d’acier en Europe : la baisse de la consommation sur le Vieux Continent et particulièrement en France, la surproduction mondiale qui a fait chuter les prix de 25 % en Europe l’an passé, la concurrence déloyale venue de l’acier chinois subventionné, les prix de l’énergie trop élevés en Europe, sans parler des nouvelles taxes douanières américaines.

« Il n’y a plus de marché en France » a-t-il lancé. La demande dans le pays est actuellement « de moins de 4 millions de tonnes », alors qu’elle était « de 9 millions de tonnes il y a une dizaine d’années ». Les deux plus gros acheteurs d’acier en France, l’industrie automobile et celle du bâtiment, sont en plein marasme. Le sidérurgiste a annoncé fin mai un plan d’économies pour tenter de regagner sa compétitivité en Europe avec le transfert d’activités support vers l’Inde et la perte de 1400 postes européens.

ArcelorMittal n’est pas seul dans son cas. Les difficultés des sidérurgistes implantés en Europe ont poussé la Commission européenne à se mobiliser et à annoncer un plan d’action qui prévoit notamment de réduire de 15 % les importations d’acier – un plan que la France a jugé insuffisant.

Une transition écologique européenne à double tranchant

L’industrie de l’acier est aussi confrontée à un autre défi majeur : la transition écologique. L’acier est indispensable à la construction d’éoliennes, de panneaux solaires et de véhicules électriques, mais sa production reste l’une des plus polluantes au monde.

Ces avancées écologiques sont freinées par des obstacles structurels, les investissements nécessaires pour moderniser les usines et adopter des technologies vertes, comme la production d’acier à l’hydrogène, sont colossaux. Dans un contexte de marges réduites et de concurrence déloyale, la décarbonation est le dernier nœud coulant sur les industries européennes.

Le déséquilibre du marché ralentit fortement les efforts d’investissement pour décarboner l’industrie sidérurgique, déplore l’OCDE, alors que la fabrication d’acier est responsable à elle seule de 8 % des émissions mondiales de CO2 et que l’Europe veut atteindre le zéro carbone d’ici 2050.

Les pays de l’OCDE, avec leurs normes environnementales et sociales plus strictes, ne peuvent ainsi rivaliser avec des acteurs qui bénéficient d’un soutien étatique démesuré et sans les mêmes contraintes sociales et environnementales. Cette distorsion menace non seulement l’industrie, mais aussi la confiance dans les institutions internationales censées réguler le commerce mondial.

« Les producteurs d’acier ne pourront pas revenir à des niveaux de rentabilité sains et soutenus avant d’avoir traité comme il se doit le problème des surcapacités mondiales », avertit l’OCDE, qui appelle à une « coopération internationale pour des règles du jeu équitables sur le marché mondial de l’acier ». Un vœu pieux face aux ambitions sans limite des industries chinoises, subventionnées par le PCC.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.