La Russie « interfère » dans le processus électoral sud-africain selon les partis d’opposition

L'Alliance démocratique a demandé l'aide de Washington, craignant que la Chine, la Russie et l'Iran ne s'immiscent dans les élections de mai.

Par Darren Taylor
27 mars 2024 21:21 Mis à jour: 27 mars 2024 21:21

JOHANNESBURG – Dans l’après-midi du 9 mars, une vidéo sur la plateforme de médias sociaux X est devenue virale en Afrique du Sud.

Elle semblait montrer l’ancien président américain Donald Trump en train de dire : « Bonjour à tous les Sud-Africains. Je suis le président Donald Trump. J’exhorte tous les Sud-Africains à voter pour uMkhonto WeSizwe le 29 mai. »

« Le Congrès national africain de Cyril Ramaphosa a laissé tomber tous les Sud-Africains. Grâce au nouveau parti noir, dirigé par le président Jacob Zuma, tous les Sud-Africains compteront. »

Les experts en technologie ont rapidement confirmé que la vidéo déclarant le mépris de M. Trump pour le Congrès national africain (CNA) au pouvoir et son soutien au parti MK était un « deepfake », une vidéo manipulée à l’aide d’un algorithme permettant de remplacer de manière convaincante l’image d’une personne par celle d’une autre.

L’Afrique du Sud se rendra aux urnes à la fin du mois de mai, une élection qui, selon les analystes, sera la plus disputée de l’histoire du pays.

Les enquêteurs en cybercriminalité ont remonté la piste du deepfake de Trump jusqu’à Duduzile Zuma-Sambudla, la fille de l’ancien président sud-africain, Jacob Zuma.

En mai 2023, une enquête menée par le CIR (Centre for Information Resilience — ndlr. Centre pour la fiabilité de l’information), basé à Londres, et par des experts sud-africains de la lutte contre la désinformation, a révélé que Mme Zuma-Sambudla était l’une des plus grandes « propagatrices de désinformation » en Afrique.

Le rapport du CIR indique que la « super-influenceuse » était la « principale amplificatrice » des campagnes #IStandWithPutin et #IStandWithRussia (ndlr. ‘Je soutiens Putin/Russia’), qui ont débuté sur X peu après l’invasion de l’Ukraine par le président russe Vladimir Poutine en février 2022.

L’un des enquêteurs du CIR, Phumzile van Damme, spécialiste sud-africain de la stratégie et des opérations de contre-désinformation et conseiller de l’Organisation des Nations unies (ONU) dans ce domaine, a déclaré à Epoch Times : « Les tweets et les posts de Zuma-Sambudla se sont répandus comme une traînée de poudre dans toute l’Afrique, et au-delà, et ont été essentiels pour gagner un énorme soutien pour Poutine et la Russie et promouvoir des récits anti-occidentaux et spécifiquement antiaméricains ».

« Le deepfake personnifiant Trump doit être considéré dans ce contexte. Il n’a pas été partagé sur X par un compte anonyme ou un utilisateur lambda. Il a été distribué par un acteur clé de la sphère de la désinformation en Afrique, et il a été partagé avec des intentions malveillantes. »

Mme Zuma-Sambudla n’a pas répondu aux demandes de commentaires.

Le président sud-africain Jacob Zuma qui a été incarcéré. PHILL MAGAKOE/AFP via Getty Images.

Comme leurs homologues du CNA, la jeune femme de 41 ans et son père de 81 ans se rendent fréquemment à Moscou, où ils sont souvent accueillis par le parti Russie unie de M. Poutine.

M. Zuma est un ancien chef des services de renseignement du CNA et a commandé l’aile militaire du parti, uMkhonto weSizwe (Lance de la nation), qui a été armée et financée par l’Union soviétique et la Chine du début des années 1960 au début des années 1990, lors de son insurrection contre l’apartheid.

M. Zuma a dirigé l’Afrique du Sud en tant que chef du CNA entre 2009 et début 2018, date à laquelle il a été évincé par son adjoint de l’époque, M. Ramaphosa.

M. Zuma a été condamné à une peine de 15 mois de prison en 2021 pour outrage à magistrat après avoir refusé de témoigner dans le cadre d’une enquête sur la corruption durant sa présidence.

Son emprisonnement a déclenché des manifestations et des émeutes qui ont fait plus de 500 morts et des milliers de blessés. Il s’agit des pires troubles civils qu’ait connu l’Afrique du Sud après l’apartheid.
Des enquêtes ultérieures ont montré que Mme Zuma-Sambudla était l’une des principales instigatrices de ces violences qui, selon M. Ramaphosa, avaient pour but « d’affaiblir gravement, voire de déloger, l’État démocratique ».

Jean le Roux, du Digital Forensic Research Lab d’Afrique du Sud, a déclaré à Epoch Times : « Quelques heures après l’arrestation de son père, Zuma-Sambudla a tweeté ‘Let it Burn’. »

« J’ai présenté des preuves à plusieurs agences de sécurité qu’elle était derrière l’un des comptes Twitter utilisés pour célébrer l’anarchie qui a suivi ».

Une autre enquête de la Commission sud-africaine des droits de l’homme, dont les détails ont été publiés en janvier, a souligné le rôle des médias sociaux dans l’exacerbation des violences.

L’enquête a révélé ce qui suit : « Les plateformes de médias sociaux, qu’elles soient ouvertes ou fermées, ont été utilisées par des individus et des groupes spécifiques pour orchestrer et encourager les troubles. »

« Ces forums ont servi à faire avancer divers objectifs pendant les troubles de juillet 2021, notamment l’établissement de réseaux de collaboration, la diffusion stratégique d’ informations trompeuses et de désinformation, ainsi que la mobilisation et la célébration des pillages et de la violence. »

M. Zuma n’a passé que deux mois en prison avant d’être libéré pour raisons médicales.

Un tribunal a ensuite jugé que cette libération était illégale et que l’ancien président devait retourner en prison pour y purger le reste de sa peine.

Mais il n’y est jamais retourné, le gouvernement du CNA arguant du fait que le système pénitentiaire était « surpeuplé ».

M. Ramaphosa a promis que tous les « incitateurs à la violence » seraient poursuivis, mais M. Zuma et sa fille n’ont jamais été inculpés.

En 2022, la commission d’enquête a conclu que M. Zuma et ses associés avaient pillé des entreprises publiques pour un montant estimé à 500 milliards de rands (près de 28 milliards d’euros au taux de change actuel), principalement au cours des quatre dernières années de son mandat.

M. Zuma doit être jugé cette année pour de multiples chefs d’accusation de corruption, de fraude et de blanchiment d’argent liés à un contrat d’armement gouvernemental de plusieurs millions de dollars conclu dans les années 1990, mais il n’a été inculpé d’aucun crime commis pendant sa présidence.

Il nie toutes les allégations portées contre lui, affirmant qu’elles font partie d’une « conspiration politique » menée par M. Ramaphosa.

En décembre 2023, M. Zuma et sa fille ont créé le parti Umkhonto WeSizwe (MK) pour se présenter aux prochaines élections, son objectif déclaré étant de mettre fin au règne du CNA.

Lors d’une conférence de presse à Soweto, près de Johannesburg, ils ont déclaré qu’il était « temps pour le CNA de mourir ».

Flanqués de gardes du corps armés portant des uniformes militaires fournis par la Chine, M. Zuma et Mme Zuma-Sambudla ont qualifié le CNA de « mandataire du capital monopolistique blanc » qui a « déclaré la guerre aux professionnels et aux intellectuels noirs ».

Il s’agit du même message utilisé dans une récente vague de messages pro-CNA sur les médias sociaux et de « deepfakes » pour décrire l’Alliance démocratique (DA), le parti considéré comme la plus grande menace à la domination du CNA.

Un nouveau rapport de l’Africa Center for Strategic Studies, un groupe de réflexion affilié au ministère américain de la Défense, indique qu’au moins 11 campagnes de désinformation destinées à renforcer le CNA et à dénigrer ses opposants avant les élections de mai sont actuellement en cours.

Parmi ces campagnes, six sont menées par des « acteurs liés au Kremlin », deux par des « acteurs liés au PCC [Parti communiste chinois] » et trois par des « acteurs politiques nationaux ».

Le rapport note : « La Russie a été le principal acteur de la désinformation en Afrique du Sud. »

« En plus de diffuser des récits destinés à polariser les communautés, à attiser la méfiance et à soutenir le CNA, la Russie a utilisé des Sud-Africains influents pour promouvoir des récits pro-russes en Afrique du Sud et à l’étranger. »

Dans certains des faux enregistrements audio diffusés par des canaux tels que WhatsApp et TikTok, des responsables de la DA admettent que leur parti est financé par le gouvernement américain et certains des plus grands hommes d’affaires des États-Unis.

Dans un enregistrement, une voix ressemblant à celle de Glynnis Breytenbach, membre du parlement de la DA, déclare que le parti a obtenu un don important de la part du fondateur d’Amazon, Jeff Bezos.

Le 30 janvier, M. Ramaphosa a affirmé que certains pays occidentaux pourraient chercher à obtenir un « changement de régime » en Afrique du Sud en raison des poursuites engagées par son administration devant la Cour internationale de justice contre leur allié, Israël, pour génocide dans le cadre des opérations militaires israéliennes à Gaza.

Il a déclaré lors d’une réunion du CNA : « Nous sommes conscients qu’il y aura des campagnes de riposte systématiques. Ces forces feront tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher l’Afrique du Sud de conclure son procès. »

« La riposte pourrait se concentrer sur notre politique intérieure et nos résultats électoraux afin de poursuivre un programme de changement de régime. »

La DA s’efforce de se défaire de la réputation, entretenue par le CNA, selon laquelle elle représente les intérêts des Sud-Africains blancs, des banlieues et de la classe moyenne, alors qu’elle est le parti le plus diversifié du pays sur le plan racial.

Ce parti, qui se réclame des « idéaux démocratiques occidentaux », est à la tête d’une coalition qui, selon les sondages, pourrait détrôner le CNA.

La DA affirme que si elle a l’occasion de gouverner, elle « déchirera tous les contrats corrompus et les alliances militaires » que le CNA a conclus avec des « dictatures brutales et des kleptocraties », en particulier avec la Chine, la Russie et l’Iran.

Le dernier sondage préélectoral, réalisé par la fondation sud-africaine Brenthurst, qui jouit d’une réputation internationale, montre que le soutien au CNA n’a jamais été aussi faible, à savoir 39 %.

L’impopularité du CNA s’est intensifiée ces dernières années, sur fond d’allégations de corruption, de criminalité violente endémique, de défaillances dans la prestation des services — qui font que des millions de Sud-Africains sont privés d’eau et d’électricité chaque jour — et du taux de chômage le plus élevé du monde, qui avoisine les 35 %.

L’enquête de Brenthurst évalue à 33 % le soutien à la coalition multipartite (MPC) dirigée par la DA et estime que MK pourrait remporter 13 % des voix.

Le professeur Dirk Kotze, du département politique de l’université d’Afrique du Sud à Pretoria, a déclaré à Epoch Times que c’est MK, et non le MPC, qui pourrait faire tomber le CNA.

« Jacob Zuma reste une figure immensément populaire, en particulier dans les zones rurales qui votent habituellement pour le CNA », a-t-il déclaré.

« Ils aiment Zuma parce qu’il prêche le tribalisme zoulou, qu’il se présente comme un simple homme du peuple, qu’il parle leur langue, qu’il vient d’un village, qu’il élève du bétail, qu’il porte des lances, qu’il entonne des chansons sur les mitrailleuses, qu’il parle mal l’anglais et qu’il s’habille avec des peaux de léopard. »

« Oh, et il a aussi six femmes. Il est tout le contraire de l’élite du CNA, qui se présente comme sophistiquée et supérieure. »

M. Kotze a déclaré que MK, en raison du « facteur Zuma », « volerait des voix au CNA et non à la DA ou à tout autre parti. »

Selon lui, le seul moyen pour le CNA de « conserver son pouvoir, mais de l’affaiblir » serait de former un gouvernement de coalition avec des partis plus petits, éventuellement avec les Combattants pour la liberté économique (EFF), farouchement opposés à l’Occident.

« Bien sûr, cela dépendra fortement de la part de voix remportée par le CNA et l’EFF », a déclaré M. Kotze.

L’enquête de Brenthurst indique que le soutien à l’EFF est de 10 %.

Mme Van Damme a déclaré que la vidéo de Trump et le deepfake de Breytenbach ont probablement été réalisés à l’aide de Parrot AI.

Ce « générateur de voix » permet aux utilisateurs de sélectionner un avatar de célébrité, y compris des leaders mondiaux, de saisir un script et de produire une vidéo dans laquelle la célébrité choisie semble prononcer les mots scriptés.

Mme Van Damme est actuellement chargée de cours sur la technologie et les droits de l’homme à l’université de Harvard, où elle étudie les ramifications des technologies émergentes, et plus particulièrement de l’IA.

Elle a déclaré que Parrot AI était devenu un « outil favori » de l’Agence russe de recherche sur Internet, que les groupes de renseignement occidentaux ont accusé de mener une cyberguerre et d’interférer dans des élections dans le monde entier, dont le vote de 2016 aux États-Unis.

La semaine dernière, lors de la publication de leur évaluation annuelle des menaces, plusieurs agences de renseignement américaines ont averti que la Russie utilisait des « deepfakes » d’IA pour « tromper les experts » et cibler des pays politiquement instables et déchirés par la guerre pour « répandre le chaos et inciter à la violence et à la haine envers les pays occidentaux ».

Emma-Louise Powell, ministre officieuse des Relations internationales de la DA, a déclaré que son parti « soupçonne fortement la main cachée de la Russie » dans la campagne de désinformation qui le vise.

« Ces robots et ces fausses vidéos nous dépeignent comme des racistes qui veulent essentiellement vendre l’âme de l’Afrique à l’Occident », a-t-elle déclaré à Epoch Times.

« Ce à quoi nous avons affaire ici, c’est à une campagne pilotée par l’IA conçue pour éroder notre soutien par le biais de soi-disant preuves que nous sommes une organisation de façade pour les États-Unis et d’autres gouvernements occidentaux. »

« Nous avons des robots et des messages sur les médias sociaux qui créent de fausses déclarations selon lesquelles nous ne nous soucions pas du sort des citoyens noirs appauvris, en montrant par exemple des images de Noirs vivant dans la misère dans des régions où nous contrôlons des municipalités, comme Le Cap, alors que des millions de personnes vivent dans des conditions bien pires là où le CNA est au pouvoir depuis 30 ans. »

Mme Powell a ajouté : « Nous ne pouvons pas dire avec certitude quelles entités sont derrière cette campagne contre nous. Ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est que les partenaires actuels du CNA ne sont pas vraiment connus pour leur respect des droits de l’homme et de la démocratie. »

« Nous savons que la Chine, la Russie et l’Iran disposent de la technologie nécessaire pour semer la désinformation et la mésinformation pendant les élections. Ils sont également motivés pour le faire, car il est dans leur intérêt de maintenir le CNA au pouvoir. »

« L’Afrique du Sud, sous l’égide du CNA, soutient l’ONU et leur fournit des minerais et des métaux précieux. Ils pourraient perdre tous ces avantages si le CNA perdait le pouvoir. »

Le gouvernement du CNA a refusé de condamner l’invasion de l’Ukraine par Moscou et les violations des droits de l’homme commises par Pékin. Ses fonctionnaires se rendent fréquemment au Kremlin et il s’est engagé à renforcer la coopération militaire avec la Chine et la Russie.

L’Afrique du Sud a également fait pression avec succès pour que l’Iran la rejoigne, ainsi que la Chine et la Russie, au sein du bloc des BRICS, qui regroupe certaines des économies émergentes les plus puissantes du monde, ce que Téhéran a fait en janvier.

L’Afrique du Sud est actuellement le seul représentant africain au Conseil de sécurité des Nations unies, où, en tant que membre non permanent, elle soutient systématiquement les positions de la Russie et de la Chine.

Craignant une ingérence dans les prochaines élections, la DA a écrit aux dirigeants de plusieurs des plus grandes démocraties du monde pour leur demander d’envoyer des observateurs pour surveiller le scrutin de mai.

L’une des lettres est adressée au secrétaire d’État américain Antony Blinken. Elle lui demande d’aider à « assurer l’intégrité » du vote et de « se prémunir contre toute tentative de perturber le processus démocratique ».

En réponse, le secrétaire général du CNA, Fikile Mbalula, a déclaré à Epoch Times : « Nous ne savons pas pourquoi la DA fait tant d’histoires. Notre parti n’a pas besoin de coups bas parce que nous allons gagner les élections avec une grande marge. »

« Mais si nous voulions faire des coups bas, nous n’aurions pas besoin de l’aide des Russes pour le faire. »

Le CNA a pourtant l’habitude de se tourner vers la Russie pour obtenir de l’aide lorsqu’il est en difficulté. Il l’a fait en 2022, alors que le parti était au bord de la faillite, selon des initiés du CNA.

Le président de la fondation Skolkovo, Viktor Vekselberg, participe à une réunion d’information lors du sommet du G20, le 6 septembre 2013, à Saint-Pétersbourg, en Russie. (Anatoly Medved/Host Photo Agency via Getty Images)

C’est alors que Viktor Vekselberg, oligarque sanctionné par les États-Unis et confident de Poutine, est intervenu pour le renflouer par un don important.

Le CNA a depuis confirmé que M. Vekselberg restait l’un des principaux bailleurs de fonds du parti.

« Compte tenu de ce contexte, de toute la désinformation qui est diffusée et des enjeux élevés, je ne pense pas qu’il soit déraisonnable de notre part de demander de l’aide à des partenaires de confiance pour garantir que les élections en Afrique du Sud soient libres et équitables », a déclaré Mme Powell.

« À cause du CNA, nous sommes déjà proches d’être un État en déroute; nous ne voulons pas ajouter à ce cocktail mortel des élections entachées de crises et de manque de confiance. »

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